La rétrospective Monet que présente le Grand Palais jusqu’au 24 janvier, vaste entreprise de « consensus culturel » autour d’un des « Grands hommes de la Nation », n’en montre pas moins les combats qu’eut à mener ce « radical de la peinture ». «Des mécontents, des radicaux de la peinture, qui ont arboré une bannière révolutionnaire quelconque », voilà ce que la presse conservatrice comprit de l’exposition de la Société anonyme coopérative d’artistes-peintres initiée par Monet, où sa toile Impression. Soleil levant allait suggérer le terme d’impressionnisme dès 1874. « Des Communards, des anarchistes », écrivit-on aussi, ce qui était exact pour nombre d’entre eux. Monet s’était réfugié à Londres lors de la guerre de 1870, et se tint généralement en retrait de la politique, sauf pour soutenir Dreyfus contre le clergé et l’armée. Athée et aussi peu militariste que possible, il partageait sans doute bien des idées libertaires de son ami Pissarro ou de l’écrivain qui fut son plus fidèle soutien, Octave Mirbeau. Mais effrayé par le théâtre social, il se fit « campagnard » dès qu’il put, à 40 ans, pour mener en solitaire son combat contre l’académisme. S’il devait enfin connaître l’aisance et la notoriété dans les décennies suivantes, il est significatif qu’il ait refusé l’Académie des beaux-arts aussi bien que la Légion d’honneur, contrairement à Rodin. Ni son amitié avec Clémenceau ni le don qu’il fit à l’État après l’armistice de 1918 de ses Nymphéas (célébration de la nature et de la vie mal reçue par ceux qui attendaient de lui un monument aux morts) n’en firent un peintre officiel, « emblème incontournable du rayonnement international de la culture française », ainsi qu’écrit en tête du catalogue Nicolas Sarkozy, tenté voilà quelques mois de faire entrer le peintre au Panthéon. Heureusement, l’exposition fait vite oublier ces piètres auspices et sa dimension de spectacle politico-commercial (« Monet money », ont écrit certains médias) par la qualité de sa présentation et son ampleur exceptionnelle (180 œuvres et un catalogue très fourni qui fera date). Les visiteurs n’y verront aucun « emblème incontournable » de quoi que ce soit, mais bel et bien Monet au travail, entre hallucination et décoration, et quelque goût de la provocation aussi. « La grande hallucination des Monet » écrivait en 1892 le critique anarchiste Félix Fénéon, des « tableaux hallucinés » écrit aujourd’hui à son tour l’un des meilleurs spécialistes du peintre, Richard Thomson, et c’est ce qu’on percevra dans ses œuvres les plus prenantes. À la fin de sa vie, Monet a relaté comment il s’était mis à peindre sa jeune femme Camille sur son lit de mort : « Voilà que l’automatisme organique frémit d’abord aux chocs de la couleur et que les réflexes m’engagent, en dépit de moi-même, dans une opération d’inconscience où se reprend le cours quotidien de ma vie. » Hors de ce moment terrible, sa vie intérieure trouva à nourrir sa peinture même des paysages les moins « pittoresques ». Mais il avait conscience aussi de n’être parfois qu’un « décorateur très habile mais éphémère », selon le mot sévère de Degas, ce qui lui fit détruire beaucoup de toiles et le conduisit finalement aux « Grandes Décorations » (dont les Nymphéas à voir à l’Orangerie au sortir du Grand Palais). L’un des grands mérites de cette exposition est de montrer cette dialectique de l’inspiration et de la décoration au fil de l’œuvre de Monet, et un autre encore est d’offrir aux regards tant de toiles d’un romantisme superbe. Gilles Bounoure
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Musée du Louvre, Paris. © Service presse Rmn / Hervé Lewandowski