La zoologie de la gauche radicale vous est mystérieuse ? Précipitez-vous sur le livre d’Irène Pereira. Clair, allant à l’essentiel, sans déformations liées à ses propres inclinations, l’auteur a produit un livre d’une grande utilité. Appuyée sur la sociologie pragmatique de Boltanski et Thévenot, elle propose un classement en fonction des « grammaires » propres à chaque courant, lesquelles conduisent à « restituer la logique qui permet de saisir la cohérence des discours et des pratiques des acteurs ». Elle nous propose trois de ces grammaires : républicaine sociale ; socialiste ; nietzschéenne. On est parfois surpris à la marge : que les « conseillistes » relèvent de Nietzsche, voilà qui surprendrait Pannekoek ; que l’engagement associatif (type Attac) relève de la première et pas de la seconde est aussi peut-être rapide. Mais on sait depuis Linné1 que la classification, même discutable, est le début d’une science. La classification de Pereira est particulièrement inspirante. D’autant qu’une fois ce classement donné, elle croise les grammaires et travaille des frontières poreuses. Et n’hésite pas à s’engager elle-même en décrivant cinq grandes structures de domination : capitaliste, théologico-étatique, rationnelle-technique, patriarcale, raciste. Les juxtaposer ne ferait guère avancer dit-elle. Mais les hiérarchiser strictement conduit à en nier certaines. Elle pose le problème et ne donne pas vraiment la solution. Pas étonnant, puisqu’il s’agit d’une question de grande envergure pour toute la gauche radicale. Le NPA en discute d’ailleurs, au point que l’auteur, tout en classant ce parti dans la grammaire « socialiste » (évidemment), le décrit aussi comme traversé par les autres grammaires. Fixer les idées et les faire travailler : voilà un livre revigorant.Samy Johsua
Les empêcheurs de penser en rond , La Découverte, 238 pages 14,50 euros1. Linné est un botaniste suédois du xviie siècle qui a mis au point une classification des végétaux.