M. Bensaada, animateur de l’association Quartier Nord/Quartier Fort, membre fondateur du CRAP (Collectif de réflexion et d’action populaire, né à Marseille en septembre). Il revient sur les causes de la dépolitisation dans les quartiers populaires.
Le constat sur l’état des quartiers populaires est unanime et dire que leur situation est critique d’une grande banalité… une fois cette assertion posée en guise d’introduction, il s’agit de mettre en perspective une des causes majeures du marasme dans lequel vivent ou plutôt survivent ces populations. Si l’on peut rapidement se rendre compte de la détresse économique, de la précarité comme destin commun, de la stigmatisation continue des populations des quartiers populaires, il est une conclusion qui met du temps à émerger dans la réflexion : le degré de dépolitisation très avancée de ces quartiers.
À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le PCF avait déjà entamé sa chute vertigineuse, mais était encore loin de son état de décrépitude actuel. À cette époque, quelques militants communistes et quelques prêtres ouvriers vivaient et militaient au sein même des quartiers populaires y maintenant un semblant de conscience politique, à force de courage et d’abnégation, d’éducation populaire et de pédagogie…
Cette époque est révolue et les QP sont devenus d’immenses friches politiques sinistrées par le désintérêt de la gauche radicale et par 25 ans de clientélisme et d’électoralisme forcené. Le PS et l’UMP livrent une guerre sans éthique, sans morale dans ces territoires parce qu’ils y trouvent la garantie d’y assouvir de façon concrète une sensation de pouvoir absolu. Le besoin « puéril » et féodal à la fois de détenir des bastions, des bureaux de vote dont les résultats feraient pâlir d’envie de nombreux dictateurs. Ces « prés carrés » (pseudo) démocratiques font partie du folklore clientéliste, ils en sont l’expression publique affichée. Ainsi dans certains quartiers, seules certaines affiches fleuriront, tandis que dans le quartier voisin ce seront celles d’un concurrent.
Le vrai défi pour le NPA dans les QP n’est pas de répondre ou de devancer les attentes de cet électorat mais de s’inscrire comme acteur principal de leur re-politisation. Les slogans, la littérature militante, les tracts, les réunions n’auront de prise sur les habitants que si le NPA n’est plus perçu comme une entité exogène, qualité qui fait douter nos concitoyens de la sincérité de nos implications à leurs côtés parce qu’ils sont échaudés par les pratiques caricaturales et humiliantes auxquelles les ont habitués le PS et l’UMP. Il faut, me semble-t-il, éviter de voir les QP comme une masse compacte homogène et de sombrer dans un romantisme militant qui nous ferait considérer leur problématique de façon manichéenne. C’est l’erreur que fait le Comité invisible dans L’Insurrection qui vient. Celles et ceux qui ont commis ce texte sont sincères mais ils y projettent le fantasme d’une révolte à venir sans tenir compte de la réalité crue et de la complexité de la psychologie collective des QP. Il ne suffit pas de souhaiter ardemment que Babylone brûle et de désigner le boute-feu pour que l’affaire soit faite. Pour aspirer à un changement, il faut avoir l’espoir que les choses puissent changer, or là est tout le problème, l’utopie n’est pas dans la tête de celui qui touche le RMI ou le RSA. Le rêve des lendemains qui chantent a quitté le cœur des mères isolées, il n’est pas non plus dans celui de celles et ceux qui n’héritent que de la misère, chômeurs de père en fils, précaire de mère en fille…
Toute l’abjection de la situation politique de nos QP est résumée dans le ressort honteux du clientélisme : la misère et la peur de la misère ! On promet à tous ce qu’on ne donne à pratiquement personne, et on donne si peu que c’en est désespérant, mais hélas ça marche. Le clientélisme est le cancer politique de notre démocratie parce qu’il s’attaque au particulier comme au travailleur social ou au militant associatif. Le droit d’exprimer ses idées ou de les afficher peut coûter cher, l’intimidation et les mesures de rétorsion arbitraires fixent les règles d’un combat inégal. Le NPA a tout intérêt à militer pour un renforcement du statut des travailleurs sociaux pour les extraire de l’emprise tutélaire des baronnies locales. Nous avons aussi une réflexion profonde à mener sur les relations entre le politique et l’associatif. Mais en attendant, nous devons être partout où le feu couve pour donner du sens aux accès de rage légitime, nous devons être attentifs à la façon dont les luttes se mènent parce que, face aux partis institutionnels, notre salut réside dans le harcèlement continu (Guérilla politique intra-urbaine) plutôt que dans le choc frontal. Dans nos quartiers, le pire côtoie le meilleur mais à l’instar d’une centrale hydro-électrique le NPA doit canaliser la force et l’énergie populaire de ces quartiers pour la transformer en matière hautement politique. La tâche est gigantesque mais elle est indispensable.
Mohamed Bensaada