Publié le Samedi 7 novembre 2009 à 14h30.

Douarnenez 2009 : Les Peuples du Caucase

Chaque année le festival de cinéma de Douarnenez est consacré à la rencontre avec un peuple (ou plusieurs) – cette année les peuples du Caucase.1

Le festival de cinéma de Douarnenez est une formidable Université d’été alternative.

Je voudrais pouvoir au moins vous communiquer l’émotion ressentie par une salle comble, le mardi 25 août, pour la soirée Hommage à Natalia Estemirova et Zareva Rayana Sadoukeva et son mari, Alik Djibralov. Trois victimes de leur engagement indéfectible pour les droits de la population tchetchène.

Je voudrais vous dire la vibration palpable quand les chants polyphoniques géorgiens ont empli la salle grâce aux seules trois voix féminines, et quand la chanteuse bretonne Norwenn Korbell a dédié à Natalia, qui avait beaucoup alimenté les dossiers d’Ana Politkovskaia, victime avant elle selon toute vraisemblance de la même mafia, la chanson écrite pour Ana :

Ana, tu as dit la vérité,

Tous les chiens te pisseront dessus.

Je voudrais vous faire partager le respect que nous inspiraient les témoignages d’une comédienne, de journalistes, de militantes, dont nous savions tous qu’en s’exposant ainsi, ils risquaient un peu plus d’être de prochaines cibles de la bête immonde. Avec un message simple : «c’est important qu’il soit dit que les victimes ne sont pas les coupables. Un jour, il y aura un tribunal».

Car aujourd’hui, la guerre est finie en Tchetchénie mais la terreur est bien pire.

Roger Devaneuse

Entretien avec Bernard Dréano2

Vos impressions sur le festival?

C’était une gageure de réussir un festival de cinéma sur « Les peuples du Caucase » . Le pari est réussi : qualité de la programmation et des débats, importance du public. Au final, la Tchetchénie, la Géorgie et l’Arménie sont d’une certaine façon « sur-représentées ». La société française a des contacts avec ces pays, mais pour se connecter au nord-Caucase, pour toucher les Ossètes ou les Abkhazes, c’est plus compliqué. Bien sûr, s’agissant d’un festival de cinéma, on ne peut éviter une certaine distorsion en fonction des films disponibles. Pour ce qui est de l’Arménie, je voudrais insister sur la différence entre diaspora arménienne et Arménie. Le débat sur le génocide arménien a bien montré que la diaspora arménienne ne se sent nullement représentée par l’État arménien dans ses revendications. Par ailleurs, la diaspora arménienne est forte en Palestine et le grand centre culturel arménien, c’est Beyrouth !

La présence officielle de la Géorgie, membre de l’Otan, fait un peu tâche...

Le peuple géorgien a une histoire politique de 2 000 ans. Il a été ballotté entre les empires ottoman, perse et russe. En 1801, les Géorgiens ont cru signer avec la Russie un traité de coopération à égalité, alors qu’il s’agissait d’une annexion. Aujourd’hui, pour les Géorgiens, le protecteur américain est idéal, car il est fort et lointain. Depuis la chute de l’URSS et l’appropriation des moyens de production par l’ancienne nomenklatura, le capitalisme sauvage a bonne réputation, et la Géorgie a voulu être un bon élève. Il y a une avenue Bush à Tbilissi. Ce n’est nullement incompatible avec la persistance des statues de Staline (un Géorgien est un Géorgien).

L’idée de transformation sociale?

Dans le Caucase, les mouvements nationalistes en 1918 qui s’opposaient à la bolchévisation se réclamaient de la social-démocratie. La chute de l’URSS est vécue comme une libération nationale, mais une aspiration démocratique commence à poindre .

Bien sûr, les inégalités se développent : pour un retraité, la situation est singulièrement moins bonne aujourd’hui qu’à l’époque de l’URSS. Mais pour l’ancien cadre du PC devenu cadre de la banque...

En Azerbaïdjan, des luttes syndicales, d’abord dans le pétrole, commencent à apparaître. L’idée d’une société plus juste refait surface.

Que faire?

On repart de très loin. La priorité, c’est de développer les contacts. Les gens que nous rencontrons ont une information misérable sur les mouvements sociaux extérieurs. Pour prendre l’exemple d’Israël-Palestine, leur première source d’information, ce sont les juifs russes émigrés en Israël. Le silence médiatique, le silence des organisations de gauche sur la répression des manifestations en Arménie, les morts et les prisonniers politiques (si je mets de côté la FIDH et les mairies de Lyon et Villeurbanne), ce n’est pas raisonnable.

Soit dit en passant, pour un Caucasien qui vient dans un forum social européen ou mondial (et il faut vraiment multiplier les possibilités de rencontres à ce niveau), voir des faucilles et des marteaux est un choc.

Par Roger Devaneuse.

1. Mais aussi dans des sections «parallèles» le monde des Sourds, un coup de chapeau à Robert Kramer, la production Bretagne 2009 et des films de la «grande tribu» des peuples déjà reçus, la sélection enfants; des films, et également une librairie, des expos, des débats, des rencontres, un village associatif, de la musique, un journal...

2. Membre du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim), co-président de l’Association européenne des citoyens (Réseau international Helsinki Citizen Assembly), auteur de Guerre et Paix dans le Caucase

3. Éditions Non-Lieu, 2009