Publié le Samedi 30 septembre 2017 à 10h32.

La galaxie de l’extrême droite en évolution

Si les contours de l’extrême droite sont à peu près fixes, les éléments qui la composent sont variables. Phénomènes de mode militante, opportunisme de l’activisme, lutte des egos : le paysage est mouvant, mais dynamique depuis les années 2000, avec une accélération au tournant 2010. Il subsiste un même type d’attraction : leurs membres, souvent jeunes, ne s’engagent pas forcément par adhésion à une ligne politique spécifique mais plus par goût de l’action et pour l’espace de camaraderie offert.

Dès 1988, le temps fort national de l’extrême droite tourne autour du 1er mai du FN, associé à son hommage à Jeanne d’Arc. Les marges du défilé accueillent leur lot de « débordements » et de violences, dont le meurtre de Brahim Bouarram en 1995. Avec la dédiabolisation façon Marine Le Pen, les éléments trop radicaux ne sont plus les bienvenus. L’extrême droite va se tourner vers d’autres défilés.

Multiples groupes

À partir de 2010, les « nationaux-catholiques » de Civitas célèbrent la fête nationale de Jeanne d’Arc, le deuxième dimanche de mai. Civitas organise l’après-midi un défilé qui rassemble large, des nationalistes aux royalistes. Dans l’entre-deux-tours en 2017, quelque 400 manifestants défilent à Paris. On est alors loin des milliers des années fastes.

On retrouve, à cette époque, le Renouveau français (RF), catholique et contre-révolutionnaire, fondé en 2005 et présent sur plusieurs régions. En 2011, il se lance dans une campagne musclée contre la « christianophobie », largement relayée dans les médias. Aujourd’hui le RF n’a plus le nombre pour tenir une banderole. En juin dernier, il met en suspens ses activités militantes, sans avoir capitalisé les sympathies nationalistes lors des « Manifs pour tous ».

Depuis 2010, les Jeunesses nationalistes (JN) lancées par l’Œuvre française (OF) ont le vent en poupe. Avec à leur tête Alexandre Gabriac, ils cumulent les actions « coup de poing ». L’accent n’est pas mis sur la formation mais sur un activisme viril, débarrassé des bondieuseries du RF. Les sections se multiplient mais Lyon reste leur fief. Les JN chercheront dans les gardes à vue et les condamnations la preuve de leur existence militante… jusqu’à leur dissolution en 2013, avec l’Œuvre française. Le Parti nationaliste français (PNF), réactivé en 2015, succède à l’Œuvre sans retrouver la vigueur passée. Sur Lyon, le GUD, juste relancé, profite de la dissolution. Gabriac avait quitté le navire et rejoint Civitas. Il opère un rapprochement avec le Parti de la France de Carl Lang, les fidèles de Jean-Marie Le Pen et la groupusculaire « Dissidence » de Vincent Vauclin.

Mai est aussi le mois d’hommage à Sébastien Deyzieu, jeune militant nationaliste mort en échappant à la police le 9 mai 1994. En 2010, Serge Ayoub, le « Batskin » des années 1980, prend en main le C9M, le comité d’hommage à Deyzieu. Il va alors profiter de la correspondance entre le 9 mai et le dimanche de la fête de Jeanne d’Arc pour faire dans la rue ce que « Synthèse nationale » fait sur internet et dans ses « Journées nationales » : rassembler l’extrême droite identitaire et nationaliste. Trois ans plus tard, les brouilles ont eu raison de l’unité. Le meurtre de Clément Méric par l’un de ses sbires l’amènera à dissoudre sa récente organisation solidariste, « Troisième Voie », avant que ne le fasse la justice. Ayoub se met au vert et se consacre à son club de bikers.

Le vent de la « Manif pour tous »

L’opposition au « mariage pour tous » a donné un coup de fouet à l’extrême droite. Le « jour de colère » de janvier 2014 a certes rassemblé quelque 20 000 manifestants, mais dans la plus grande confusion, sans cohérence idéologique. Gabriac et ses Jeunesses nationalistes n’ont pas réussi à élargir leur audience. Les militants du Bloc identitaire et de l’Action française ont assuré par leurs pratiques (animation de cortège, service d’ordre) une présence massive et continue dans les cortèges communs de « La Manif pour tous ». Mais seule l’Action française en récoltera les fruits. Car avec l’apparition du « Printemps français », au moment où « La Manif pour tous » ne contrôle plus ses troupes, l’AF trouve un relais auprès de ce mouvement de masse inédit à droite. Tout en rejouant le 6 février 1934, l’AF recrute et forme des cadres. Ces deux années de mobilisation lui ont donné l’occasion de se rajeunir et grossir ses rangs. Fini le passéisme, les camelots 2.0 renouvellent leur matériel militant, prenant exemple sur les Identitaires. En mai 2016, l’AF rassemble 250 à 300 « camelots » pour son propre hommage national à Jeanne d’Arc, quand elle n’en faisait sortir que quelques dizaines, il y a moins de 10 ans.

Les Identitaires, actifs depuis 2002, sont les spécialistes des coups d’éclat destinés à produire des images. Petit à petit, leur doctrine s’efface pour laisser place à une focalisation sur l’islam et l’immigration. Après l’invasion du Quick halal de Lyon en 2010 et l’occupation de la mosquée de Poitiers en 2012, leur dernière trouvaille est l’affrètement d’un bateau pour « défendre l’Europe » contre l’« invasion migratoire ». L’affaire est habilement mise en scène sur internet : du financement participatif à la croisière anti-migrants, stoppée faute de ports les acceptant autour de la Méditerranée. Malgré l’échec, ce qui semblait relever du bluff aura relancé la machine identitaire. En 2016, renonçant à une vaine confrontation électorale avec le FN, les Identitaires se transforment en association pour rester une « centrale d’agitation et de formation »… où le FN puise des ressources. Outre quelques transferts militants, c’est surtout commercialement que les jeunes cadres identitaires mettent leur talent de communicants au service du FN. Rien d’étonnant à ce que Marion Maréchal vienne faire un salut amical à la fête annuelle des Identitaires parisiens en 2017.

Implantation locale, résistance locale

C’est à l’échelle du quartier ou de la ville que se juge et se perçoit la dangerosité de l’extrême droite. La présence de groupes plus ou moins structurés concrétise, parfois à l’extrême, l’ambiance politique nationale qui voit l’essor électoral du FN. L’ouverture d’un lieu est un signe à ne pas négliger : bars plus ou moins clando, comme « la Citadelle » des Identitaires lillois ou « le Menhir » à Bordeaux, mariage du FNJ 33 et des nazillons du cru. À Marseille, c’est l’Action française qui installe son local militant. Lyon cumule les réjouissances : local et salle de sport des Identitaires, tentative d’ouverture d’un squat « social » par le GUD, magasin de fringues, salon de tatouage... Les conséquences d’une telle implantation se lisent dans la longue liste des agressions racistes, attaques et menaces sur des militantEs de gauche. À Toulouse, l’ouverture de l’Oustal en 2011, le local des Identitaires, avait agrégé la fine fleur de l’extrême droite pendant plus d’un an. Son sentiment de toute-puissance débouchait en 2012 sur l’agression d’Andrès Pardo, victime d’une grave fracture du crâne. À Paris, ce sera la mort de Clément Méric en 2013, frappé par des recrues d’Ayoub, patron du « Local », le bar de tout le milieu nationaliste.

La présence d’un mouvement antifasciste de terrain, large et actif, constitue un rempart préventif. Ce travail local nécessite une vigilance attentive pour n’ignorer aucune apparition, même a priori mineure ou folklorique, qui peut en quelques années plomber dangereusement la vie politique. Le terrain d’action de l’extrême droite n’est pas déconnecté de l’actualité politique et médiatique. Après avoir bénéficié de la séquence « Mariage pour tous » entre 2012 et 2014, l’extrême droite activiste, dans sa grande diversité, n’a pas encore trouvé son nouveau centre d’intérêt. Or les migrants et leurs soutiens constituent, particulièrement aujourd’hui, des cibles. Passages à l’acte isolés, mais facilités par l’atmosphère politique, actions militantes organisées et réfléchies, la tension peut s’accroître. La situation des clandestins ne facilite pas la mise au grand jour de cette violence. Raison de plus pour redoubler de vigilance.