L’onde de choc de la dernière crise du capitalisme en date se fait sentir de manières contradictoires.
Les luttes sociales se développent partout dans le monde. Des révolutions éclatent au Maghreb et au Moyen-Orient.
En France, la droite sarkozyste est en déroute. Après avoir labouré les terres du FN, elle a réussi à remettre ce parti au centre de la vie politique du pays. Et dans l’UMP qui ressemble de plus en plus à un navire sans capitaine, les querelles de chefs sont incessantes sur la politique à mettre en œuvre pour garder le pouvoir.
Mais aussi, à l’heure où la catastrophe de Fukushima fait éclater au grand jour le danger que représente le nucléaire pour les 6,5 milliards d’habitants de la planète, parviendrons-nous à assurer une transition énergétique vers des ressources durables ?
Ainsi, pour tous les anticapitalistes, la période est porteuse de grandes responsabilités et d’enjeux cruciaux. Pour le NPA, il est plus que jamais indispensable de devenir l’outil efficace pour renverser ce système. Pour autant, entre l’enthousiasme provoqué par les luttes et les révolutions et le découragement qu’engendrent la montée des idées fascistes et racistes, les attaques contre tous les acquis sociaux, nous pouvons nous sentir spectateurs, dénués des armes nous permettant de participer à un dénouement de cette crise qui irait dans le bon sens pour les centaines de millions de personnes concernées.
Dans cette situation, la lecture du livre la Politique comme art stratégique ne peut qu’être salutaire. Antoine Artous y a rassemblé un ensemble de textes, pour la plupart inédits, de Daniel Bensaïd sur la stratégie. Et si le NPA a décidé lors de sa fondation de ne pas trancher sur la manière de changer le système, cela n’empêche évidemment pas de mener ce débat, tout au contraire.
Ces textes accompagnés d’un avant-propos d’Antoine Artous présentent l’intérêt de nous rappeler que cette question de la stratégie pour un parti ne s’est posée qu’au moment de la guerre de 1914, puisqu’avant cela on parle de tactique syndicale ou politico-parlementaire. Il rappelle ce qu’on entend par stratégie : « La stratégie révolutionnaire couvre tout un système combiné d’actions qui dans leurs liaisons et leur succession, comme dans leur développement, doivent amener le prolétariat à la conquête du pouvoir » (Trotsky, l’Internationale communiste après Lénine).
Ainsi, pour Bensaïd : « Le stratégique pour nous est ce qui définit la vase sur laquelle rassembler, organiser, éduquer des militants, c’est un projet de renversement du pouvoir politique bourgeois. Car la révolution socialiste commence par cet acte politique. » (Stratégie et parti. La Brèche, 1987)
Dans les années 1970, Bensaïd parle « d’hypothèses stratégiques » : « Il ne s’agissait pas là d’une coquetterie terminologique. Un modèle, c’est à copier, avec un mode d’emploi. Une hypothèse, c’est un guide pour l’action, nourri des expériences passées, mais ouvert et modifiable à la lumière d’expériences nouvelles et de circonstances inédites. »
Les deux hypothèses qu’il développe et qui ont servi de base de réflexion à la LCR sont celles de la grève générale insurrectionnelle, qui s’applique dans les pays développés, et celle de la guerre révolutionnaire prolongée qui répondait davantage à la situation du Vietnam dans les années 1960.
Mais ces hypothèses forgées dans un temps où le parti se pensait comme avant-garde sont-elles toujours valides ?
Ainsi en est-il notamment de la notion de prise de pouvoir qui a été particulièrement contestée avec le développement du mouvement altermondialiste et avec les écrits de John Holloway (Changer le monde sans prendre le pouvoir).
Au moment où en France, 7 à 8 millions de personnes ont fait grève et/ou ont manifesté contre la réforme Woerth-Sarkozy sur les retraites à l’automne dernier ; en Grande-Bretagne, près 500 000 personnes ont manifesté contre l’austérité ; aux États-Unis, la ville de Madison dans le Wisconsin a été le théâtre d’une lutte inédite contre les coupes des budgets et les attaques antisyndicales... et la liste est longue des luttes sociales à travers le monde, l’hypothèse de la grève insurrectionnelle doit-elle être actualisée ?
Comment analyser les révolutions au Maghreb et au Moyen-Orient ? Sur quoi vont déboucher les révolutions tunisienne et égyptienne ? Les peuples de Libye, Syrie, Oman, Yémen, Barhein parviendront-ils à se débarrasser de leurs dictateurs ?
Et puis, quelle politique d’alliances notre parti doit-il développer pour peser dans les mois et les années qui viennent ?
Bien sûr, ce petit livre ne contient pas de « recettes » qu’il nous suffirait d’appliquer, mais il a l’immense mérite de remettre la question stratégique au cœur de notre réflexion.
Dominique Angelini
La politique comme art stratégique, Daniel Bensaïd, Syllepse, 140 pages, 9 euros. Avant-propos d’Antoine Artous