La crise économique conjuguée à la politique libérale du gouvernement a pour effet de mettre les départements au bord de l’asphyxie, avec des conséquences dramatiques sur les services publics et les personnes les plus fragiles.
La politique libérale menée par le pouvoir en place n’en finit pas de produire ses effets délétères dans notre pays. Pour preuve, le cri d’alarme lancé début janvier par l’Assemblée des départements de France (ADF) en vue d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’état catastrophique de nombreux départements incapables de boucler leur budget. Le 6 janvier dernier, Claudy Lebreton, président de cette assemblée, a présenté à François Fillon un Mémorandum en faveur des départements en difficulté1. Cette note est édifiante à plusieurs titres. En premier lieu, elle témoigne de l’ampleur de la crise qui frappe les départements en pointant les responsabilités de l’État. Ensuite, elle révèle au grand jour l’absence de réelle réponse de la part des élus, en particulier ceux de la gauche sociale-libérale, du fait de leur refus de remise en cause des fondements du système capitaliste. La récente décision de Claude Bartolone de voter un budget en déséquilibre pour la Seine-Saint-Denis est loin de constituer une réponse politique suffisante à la faillite des départements les plus pauvres et à la crise sociale qui frappe leurs habitants.
Crise économique et collectivités locales…
Les conseils généraux ont arrêté leurs orientations budgétaires pour 2010 dans un contexte financier particulièrement tendu marqué notamment par :
- une baisse de 1,7 milliard d’euros au titre des droits de mutation consécutive à un ralentissement de l’activité immobilière,
- une stagnation des dotations de l’État qui ne progresseront que de 0,6 %, soit la moitié du taux d’inflation prévu,
-la non-compensation des dépenses sociales (allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap, revenu de solidarité active, etc.)2 alors qu’elles progressent fortement,
-la réforme des collectivités territoriales décidée par l’État sans concertation,
-la suppression de la taxe profes- sionnelle.
À ce jour, 25 départements reconnaissent avoir des difficultés à boucler leur budget pour 2010 et une note du conseil général de Saône-et-Loire prévoit qu’en 2014, c’est la totalité des départements qui ne pourront faire face à leurs échéances financières.
Une des conséquences de cette situation va être l’aggravation des inégalités et le transfert de l’impôt des entreprises vers les ménages. En effet, pour tenter de redresser leurs comptes, les départements augmenteront la fiscalité locale, rendront payants les services publics ou en augmenteront le prix pour ceux qui donnent déjà lieu à tarification (par exemple les transports scolaires). Enfin, il est prévisible que les collectivités vont réduire leurs investissements avec des conséquences inévitables sur les entreprises et l’emploi. Avant d’en arriver à ces extrémités, les représentants des départements les plus exposés se sont regroupés pour saisir l’État et obtenir de sa part les moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions.
… le parti socialiste reste sans réponse
Le conseil général de Saône-et-Loire fait partie de « ces départements au bord de l’asphyxie financière », pour reprendre le titre des Échos du 17 février 2010. Afin de trouver une solution, Arnaud Montebourg, son président, a engagé son action dans trois directions :
- la mise en place d’un plan de sauvetage comprenant 82 mesures d’économie drastiques en 2010, ce qu’Arnaud Montebourg qualifie lui-même de « faire du sarkozysme par procuration obligatoire »3,
- l’assignation de l’État devant le Conseil d’État pour non-versement des compensations dues (son conseil général vient d’obtenir gain de cause à propos du financement de la protection de l’enfance et s’apprête à engager d’autres contentieux pour d’autres prestations, imité en cela par plus de 50 départements),
- enfin, le président du Conseil général de Saône-et-Loire est l’un des initiateurs du mémorandum, cité précédemment, en faveur des départements en difficulté.
Dans son mémorandum, l’ADF avance cinq pistes de nature à permettre aux départements d’affronter l’effet de ciseaux actuel (se traduisant par la diminution de leurs recettes et l’augmentation de leurs charges). Mais, une analyse attentive des mesures proposées montre qu’elles se résument à de simples ajustements des règles comptables et n’auront dans le meilleur des cas qu’un effet limité, et au pire des incidences perverses. En effet, allonger la durée d’amortissement de droit commun pour les subventions, ne plus inscrire au budget certaines charges d’investissement ou accélérer le transfert à la section de fonctionnement des subventions d’équipement ne constituent pas des réponses à la hauteur des enjeux. Ces dispositifs ne visent qu’à repousser à plus tard des charges financières que les départements n’arrivent plus à supporter sans remettre en cause la politique de casse des services publics. Aujourd’hui, au moment de présenter leur budget, certains départements ont décidé de mettre l’État en demeure de leur venir en aide.
Vers une mise sous tutelle des départements
Début avril, Claude Bartolone, président du conseil général de Seine-Saint-Denis, a annoncé son intention de présenter un budget en déséquilibre, un « budget de révolte » selon ses propres mots, pour protester contre la non-compensation par l’État des charges décentralisées, comme le RSA. Il estime à 640 millions d’euros la dette de l’État à l’égard de son département depuis 2004. Sept départements, dont deux gérés par la droite, ont fait écho à la décision de Claude Bartolone en annonçant leur intention de saisir le Conseil constitutionnel. Face à ce début de fronde, Alain Marleix, secrétaire d’État aux collectivités, a évoqué la saisie de la Chambre régionale des comptes et le placement du département sous la tutelle du préfet. Cette crise institutionnelle est grave mais elle ne doit pas faire oublier la crise sociale qui n’en finit pas de s’étendre.
État des lieux de la France qui n’arrive plus à vivre
Le plus préoccupant dans cette faillite annoncée des collectivités territoriales et des services sociaux qui leur sont attachés, c’est sa traduction dans le quotidien de la majorité de la population vivant aujourd’hui en France. Derrière le caractère abstrait et froid des chiffres, on devine les ombres de celles et ceux que le pouvoir en place refuse de voir, les personnes handicapées, les malades, les personnes âgées, les chômeurs, les familles pauvres. En effet, ce sont ces mêmes personnes qui subissent de plein fouet les effets de la crise avec la perte de leur emploi, le mal-logement4, les difficultés pour se soigner et se nourrir. En 2010, la France, 5e puissance économique mondiale, ne permet pas à une grande partie de sa population de satisfaire ses besoins élémentaires5.
Patrick Saurin