Pendant deux ans, malgré les dérapages et les excès, et en dépit des résistances, tout avait plutôt bien fonctionné. Armé d’un plan global de « modernisation de la France » destiné à la « sortir de l’immobilisme », autrement dit à remodeler brutalement la société sur le dos des classes populaires, le sarkozysme avançait comme un rouleau compresseur. Les choses ont commencé à se gâter après la victoire en trompe-l’œil des européennes. Un an plus tard, rien ne va plus.
On ne compte plus les initiatives, petites ou grandes, qui se retournent contre Sarkozy et son gouvernement. Au raté de la campagne contre le virus H1N1 a succédé celui des zones noires après la tempête Xynthia. Les déclarations sur les bonus des dirigeants d’entreprises sont venues s’échouer sur le double salaire d’un Proglio, nouveau président d’EDF. Les acquis du « Grenelle » de l’environnement, la conversion de la droite à l’écologie, sont partis en fumée après l’échec de Copenhague et le retrait de l’impopulaire taxe carbone, dont la portée avait été comparée… à l’abolition de la peine de mort ! Le débat sur l’identité nationale, censé arrimer au gouvernement les électeurs d’extrême droite, a remis en selle le Front national et contribué à la plongée électorale de l’UMP.
Tout ce qui fait la spécificité du bonapartisme sarkozyen est maintenant devenu source d’affaiblissement et d’instabilité. Ainsi, en premier lieu, de « l’hyper-présidence » qui range les ministres au rang de simples exécutants. Traditionnellement sous la Ve République, le Premier ministre jouait le rôle d’un fusible qui protège le président et lui permet, dans une certaine mesure, de poser à l’arbitre s’élevant au-dessus des conflits. Aujourd’hui, c’est Fillon qui est devenu le point d’ancrage et de stabilité de la droite, et Sarkozy le problème. Son exposition en première ligne fait ressortir tous ses défauts de « style », sévèrement mis en cause par Juppé. Une succession d’affaires (Jean Sarkozy et l’Epad, le procès Clearstream avec Villepin, la « rumeur » et les services secrets) montre le président sous le visage peu avenant de celui qui privatise l’État à son service… et à celui de sa famille. La « frénésie de réformes » et la « multiplication des annonces », marques de l’hyperactivité sarkozyenne, sont tout autant contestées à droite, où l’on estime que trop de mesures restent dépourvues d’effets.
La droite dans tous ses états
La lourde défaite des élections régionales a révélé et accéléré une crise profonde. L’idée du parti unique de la droite, opératoire lors de la présidentielle de 2007, montre toutes ses limites dès lors que le chef-président est frappé de discrédit. Du coup, tout l’édifice se lézarde. Les centristes de la majorité se regroupent et affirment qu’ils présenteront leur candidat à la présidentielle de 2012. Copé, qui joue son propre jeu, est accusé par les dirigeants de l’UMP d’ériger le groupe parlementaire qu’il préside en concurrent du parti présidentiel et de « malmener l’équilibre institutionnel ».
Sarkozy n’apparaît plus comme candidat naturel à sa succession. Pour le sénateur UMP de l’Orne, Lambert, « ses méthodes nous entraînent droit dans l’abîme », « il n’est pas en situation de faire gagner nos idées en 2012. » Du coup, les appétits s’aiguisent et les prétendants se pressent. Victimisé et revigoré par l’acharnement judiciaire « d’un seul homme », Villepin se porte candidat et annonce la création de son parti, indépendant de l’UMP. Juppé se présente à son tour comme un recours, tandis que les noms de Copé et Borloo circulent.
Un moteur évident de ces divisions est la crainte de perdre le pouvoir en 2012, voire le contrôle de la situation avant cette date. D’autant que, pendant ce temps, l’opposition se restructure. « Martine Aubry est jugée crédible » à l’UMP (Le Monde, 10avril), contrairement à l’adversaire préférée de la droite, Ségolène Royal. L’hypothèque Bayrou désormais levée, le terrain se dégage pour la formation d’une nouvelle union de la gauche. Même sur les retraites, Aubry et la direction du PS ont fini par trancher en faveur d’un positionnement à gauche, prenant le contre-pied des « modernistes » de leur parti qui plaidaient pour un accord d’union nationale. Tout indique que le PS va reprendre, démagogiquement bien sûr, un discours plus traditionnel. À l’instar du Pasok en Grèce qui, après avoir à la surprise générale adopté un programme « keynésien » et « social », avait remporté dans les urnes une victoire écrasante… pour conduire ensuite, une fois revenu au gouvernement, l’offensive la plus brutale jamais menée contre les travailleurs de ce pays.
Un discours délégitimé
On peut s’étonner du contraste entre la difficulté des mobilisations à faire reculer le gouvernement et l’ampleur de la crise qui secoue la droite. L’explication réside évidemment dans la crise économique, suffisante pour laminer les instruments de légitimation de la politique sarkozyenne. Le divorce avec le salariat est global et profond. La crise économique a fait voler en éclats le discours du « travailler plus pour gagner plus ». Une mesure telle que la défiscalisation des heures supplémentaires apparaît en plein jour pour ce qu’elle est, un simple cadeau au patronat. De même, le bouclier fiscal perd tout semblant de justification économique, pour se transformer en un véritable boulet.
La même cause produit des effets de même type en détournant du gouvernement des couches sociales qui lui étaient majoritairement acquises. Par exemple, les agriculteurs auxquels la réforme de la politique agricole commune (PAC) devient insupportable. Ou encore, nombre de petits et moyens patrons qui se trouvent pris en étau entre la contraction de leurs marchés et les exigences de rentabilité des grands groupes dont ils dépendent. Sur un autre plan, l’aggravation, logique en temps de crise, de « l’insécurité » (par-delà sa mise en scène par la droite et les médias), ne peut que renvoyer vers l’extrême droite une partie des électeurs que Sarkozy lui avait soustraits.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que de nombreux parlementaires de droite, Juppé, Copé et d’autres, plaident à différents niveaux pour « plus de solidarité en temps de crise », avec comme première cible le bouclier fiscal. Tout comme Villepin, qui va plus loin en remettant en cause les suppressions d’emplois massives dans la fonction publique.
« Ça va mal finir… »
La réaction sarkozyenne à la débâcle des régionales a été de ne rien changer sur le fond et de tenter de calmer le jeu à droite, notamment en intégrant dans le gouvernement des sensibilités jusque-là écartées. Le plan à deux ans est de réussir la contre-réforme des retraites grâce au concours des directions syndicales, et d’user Fillon au maximum avant un changement de Premier ministre, allant de pair avec une « pause dans les réformes », qui permettraient de postuler pour un second mandat dans des conditions un peu meilleures.
Y parviendra-t-il ? Le mouvement ouvrier et populaire détient en grande partie la réponse. Il y a deux ans, l’ancien ministre de droite François Léotard publiait un pamphlet intitulé ça va mal finir. Mal pour eux, donc mieux pour nous… Dans tous les cas, aujourd’hui, une mobilisation populaire de grande ampleur ferait inévitablement surgir l’exigence : dehors Sarkozy et son gouvernement !
Jean-Philippe Divès
Des divisions plus profondes?
La question se pose de savoir si, en arrière-fond des divisions de la droite, pourraient se manifester des divergences d’intérêts entre secteurs du patronat ; certains plus liés aux services et à la finance, d’autres à l’industrie ou à des branches industrielles. On note en tout cas que si le discours du Medef reste inchangé, accroché à une ligne consistant à exiger « toujours plus » dans le sens de la contre-réforme, l’UIMM (patronat de la métallurgie) adopte en public une position un peu différente : « Force est d’abord de constater que la conjoncture économique de 2010 n’est plus celle de 2007. La crise, avec les pertes massives d’emplois sur le plan social, rend nécessaire de revisiter certaines mesures certes utiles mais qui sont peut-être devenues moins prioritaires au regard d’une reprise économique encore timide et de la poursuite de la hausse du chômage pour quelques mois encore », lit-on ainsi dans son bulletin de conjoncture du mois d’avril.