Les 22 et 23 janvier derniers se tenaient les rencontres intitulées « Puissances du communisme (de quoi le communisme est-il aujourd’hui le nom ?) », organisées par la Société Louise-Michel en collaboration avec l’Université Paris 8. Nous vous en livrons un compte rendu rapide...
Les conférences et le succès qu’elles ont rencontré – puisqu’on estime à 600, le nombre d’auditeurs lors des quatre demi-journées – témoignent du regain d’intérêt incontestable pour la réflexion sur le communisme, dont BHL, interviewé dans le Nouvel Obs, face à la nouvelle anti-star, Slavoj Zizek (chemise immaculée de l’un contre tee-shirt informe de l’autre ) se dit absolument terrorisé !
Même si la réflexion sur le marxisme n’a jamais cessé depuis Althusser, la voilà désormais plus en vue. Le succès du livre Empire de Negri et Hardt y avait déjà contribué, et la récente publication du livre de Badiou, l’Hypothèse communiste, bien médiatisée, renouvelle cet intérêt. Dans sa lancée, ce dernier a organisé à Londres pendant l’hiver 2009, avec grand succès encore, un colloque autour de cette idée communiste, qu’il revendique. L’initiative de Daniel Bensaïd, qui lui a consacré ses dernières forces, aidé de Samuel Johsua, s’inscrit bien dans la logique de ce renouveau.
Les différents titres des tables rondes traduisaient toutefois un certain désarroi de la réflexion : Un communisme sans Marx ?, Un communisme sans histoire ? À la recherche du sujet perdu, Des communistes sans communisme.
La problématique lancée était donc de savoir qui, désormais pouvait devenir l’acteur du renversement du capitalisme et de quelle manière.
Pas de théorie vraie
La réponse qui a fait l’unanimité a été qu’il fallait bel et bien en finir, une fois pour toutes, avec l’idée d’une science politique porteuse d’une théorie vraie.
Autrement dit, l’idée qu’un parti puisse détenir la vérité est désormais une porte fermée comme le dit Samuel Johsua. C’est ainsi que la phrase de Marx la plus souvent citée était extraite de l’Idéologie allemande : « Pour nous, le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’ordre des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement. »
La question que soulève ce passage reste celle de savoir si un programme est inutile ou même dangereux ; mais il y en une autre : le capitalisme peut-il accoucher tout naturellement d’un communisme qu’il porterait en ses flancs ? L’alternative serait donc le forceps ou les voies naturelles ? Mais, pour filer la métaphore, la société d’aujourd’hui est-elle grosse du communisme ?
Deuxième réponse unanime, Hardt et Negri se trompent quand ils disent que le capitalisme a déjà créé ses propres fossoyeurs.
Selon eux, face à l’empire capitaliste, se dressent déjà des formes nouvelles de résistance micro-politiques qui manifestent un puissant désir de communauté humaine, par le biais du travail immatériel. Christian Laval désavoue ouvertement cette hypothèse en soutenant que, bien au contraire, la nouvelle gouvernance mondiale brevète, privatise, isole à outrance. Loin d’avoir creusé sa tombe, le marché capitaliste a envahi la totalité du réel, il s’immisce jusque dans les consciences.
Un autre accord s’est encore noué autour de l’idée que des gisements, des foyers de communisme sont déjà là, aujourd’hui.
Christian Laval a cité l’Appel des appels auquel il a participé et qui réunit des acteurs de domaines aussi différents que la santé, l’éducation, la psychologie, la sociologie, illustrant des capacités à réunir nos protestations contre cet envahissement des politiques managériales.
D’autres rappellent les expériences d’Amérique latine, les mouvements des indigènes. La colère est bien là, souligne Isabelle Garo. Le prolétariat au niveau mondial n’a jamais été aussi massif, remarque Samuel Johsua, mais il reste à savoir ce qui peut l’unifier. Question soulevée aussi par Elsa Dorlin au sujet de la lutte des femmes.
Dernier accord, en l’absence de théorie vraie et de mouvement révolutionnaire immanent, il faut définir, ensemble, un entre-deux.
François Cusset l’a défini comme un entre-deux entre mysticisme et mélancolie. Nous ne sommes ni des visionnaires messianiques ni des intellectuels postmodernes revenus de tout. Nous n’avons pas de projet alternatif prêt à l’emploi, mais gardons-nous d’entretenir un rêve vide, conseille Isabelle Garo.
Il nous reste alors à établir les conditions d’un entre-deux, entre la construction d’un nouveau sujet et la recherche de celui qui est déjà là, entre le programme ficelé et le risque de la spontanéité.
Quelques polémiques
La table ronde « Des communistes sans communisme ? » où est intervenu Jacques Rancière a attiré 450 auditeurs, très jeunes pour la plupart. Rancière refuse l’idée selon laquelle l’histoire aurait un sens. Il n’y a pas de but à atteindre, mais il croit en l’émancipation. On inventera, dit-il, des futurs qui sont inimaginables.
Le communisme est bien ce vers quoi nous allons, mais l’égalité n’est pas le but, au contraire, elle est le point de départ. Elle repose sur une hypothèse de confiance. À la question d’un Zizek, dubitatif, qui a demandé à Rancière si cela autorisait la pratique du tirage au sort, la réponse, très nette, a été positive.
Un des bons moments passés à entendre Rancière fut aussi lorsqu’il ironisa sur la spontanéité organisée des mouvements révolutionnaires qu’il opposa aux apparentes rigidités bureaucratiques en réalité complètement condamnées, le plus souvent, à l’improvisation. Aucun stratège révolutionnaire ne sait jamais où il va.
Christian Laval qui intervenait à la table ronde « À la recherche du sujet perdu » s’en est pris à l’économisme pur et dur qui consiste à croire qu’on ne fera plus de politique lorsque la propriété privée et l’État auront disparu. La mise en place d’un cadre politique démocratique est nécessaire pour élaborer un nouvel objectif stratégique, la création du Commun. Partout, dans les quartiers et sur les lieux de travail, la recherche peut commencer pour inventer le communisme. Il ne s’agit pas à proprement parler de biens déjà là, qu’il faudrait se partager, mais de mettre ensemble des valeurs, des codes, des liens. Le Commun, c’est ce qui résiste à la logique du marché : les ressources naturelles, la solidarité dans le travail, les connaissances, l’art et la science dans la gratuité etc.
Comme Rancière et les autres, Laval pense que la rationalité néolibérale n’a pas détruit la subjectivité rebelle de masse. Rien n’interdit que le principe du Commun devienne majoritaire car, conclut-il, en citant l’essai sur le don de Mauss, « Nous n’avons pas qu’une morale de marchands. »
Isabelle Garo qui participait au débat « Un communisme sans Marx ? » a rappelé que ce dernier fut bien le défenseur de la théorie autant que de la pratique. Le communisme se présente dès lors comme un chantier, mais sans le plan préalable de l’architecte ni la simple improvisation hasardeuse.
La Commune de Paris reste l’expérience emblématique dont il faut s’inspirer. Le passé guidera le présent tout en s’en émancipant.
Pour conclure
Samuel Johsua et Henri Maler ont énoncé les synthèses positives de ce colloque.
Souscrivant au refus d’ériger le parti en guide absolu, Johsua fait remarquer que ni la LCR ni le NPA n’ont formulé d’idées nouvelles. Les revendications des femmes, des homosexuels, des écologistes, des immigrés ont été élaborées ailleurs. Le rôle du parti est donc de fédérer des mouvements. Pas de programme, dit-il, mais tout de même, un programme de recherche.
Maler, qui est intervenu assez tôt, aurait pu avoir le mot de la fin. Il a osé le mot programme, mais en insistant sur l’invention collective. Nous ne partons pas de rien, même si rien n’est tracé ; il y a déjà beaucoup chez Marx, plus libertaire qu’on ne l’a dit : mais le communisme suppose un projet qui s’adapte au mouvement réel.
« Que la liberté de chacun soit la condition de la liberté de tous », voilà bien le pari (on retrouve la référence à Pascal de Daniel Bensaïd, dont l’esprit animait ce colloque).
Un pari efficace, indispensable, possible, dit-il.
Annie Coll