Les élections européennes de juin 2009 ont marqué une forte progression des droites conservatrices au Parlement européen. L’accélération des politiques libérales de santé s’attaque, entre autres, aux droits des femmes à la contraception et à l’avortement. Ce contexte semble redonner confiance aux opposants à l’IVG. Néanmoins, les tenants de l’ordre moral sont confrontés à une progression de la laïcisation des États européens et cherchent de nouveaux alliés.
La nébuleuse chrétienne-conservatrice est composée de dizaines de structures1, soutenue par le Vatican et sous la pression des intégristes catholiques, protestants ou orthodoxes et relayée par de nombreux mouvements, associations et partis (en particulier de droite extrême2 ou d’extrême droite3.) Cette nébuleuse s’oppose à tout ce qui remettrait en cause les commandements divins et prétend, ainsi, défendre « le droit à la vie ».
Dans la plupart des pays d’Europe, ce combat s’enracine, avant tout, dans les mobilisations contre les lois favorisant l’accès à la contraception et à l’IVG. Mais le projet politique des partisans de l’ordre moral les mène à se prononcer en matière de sexualité, de reproduction ou de mort. Ainsi, selon l’actualité, ils bataillent sur la bio-éthique, l’homoparentalité, l’euthanasie ou le suicide…
Ils sont traversés par des débats sur les formes et les objectifs de leur lutte. Jeanne Smits4 résume parfaitement cette contradiction et souligne la façon de la dépasser, dans la préface à la proposition de « loi pour la vie »5 du Centre Charlier et de l’Agrif6, concernant la législation française : « Faut-il abroger la loi Veil ? Voilà une question qui suscite mille réponses, même parmi les adversaires de l’avortement. Beaucoup d’entre eux répondent : « Peut-être si le peuple français l’accepte » ; ou bien : « Non, efforçons-nous plutôt de la faire appliquer de la façon la plus restrictive possible » Mais se satisfaire ainsi d’une situation où il est devenu légal de tuer des innocents, c’est accepter que le droit français soit au service de la culture de mort. Pour autant, il faut proposer, à la place de la loi Veil, autre chose que le statu quo ante. […] Une « loi d’orientation, destinée à protéger toute vie humaine dès ses débuts, mais aussi, à soutenir et à stabiliser les familles, à reconnaître leur rôle de bases de la société. »
Des pratiques « inégales et combinées »
En 1995, Fiametta Venner7 classait les différentes pratiques des opposants à l’IVG, selon les circonstances : le lobbying, la constitution d’un lobby économique, la mise en place de réseaux de médecins et de personnels hospitaliers se réfugiant derrière la « clause de conscience », la création de maisons d’accueil et d’associations d’information ou encore des actions directes (les actions commandos ayant, en France, subi un coup d’arrêt dans les années 1990 grâce à la loi Neiertz, soutenue par les associations féministes, créant un délit d’entrave à l’IVG, il s’agit essentiellement des manifestations de rue).
Toutes restent d’actualité, mais, de nos jours, les formes privilégiées sont :
- le lobbying en direction des parlements nationaux, du Parlement européen, du conseil de l’Europe et même de l’ONU. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer comment le « député italien Luca Volontè, tout frais émoulu mais soutenu par le Vatican, a battu, le 25 janvier à la présidence du groupe majoritaire du Parti populaire européen (PPE) le député UMP de Seine-et-Marne Jean-Claude Mignon ».8 Luca Volontè s’était fait remarquer quelques semaines plus tôt comme principal opposant à deux résolutions du Conseil de l’Europe : l’une reconnaissant le droit à l’avortement (néanmoins adoptée), l’autre s’opposant à la discrimination anti-homos (en passe d’être adoptée). À l’ONU, l’association C-Fam veut un million de signatures pour son « appel international pour les droits et la dignité de la personne humaine et de la famille ». En France, en 2003, l’amendement Garrot tentait de créer un délit d’IVG « par la petite porte ». Dans les dernières semaines, l’organisation d’extrême droite Les Identitaires invitait à réagir contre la campagne d’affichage du conseil régional d’Île-de-France;
- la multiplication de maisons d’accueil et d’associations d’information. En France, l’association SOS Futures mères fait, dans ce domaine, figure d’ancêtre (cette association est rattachée à Laissez-les-Vivre fondée en 1971). L’association traditionnaliste Union des nations de l’Europe chrétienne (Unec, à laquelle est affilié le parti Solidarité-France) n’est pas en reste depuis dix ans avec son collectif SOS-mamans. L’association Mère de la miséricorde, créé en 1982, décide de « porter les femmes dans la prière » pour qu’elles choisissent d’« accueillir la vie » 9 ;
- les manifestations de rue. Dans l’État espagnol, l’association Derecho a vivir s’oppose au projet de loi permettant aux femmes de décider librement d’avorter dans un délai de quartoze semaines. Elle met plusieurs centaines de milliers de personnes dans la rue le 17 octobre 2009 et reste très active depuis. En France, chaque année, bien que peu massives mais loin d’être ridicules, deux « Marches pour la vie » sont organisées à l’initiative de l’extrême droite tandis que la droite parlementaire impulse la Life parade.
Alors que, en 1993, les femmes polonaises ont été victimes d’une profonde régression concernant le droit à l’IVG ; qu’au Luxembourg, l’IVG n’est possible qu’en cas de viol et de risque pour la santé mentale de la femme ; qu’en Irlande du Nord, l’IVG est drastiquement limitée et qu’en République d’Irlande, les femmes qui avortent sont considérées comme des criminelles, les anti-IVG risquent fort de mobiliser leurs troupes en défense des législations nationales réactionnaires.
Intégristes de tous les pays…?10
Bien loin du « choc des civilisations » et de l’antagonisme de l’intégrisme chrétien à l’encontre des autres religions (négationnisme, racismes…), des convergences entre les fondamentalistes des trois religions monothéistes s’opèrent depuis une bonne dizaine d’années, lorsqu’il s’agit de combattre les droits des femmes.
La stratégie « œcuménique » impulsée, dans les années 1990, par le Vatican et relayée par l’association états-unienne, Human life international (créée en 1981, présente dans 53 pays), a permis le ralliement de certains responsables juifs et musulmans sur la base d’un antiféminisme et d’une homophobie structurelle ainsi que la création du concept d’« impérialisme contraceptif ».
Ainsi, c’est unis que les intégrismes bataillent, côte à côte, lors de la Conférence du Caire sur la population et le développement, en 1994, pour que les états soient libérés de toute contrainte en matière de planification familiale.
En juin 2000, la Conférence Pékin+5, visant à adopter une plateforme d’action destinée à améliorer la condition des femmes dans le monde, vit, sous la pression des intégrismes, toutes les avancées majeures, comme la lutte contre les discriminations homophobes ou le droit à l’avortement, rejetées. Les Nations unies adoptèrent même un article reconnaissant que « la religion, la spiritualité et les croyances jouaient un rôle central dans la vie des hommes et des femmes ». Et depuis, l’alliance perdure.
L’opposition à l’IVG et l’offensive des tenants de l’ordre moral est multiforme et prend des allures géostratégiques. Face à cette situation, les campagnes unitaires de la gauche sociale, politique et associative et le renforcement des associations féministes telles que la Coordination des associations pour le droit à la contraception et à l’avortement (Cadac), le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) ou encore la Marche mondiale des femmes sont d’actualité.
Gabriel Gérard
1. Certaines ne sont que des « relais d’opinion » via blogs ou sites Internet. D’autres revendiquent plusieurs dizaines de milliers d’adhérents dans le monde.
2. En France, le Mouvement pour la France, le Parti chrétien-démocrate voire le récent Solidarité-France, présent avec deux listes aux élections européennes de 2009 mais aussi aux prochaines élections régionales.
3. Principalement, dans l’Hexagone, le Front national et le Parti de la France.
4. Journaliste au quotidien Présent, crée au début des années 1980 dont les devises sont : « travail, famille, patrie » et « Dieu premier servi »
5. Ce texte date de 2002.
6. Ces deux associations sont dirigées par Bernard Antony, ex-dirigeant du FN. Aujourd’hui, dirigeant de la scission organisée par Carl Lang, le Parti de la France.
7. « L’opposition à l’avortement – du lobby au commando », Berg International Editeurs, 1995.
8. Le Canard enchainé, 10 février 2010.
9. Sur les méthodes de cette association, voir l’excellente enquête du mensuel Causette, n°6, janvier/février 2010, « anti-IVG, du commando au camouflage »
10. Pour cette partie voir Caroline Fourest et Fiammetta Venner, «Tirs croisés – la laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman », 2003, Le livre de poche