En engageant une procédure de dissolution des Soulèvements de la Terre quelques jours après le brutal épisode répressif de Sainte-Soline, Gérald Damarnin a montré qu’il n’avait nullement l’intention, bien au contraire, de ralentir le cours autoritaire de la macronie. Confirmation dans la foulée avec la mise en cause de la Ligue des droits de l’homme (et de ses subventions publiques), accusée d’être trop critique de l’institution policière. Deux épisodes qui ne sont nullement des « dérapages » mais bien l’illustration de ce à quoi en est réduit un pouvoir fragilisé, délégitimé, minoritaire, qui s’appuie plus que jamais sur l’appareil répressif pour rester en place.
Le moment répressif actuel n’est pas un accident. Il s’inscrit dans la continuité d’un cours autoritaire global, qui n’a pas commencé avec l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 mais qui a, depuis, connu plusieurs accélérations. Un cours autoritaire qui n’est pas une simple « fuite en avant » de Macron et de ses sbires, mais bien l’expression d’une crise d’hégémonie des classes dominantes, qui ne s’exprime pas qu’en France mais aussi à l’échelle internationale.
Un cours autoritaire
Quelques semaines après l’élection de Macron en 2017, nous écrivions : « À la tête d’un exécutif mal élu et disposant d’une base sociale particulièrement réduite, le manager Macron et ses chefs d’équipe, pour la plupart issus de la ‘‘nouvelle économie’’ et des grandes écoles de commerce, entendent exercer le pouvoir comme s’ils administraient une start-up ou un cabinet d’avocats de Wall Street : une vitrine décontractée et moderne, mais une gestion brutale et autoritaire des ‘‘ressources humaine’’. » Un pronostic qui, malheureusement, s’est avéré exact.
La question était alors posée de savoir si Macron représentait une solution de « sortie de crise » pour les classes dominantes, de plus en plus inaptes à maintenir l’ordre néolibéral et le consentement à ce dernier, ou s’il était un produit de cette crise qui ne pourrait, à moyen terme, que l’approfondir. Six ans plus tard, tout indique que, même si ses politiques répondent aux souhaits de la bourgeoisie, la crise est loin d’être résolue : les contre-réformes sont adoptées, plus ou moins en force, mais le consentement n’est pas là, en témoignent les mouvements de contestation sociale, la faible popularité de Macron et le rétrécissement de sa base, lui qui était déjà minoritaire lors de la présidentielle de 2017.
« Maintenir l’ordre » ?
Incapable, en raison de la brutalité de ses réformes, d’arracher le consentement de secteurs significatifs de la population, le pouvoir macronien traverse une crise de légitimité inédite. Et c’est ainsi qu’il a pris la décision, comme cela avait été le cas lors du mouvement des Gilets jaunes, de faire taire la contestation par la force. Ainsi, le choix fait par les autorités quant à la gestion répressive de la manifestation de Sainte-Soline le 25 mars de ne laisse planer aucun doute : à aucun moment il n’a été question de « maintenir l’ordre » dans un champ perdu des Deux-Sèvres, mais bien de semer le chaos et de faire passer un message aux contestataires.
Il faut évidemment situer l’épisode de Sainte-Soline dans le contexte plus général de mobilisation massive et durable contre la retraite à 64 ans, avec un pouvoir minoritaire qui a recours à tous les artifices antidémocratiques de la 5e République et qui compte avant tout sur l’appareil répressif pour se maintenir. Un pouvoir qui a en outre compris qu’un mouvement écologiste radical porte en lui une critique profonde du système capitaliste productiviste et de ceux qui le gèrent.
Une situation globale à laquelle s’ajoutent les ambitions personnelles d’un certain Darmanin, qui a compris, comme d’autres avant lui, au premier rang desquels Sarkozy, l’un de ses mentors, que le ministère de l’Intérieur pouvait être une rampe de lancement pour des ambitions présidentielles. Et c’est ainsi que, ces dernières semaines, Darmanin se pavane, joue au dur, se posant en « homme d’État » tout en reprenant à son compte l’ensemble de la rhétorique de l’extrême droite.
Faire front, construire une alternative
La LDH critique le maintien de l’ordre « à la française », et elle n’est pas la seule. De l’ONU au Conseil de l’Europe en passant par des ONG comme Amnesty International, les condamnations, plus ou moins assumées, se multiplient. Et nous nous retrouvons avec cette situation cocasse dans laquelle le prétendu « pays des droits de l’homme », si prompt à donner des leçons de démocratie aux quatre coins du monde — tout en épargnant les dictatures « amies » —, devient un symbole de la menace autoritaire qui plane sur les « démocraties libérales ». Et c’est ainsi que Macron, en visite au Pays-Bas, se fait interpeller par des étudiantEs au nom de la démocratie et des droits humains, sort d’habitude réservé aux représentants de dictatures.
Le développement de cet autoritarisme du 21e siècle, qui n’a pas commencé avec l’élection de Macron mais auquel ce dernier a donné une accélération, n’est pas un accident de parcours. Répression policière, attaques contre la liberté de la presse et offensive contre les droits démocratiques font système, et sont un élément structurant du macronisme. Là réside le principal danger du moment répressif que nous traversons actuellement : la macronie n’opère pas une simple « fuite en avant », mais a fait de l’ultra-répression un mode de gouvernance. Il y a urgence à ce que syndicats, associations, partis, collectifs, et bien d’autres encore, s’unissent pour enrayer cette machine infernale. Pour la liberté de manifester, qui n’est déjà plus, aujourd’hui, un droit à défendre, mais à reconquérir. Pour les droits démocratiques et les libertés publiques, toujours plus attaquées. Avant qu’il ne soit trop tard.