Elle était classée parmi les « États voyous », elle est en passe de devenir un « partenaire » liée à l’Union européenne par un traité : la Libye du bouillonnant (mais désormais grisonnant) colonel Mouammar al-Kaddafi. Au pouvoir depuis un coup d’État militaire qu’il dirigea en septembre 1969, l’homme détient maintenant le record de longévité au pouvoir sur le continent africain – et dans le monde –, le potentat gabonais et françafricain Omar Bongo ayant rendu l’âme en 2009.
Certes, depuis que Kaddafi a déclaré en décembre 2003 que son régime « renonçait définitivement à acquérir des armes nucléaires ou chimiques » et « condamnait désormais le terrorisme », il s’est attiré les bonnes grâces des grandes puissances. Celles des États-Unis et de la Grande-Bretagne d’abord, de l’Union européenne ensuite. Néanmoins, Kaddafi, passant pour un chef d’État « excentrique » voire « illuminé » sur le parquet diplomatique, reste considéré comme un oiseau curieux sur la scène politique internationale.
La France sarkozyste a d’ailleurs fait l’expérience de quelques-unes de ses frasques, le vieux renard de la politique qu’est Kaddafi s’étant permis de se moquer publiquement de Nicolas Sarkozy, lors de sa visite à Paris en décembre 2007. Alors que le président Sarkozy venait affirmer devant les caméras qu’au cours de la semaine entière qu’avait duré le séjour de Kaddafi, il avait bien « abordé le sujet des droits de l’homme » avec le leader libyen, il fut démenti « en live » par l’intéressé lui-même…
Auparavant, la France officielle (celle des milliardaires et des militaires) avait cru pourvoir miser sur la Libye comme un « facteur de stabilisation » en Afrique, où ce pays cultive traditionnellement de grandes ambitions de puissance régionale. Les relations directes et personnelles qu’avait nouées Claude Guéant, conseiller à l’Élysée, avec le Libyen Moussa Koussa, dirigeant des services secrets locaux, n’y étaient pas pour rien. La France (et la Françafrique) de Sarkozy en a au moins profité quelques semaines après la visite contestée de Kaddafi à Paris. En février 2008, alors que la France aidait le président tchadien Idriss Déby à mater des rebelles tout en affirmant qu’elle « n’intervenait pas », elle a pu faire passer armes et munitions par la Libye pour les faire arriver au Tchad.
Gendarme des flux migratoires
Un des principaux intérêts des grandes puissances européennes en Libye est, cependant, le rôle de gendarme contre les « flux de migration » entre l’Afrique et l’Europe qu’on veut faire jouer à ce pays. L’Italie, dirigée par Silvio Berlusconi dans une alliance avec l’extrême droite, en a conscience depuis un bon moment. Alors que des partis « post-fascistes » et ouvertement racistes (la Ligue du Nord) participent à son gouvernement, Berlusconi avait même accepté, en août 2008, de déclarer en public la « repentance » de son pays pour le colonialisme en Libye. Mais ce n’était pas désintéressé. Les « réparations » auxquelles consentit Berlusconi alors ne sont rien d’autres que des investissements italiens à long terme en Libye. De plus, le régime libyen participait, dès l’époque, à la chasse aux immigrés « indésirables » sur la Méditerranée (l’Italie aidant, en contrepartie, à améliorer la technologie de la marine libyenne). Et il acceptait le renvoi d’immigrés refoulés du sol européen par l’Italie, sur son territoire.
Jeudi 20 janvier 2011, le Parlement européen a discuté de la conclusion d’un « accord cadre avec la Libye », portant sur une coopération en matière « de relations politiques, d’immigration et d’énergie ». Les négociations ont démarré en novembre 2008. Si elles aboutissent, elles déboucheront sur le premier traité liant officiellement l’Europe à la Libye. Celui-ci officialisera alors, à l’échelle de l’Union européenne, des pratiques déjà mises en œuvre, surtout par l’Italie, comportant le renvoi de migrants en Libye.
Droits de l’homme
Appelés à donner leur avis sur les négociations conduites par le Conseil (l’exécutif de l’Union), les parlementaires européens se sont quelque peu rebiffés, ce jour-là. Les députés de Strasbourg ont ainsi marqué leurs réserves, notamment en exigeant des « garanties minimales » de la part de la Libye avant qu’un accord cadre puisse prévoir officiellement de renvoyer des migrants sur son sol. Ils demandent ainsi que le HCR (le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) puisse être présent en Libye – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui –, et de vérifier que le renvoi forcé ne concerne pas des personnes pouvant prétendre au statut de réfugié politique. Aussi les députés européens demandent-ils des garanties minimales en matière des droits de l’homme, dans un pays dont on sait pertinemment que son régime n’en a cure.
Il est trop tôt pour dire si ces exigences minimales retarderont voire empêcheront la conclusion de ce traité. Ce qui sûr, en revanche, c’est qu’il faut dénoncer – pour nous, l’opinion publique démocratique, les militants politiques, les associations antiracistes et des droits de l’homme, les militants de la solidarité internationale – toute coopération militariste ou se faisant sur le dos des migrants, avec la dictature libyenne.
Bertold du Ryon, début février 2011.