Le 16e congrès de la IVe Internationale s’est déroulé du 23 au 28 février en Belgique. Des débats riches se sont tenus sur les perspectives d’organisation des anticapitalistes et des révolutionnaires sur fond de crise majeure du système capitaliste.
Le congrès de la ive Internationale qui a eu lieu fin février en Belgique marque une étape importante pour cette organisation. Après une période de croissance importante en termes de nombre d’organisations et de membres de ces organisations, au lendemain de la vague de radicalisation des années 1960/1970, les années 1980/1990 avaient, jusqu’au milieu des années 1990, marqué un net repli, en phase malheureusement avec la dynamique générale de la lutte des classes. Le congrès de 2003 avait marqué un renouveau et la reprise d’une dynamique, notamment à la faveur de l’émergence du mouvement altermondialiste, après la manifestation emblématique de Seattle en 1999. La lutte anticapitaliste, révolutionnaire, internationale reprenait tout son sens. Les actions communes et les échanges entre militants venant d’horizons divers ouvraient de nouvelles perspectives.
Création de partis anticapitalistes
C’est justement dans la foulée de ce congrès qu’ont pris corps le projet, déjà annoncé au congrès de 1995, après la fin des régimes bureaucratiques en Europe de l’Est, de construction de partis anticapitalistes larges et celui d’une nouvelle Internationale rassemblant des organisations, des courants, des militants révolutionnaires de diverses traditions, mais unis autour de la nécessité d’une action internationaliste pour renverser le capitalisme et construire une société démocratique débarrassée de l’exploitation. En 2003, l’affiliation à la ive Internationale du RPMM philippin, organisation populaire, solidement implantée et venant de la tradition maoïste, était le symbole de ce renouveau.
Mais parallèlement, ce congrès annonçait une crise politique à venir avec la majorité de la section brésilienne, résolue à accompagner l’expérience du gouvernement Lula, malgré l’engagement de celui-ci à appliquer un programme néolibéral. Les sept années qui nous séparent de ce congrès de 2003 ont vu se développer plusieurs dynamiques, dont témoignent les débats et les résolutions adoptées le mois dernier. Le mouvement altermondialiste qui a marqué cette décennie a aussi été percuté par des débats stratégiques importants, notamment dans deux pays qui en étaient les locomotives à l’échelle de leur continent : le Brésil, évidemment, et l’Italie avec la crise de Rifundazione (PRC : Parti de la refondation communiste), fragilisé par son soutien au gouvernement Prodi. Dans les deux cas, la question clef qui s’est imposée a été celle de la gestion des États, sans rupture avec les politiques libérales imposées par les organisations capitalistes internationales. Des forces de gauche, se réclamant de la défense des travailleurs et de la transformation sociale, peuvent-elles se trouver impliquées et collaborer à de telles politiques ?
Socialisme du XXIe siècle
Dans le même temps, la dynamique créée autour du Venezuela, de la Bolivie et de l’Équateur a pris la relève de la polarisation politique en Amérique latine, avec la remise au premier plan du débat sur ce que pourrait être le « socialisme du XXIe siècle ». À noter aussi l’évolution des pays d’Europe de l’Est : plongés à nouveau au cœur du monde capitaliste, après des années de bouleversements sociaux et économiques, ils retrouvent les chemins de l’organisation syndicale et politique indépendante et subissent de plein fouet la crise capitaliste. À la faveur des mouvements contre la dette et des actions contre les politiques impérialistes, l’Afrique et les pays d’Asie ont vu, eux aussi, se créer des réseaux d’organisations anticapitalistes.
L’Europe, enfin, soumise au rouleau compresseur des politiques libérales de l’Union européenne est un vivier traditionnel d’organisations et de mouvements anticapitalistes, peu capables de représenter une force visible, dynamique, alors que, au Portugal, en France, au Danemark, entre autres, des expériences de construction de partis anticapitalistes larges ont été menées avec succès ces dix dernières années. Une nouvelle question cruciale pour l’humanité, la question des changements climatiques, s’est également imposée. Après le sommet de Kyoto, celui de Copenhague a montré l’incapacité, le refus même, des États capitalistes d’affronter cette question qui, pour être résolue, suppose la remise en cause radicale de la soumission aux intérêts des groupes capitalistes, à la logique de la globalisation libérale. Ce congrès de la ive Internationale a été en prise avec ces questions. Grâce à la présence de délégations, de partis venant des cinq continents, avec des militants protagonistes de ces débats et de ces mutations, chaque intervention apportait un éclairage qui, à la fin, permettait d’obtenir un point de vue global qui ne soit pas l’expression de sa propre situation nationale.
Force et faiblesse de la IV
La ive Internationale a montré en même temps dans ce congrès sa force et sa faiblesse. Sa force, par sa capacité à rassembler des dizaines d’organisations révolutionnaires et anticapitalistes, membres ou non de la ive Internationale, mais partageant les mêmes objectifs. Témoin : l’annonce de l’adhésion d’une organisation russe, issue des nouvelles générations de l’après-Gorbatchev ; annonce, aussi, du rapprochement de nos camarades du Labour Party of Pakistan qui mènent un combat déterminé contre la guerre impérialiste et contre la chape de plomb des courants fondamentalistes réactionnaires ; la présence et les propositions des camarades vénézuéliens de Marea Socialista qui cherchent à rassembler la gauche révolutionnaire en Amérique latine… Présence aussi de la délégation du PPP (Parti polonais du travail), construit à partir du syndicat Sierpen 80. Et bien d’autres, évidemment, du Maroc, d’Algérie, de Maurice, du Congo, du Sri Lanka, de l’ex-Yougoslavie. Avec, à chaque fois, malgré toutes les différences de situation, le sentiment de faire partie d’un même mouvement, d’une même volonté collective.
Sa faiblesse aussi, car après avoir brassé pendant cinq jours les attaques de l’impérialisme, les conséquences de l’acharnement du capitalisme libéral à écraser davantage les salariés et les populations pour sortir de sa crise, les forces de notre Internationale semblent dérisoires. Dérisoires aussi pour faire face au défi du changement climatique ou pour tracer une convergence des luttes sociales et politiques à l’échelle internationale. C’est pour cela que, dans le débat sur la construction de l’organisation internationale, les intervenants mettaient la même force sur les propositions visant à renforcer l’Internationale, ses coordinations, ses écoles de formation, ses activités communes et son élaboration collective, d’un côté… et, de l’autre, sur les propositions visant à l’ouverture de ses rangs à tous les courants révolutionnaires et à son dépassement dans une nouvelle Internationale à même de peser sur les situations régionales et internationales…
Un congrès stimulant et dynamique, donc, rappelant une phrase du poète révolutionnaire cubain José Marti, mise en exergue en 1967 par Che Guevara dans son message à la Tricontinentale : « c’est l’heure des brasiers, il ne faut voir que la lumière. »
Léon Crémieux
Qu’est-ce que la IVe Internationale ?
La IVe Internationale a été créée par Trotsky en 1938 aprés l’échec de l’Opposition de gauche au stalinisme en Russie. Elle regroupe des révolutionnaires qui veulent en finir avec le capitalisme, par l’auto-émancipation de la classe ouvriére en opposition à la bureaucratisation, et le développement de la révolution permanente en opposition aussi au socialisme dans un seul pays cher à Staline. Ainsi, la ive Internationale a soutenu et défendu les insurrections polonaise et hongroise en 1956.
Son principal théoricien, Ernest Mandel (1923–1995) a développé la théorie des trois secteurs de la révolution mondiale : la révolution politique dans les États ouvriers dégénérés, la révolution anticoloniale dans les États dominés et la révolution prolétarienne dans les États capitalistes. Cette orientation s’est traduite par l’aide aux guerres de libération, en Algérie et au Vietnam, par le soutien à certaines stratégies révolutionnaires en Amérique latine, par l’engagement des militants des partis membres dans toutes les mobilisations de la jeunesse et des travailleurs en Europe de l’Ouest et aux USA.
En 1979, la ive Internationale, percutée par les combats des femmes pour leur émancipation, a fait de cette lutte un axe fort, bientôt étendu aux luttes des gays et lesbiennes. Enfin, la ive Internationale comprend trés vite que le slogan « socialisme ou barbarie » impliquait une lutte acharnée contre la mondialisation capitaliste. Cette lutte nécessite l’ouverture à des formes d’actions nouvelles comme les forums sociaux, par exemple, et à de nouveaux partis issus d’autres cultures politiques. Lors de son dernier congrès, la question du changement climatique, comme conséquence de l’exploitation capitaliste totale, a été reconnue comme l’un des enjeux majeurs de la lutte de classes aujourd’hui.
Forte d’une quarantaine d’organisations, elle édite la revue Inprecor et a ouvert des instituts de formation à Amsterdam, Manille puis Islamabad et, depuis 20 ans, organise chaque année un camp international de jeunes : les Rencontres internationales de la jeunesse.
Entretien avec la délégation du NPA au congrès.
Le NPA était invité au congrès de la ive Internationale. Sa délégation était composée de Pierre Baton et Alain Pojolat, membres du comité exécutif.
Quelles sont vos impressions ?
Pierre Baton : Ce congrès a été passionnant car il a permis de réfléchir à de grandes questions comme la situation mondiale, le changement climatique et les tâches de la iveInternationale à une échelle mondiale, avec des militants et militantes de tous les continents et de différents pays. On voit très vite qu’il existe un patrimoine commun malgré les diversités. Les débats ont été riches.
Alain Pojolat : J’ai été très impressionné par la culture politique des militants et militantes présents. On voit qu’il y a un « trésor » culturel et politique commun à préserver. La richesse de ce congrès a été aussi de permettre à tous les invités de pouvoir intervenir dans les débats et de donner leur point de vue.
À la lumière de ce congrès, en quoi l’appartenance à une Internationale est un atout ?
Pierre Baton : On voit qu’il existe des réalités politiques diverses et contrastées – il y a quelques organisations de « masse » et d’autres beaucoup plus petites – mais ce qui domine est l’envie de construire un mouvement, des solidarités, ensemble.
Alain Pojolat : Le NPA n’a pas la conception de transformer les choses dans un seul pays ; l’internationalisme est donc une nécessité absolue et pas un supplément d’âme. Notre internationalisme n’est pas seulement européen. Il faut penser globalement les choses à une échelle la plus large possible, ce en quoi peut répondre une Internationale.
Pierre Baton: L’appartenance à une Internationale est primordiale pour ne pas penser à la place des pays en voie de développement, dits du tiers-monde. C’est une manière de ne pas se substituer, de penser, agir ensemble mais pas à la place de. C’est aussi un atout pour mieux comprendre le monde.
Comment voyez-vous, dans l’avenir, les relations entre le NPA et la iveInternationale ?
Pierre Baton : À l’heure actuelle, nous sommes dans un système bancal mais transitoire. Aujourd’hui, les membres de l’ex-LCR sont membres de la iv et ils ont une relation privilégiée avec la ive Internationale. Le NPA a été invité en tant que tel au congrès et c’est une bonne chose, il faut continuer cette relation de transparence. Mais cette situation ne peut durer éternellement. On espère que la ive Internationale se dépassera comme ce qu’a fait, au moment de la fondation du NPA, la LCR pour permettre la création d’une Internationale plus large afin que l’ensemble des militants et militantes du NPA puisse s’y retrouver.