La Coupe du monde de football qui va commencer le 11 juin prochain ne constitue pas un événement anodin. Ne pas s’y intéresser au prétexte que l’engouement pour ce jeu de balle à onze joueurs doit laisser froid tout marxiste digne de ce nom, revient en quelque sorte à négliger l’impact social, politique ou culturel de la religion au prétexte que Dieu n’existe pas.
La première raison qui doit pousser à analyser ce qui représente sûrement un des événements mondiaux les plus importants en termes sportifs (seuls les JO le surclassent en aura médiatique et en volume financier), et évidemment économiques, tient dans le lieu où se déroule cette dix-neuvième édition de la coupe du monde football : l’Afrique du Sud. Le choix de ce pays répondait pour la Fifa à de nombreux critères. D’abord d’aller tailler des croupières dans les dernières zones géographiques où prédomine encore le frère ennemi qu’est le rugby. L’occasion était trop belle de parachever un long et irréversible processus de globalisation hégémonique du ballon rond (cf. choix des USA en 1990 et du Japon-Corée en 2002), au passage, un des derniers espaces de l’industrie de divertissement où le vieux continent reste, sans contexte, le centre de gravité et de décisions incontournables.
Ensuite, il s’agissait aussi de valoriser le poids du football africain, produit d’appel incontournable d’une bonne conscience qui semble oublier par exemple les difficultés de la Fifa à exclure les Sud-Africains au temps de l’apartheid (suspendu en 1964 puis exclu en 1974, le CIO attendra 1970). Mais davantage que des championnats exsangues ou des équipes nationales pour l’instant sans palmarès, c’est l’immense réservoir de joueurs talentueux qui se trouve en quelque sorte ici récompensé, un peu à l’instar du meilleur employé du mois dans un McDo. De l’Ivoirien Didier Drogba, vedette de Chelsea, au Camerounais, Samuel Eto’o à l’Inter, et même le Ghanéen moins célèbre, André Ayew chez les surprenants promus en L1 Arles-Avignon, les stars africaines indiquent le tempo du foot mondial, comme jamais l’Afrique n’y arrive ailleurs, y compris dans la culture. En retour, le trafic des jeunes joueurs a pris une telle ampleur surréaliste et complètement décomplexée, que l’expression de « négriers du football » est entrée dans le langage courant.
Football et colonialisme
Car au-delà des idoles, se cache une dure réalité. En ce cinquantenaire de la décolonisation, le football africain n’a jamais réussi à sortir de son statut de dépendance et il est même aujourd’hui victime d’une forme insidieuse de néocolonialisme subtile, auquel s’associent tant de gloires parties en Europe, et qui reviennent au pays gérer les affaires. Le développement endogène et autosuffisant du foot africain (aujourd’hui financièrement sous perfusion de la Fifa et des sponsors) reste une lointaine perspective.
Preuve de cette relation ancillaire, de nombreux observateurs ont critiqué la politique du gouvernement et des autorités qui semblaient en profiter pour vider certains centres-ville et/ou quartiers de leurs populations miséreuses trop visibles (et souvent noires). Un constat qui résonne avec le rapport de l’architecte brésilienne Raquel Rolnik, auprès de l’ONU et de l’Unesco, qui a dézingué dans les grandes largeurs les compétitions internationales du CIO et surtout de la Fifa, occasions fréquentes selon elle de déloger des centaines de milliers de « pauvres » des zones centrales des villes afin de les « embellir », sans pour autant garantir un toit décent en retour.
Pendant ce temps, la Fifa attend la venue de Barack Obama.
Martov
À lire :
Revue Quel sport, n°12-13, « Football, une aliénation planétaire », mai 2010.
Histoire du football (Perrin)
Paul Dietschye et David-Claude Kemo-Keimbou, « L’Afrique et la planète football » (E/P/A).
Écouter :
« Ginga – The sound of brazilian football » (Mr. Bongo)
Exposition :
« Allez la France ! Football et immigration, histoires croisées », du 26mai au 17octobre à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (http://www.histoire-immi…) Yvan Gastaut «Football et immigration» (Découverte Gallimard)