Publié le Samedi 10 mai 2025 à 08h00.

Itinéraires du refus, de Jorge Valadas

Éditions Chandeigne & Lima, 2025, 270 pages, 21 euros.

C’est un récit qui navigue entre les années 1950 et les tumultueuses « années 68 » comme on a coutume de les appeler désormais. Celui d’une vie, celle de Jorge Valadas, alias Charles Reeve, né à Lisbonne en 1945. « Naviguer » n’est pas un verbe usurpé pour évoquer ses « itinéraires » : du Portugal et des côtes africaines aux États-Unis, en passant par Paris. Car c’est bien la marine militaire que déserta le jeune Jorge Valadas en 1967 par refus de la guerre coloniale. Peut-être pas le premier refus, puisqu’il fut précédé d’une défiance juvénile envers la religion catholique et le régime fasciste de Salazar.

L’empreinte spectrale du communisme

La forme autobiographique est ici loin de la narration tatillonne. Valadas revendique d’emblée les mots de Zweig : « Seul ce qui se veut conserver pour nous-mêmes a quelque droit d’être conservé pour autrui ». Au gré de ses ressouvenances, place est donc donnée à l’enfance et l’adolescence de l’auteur, à son expérience de la famille, dans un Portugal où, malgré la dictature, l’empreinte spectrale du communisme et de l’émancipation fait parfois effraction dans le quotidien. C’est la matière des cent premières pages — et de ses vingt-deux premières années — dans lesquelles se forge sa rébellion contre l’ordre du monde.

Déserteur de l’armée coloniale, clandestin et révolté donc, Jorge Valadas arrive à Paris. Il y « fait » 68 (merveilleux chapitre « lutte de classe aux Folies Bergère »). Y découvre un marxisme extra-parlementaire et anti-autoritaire et « [passe] vite et avec plaisir, de Que faire de Lénine à ­comment faire sans Rosa Luxemburg ».

Exilés rebelles

En 1972, c’est peut-être la première traduction en portugais de Marxisme contre dictature, accompagnée d’une cargaison des Cadernos de Circunstância (revue lusophone d’obédience conseilliste) qu’une équipe, dont est Valadas, fera parvenir clandestinement à Lisbonne… par sous-marin !

À distance des partis et des organisations de l’extrême gauche, Valadas/Reeve publie aux Cahiers Spartacus. Il rencontre d’autres exilés rebelles comme lui : le trotskyste vietnamien Ngo Van, l’ancien membre du POUM Francisco Gomez dit « Paco ». Outre-Atlantique, il est reçu par les Mattick.

La révolution des Œillets de 1974-1975 lui permet de revenir au Portugal — où il ne se réinstalle pas. Au travers de ses allers-retours (la collection qui accueille le livre porte le beau nom de « Brûle-Frontières »), les derniers chapitres offrent une réflexion sur l’exil. Pour Jorge Valadas, « un chemin choisi » dans lequel puiser « éthique et force de vie ».

Théo Roumier