Jamais cet adage n’aura été vérifié d’une manière aussi provocante : en période de crise les pauvres trinquent, les riches se gobergent.
Une série d’études en France vient de le confirmer, à commencer par celle de la Banque de France sur les ménages surendettés. Ces derniers ne représentent il est vrai que 3 % de l’ensemble. Mais le scandale n’en est pas moins grand.
Ils sont 900 000, en augmentation de 17 % par rapport à 2010. Plus de la moitié gagne moins que le Smic, certains sont au RSA (460 euros par mois). Mais le niveau moyen d’endettement est de 34 500 euros, pour payer dans 76 % des cas des factures toutes simples qui se sont accumulées : loyer, chauffage, frais de santé… et pas uniquement quelques dépenses que certains pourraient considérer comme somptuaires, l’écran plat ou le téléphone portable dernier cri.
Une figure désormais « classique » domine : celle des femmes célibataires avec enfants, locataires de leur logement. Mais la progression la plus constante depuis dix ans est celle des 55 ans ou plus, qui ne retrouvent plus de travail, ou les retraités dont les revenus ne cessent de s’amenuiser depuis la succession des contre-réformes inaugurées en 1993. Des retraités qui sont souvent mis à contribution pour aider leurs enfants ou leurs petits-enfants en galère d’emploi.
Le surendettement fonctionne comme un miroir grossissant, une sorte de révélateur des maux qui frappent de plus en plus la classe ouvrière, ces sans-grade du capitalisme que sont les ouvriers, les employés, les personnels de service, les professions intermédiaires… près des trois quarts de la population active qui supportent de plein fouet les frais de la crise. Il suffit que le chômage se prolonge un peu, ou qu’il se répète souvent du fait de la précarité, que s’additionnent – en particulier pour les femmes – le temps partiel et les carrières interrompues alimentant une retraite de misère… pour que les revenus plongent bien en dessous du Smic.
Des inégalités par le haut
Pourtant, d’après une autre étude que vient de publier l’Insee sur « Les revenus et le patrimoine des ménages », le taux de pauvreté serait resté stable ces dernières années, autour de 13 %. Cela regroupe les personnes vivant sous le seuil de pauvreté (60 % du niveau de vie médian), soit un revenu inférieur à 949 euros par mois pour un ménage, en incluant les prestations sociales. Près du tiers des chômeurs sont dans ce cas.
Qu’il y ait une stabilisation du taux de pauvreté ne signifie pas que la situation ne soit pas en train de s’aggraver, aussi bien pour les plus pauvres que pour la grande masse des salariés. Car du côté des prix notamment, tout augmente ou presque. Cela concerne en premier lieu les produits de première nécessité : 15 % à 20% sur le carburant depuis septembre, 20% sur le gaz en un an, 10% sur l’électricité. Les prix des produits alimentaires suivent à des rythmes qui sont souvent de l’ordre de 10 à 20 % pour les pâtes, la farine, l’huile, le pain ou le lait...
C’est surtout par le haut que les inégalités progressent. Voire tout en haut : de 2004 à 2008, le nombre de personnes déclarant plus de 500 000 euros de revenus dans l’année a progressé de 84 %. Les 0,01 % les plus riches qui déclarent plus de 732 000 euros ont vu leurs revenus augmenter de 32,7 % durant la même période.
Parmi eux, il y a bien sûr quelques footballeurs et vedettes du show-biz qui font encore rêver les gosses de pauvres. Mais pour la plupart, ce ne sont rien d’autres que des capitalistes bien de chez nous, en général assez discrets, des héritiers disposant de quelques bas de laine à placer dans l’immobilier ou à la Bourse, où le prix des actions augmente nettement plus vite que les salaires. Or avec cette augmentation, c’est aussi la valeur de leur patrimoine qui s’élève, sans parler des dividendes distribués.
Quelques chiffres suffisent. 82 milliards d’euros : c’est le montant des profits des entreprises du CAC 40 en 2010, en hausse de 50 % par rapport à l’année précédente. 40 milliards : ce sont les dividendes qui devraient être versés cette année aux actionnaires. 2,46 millions : c’est le salaire moyen des patrons du CAC 40, en hausse de 24 % en 2010 pour leurs bons et loyaux services. En tête du palmarès : Michel Rollier, gérant de société pour le compte de la famille Michelin, avec un salaire de 4,5 millions d’euros.
Au total, ces 40patrons se sont partagé 93,3millions d’euros, soit l’équivalent du salaire annuel de plus de 6 000 travailleurs payés au Smic. Et ce n’est qu’une partie de leurs revenus auxquels s’ajoutent divers bonus et autres stock-options.
Ainsi, le PDG de Vinci, Xavier Huillard, qui affiche 2,2 millions d’euros de revenus en 2010, a gagné en octobre de la même année 846 000euros de plus en vendant une partie de ses stock-options.
La République des rentiers
On savait depuis longtemps que la crise n’est pas pour tout le monde. Mais à ce point ?
C’est la plus grave secousse depuis 1929, et malgré l’annonce d’une timide reprise, tout le système repose sur un volcan. Mais pour faire payer la population, ils s’y entendent, aidés il est vrai par un personnel politique tout dévoué.
Le plus grand scandale est évidemment celui de la dette qui n’a servi qu’à renflouer les financiers afin que ces derniers en profitent pour spéculer sur la dette publique !
Mais il y a aussi tous les autres scandales, toutes ces injustices qui s’additionnent jusqu’à l’écœurement. Un bouclier fiscal que l’on prétend supprimer mais en supprimant au passage l’ISF. Résultat : un gain net de 900 millions pour les plus riches. Ou une fiscalité sur les entreprises qui innove en permanence pour payer beaucoup moins que le taux normal d’impôt sur les sociétés, pourtant ramené depuis longtemps à un peu plus de 33 % (il était de 50 % à l’époque de Giscard et même encore à ce niveau jusqu’à 1985).
Ainsi, pour ne prendre que l’exemple du groupe Orange/France-Télécom désormais spécialisé ou bien connu en tout cas pour le suicide de ses salariés, les résultats avant impôts sont de 7,6 milliards d’euros et le niveau théorique d’imposition devrait être de 2,5 milliards. Mais il n’est que de 1,7 milliard grâce aux multiples « niches fiscales » prévues très officiellement dans le cadre du budget. Une esquive qui ne tient pas compte d’un autre scandale : la possibilité tout à fait légale d’aller planquer son fric dans les paradis fiscaux, parfois tout proches comme les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey. Cela concernerait plus d’une soixantaine de filiales pour le seul groupe Orange/France-Télécom, soit le quart de ses sociétés…
Sans parler de l’étape suivante, qui concerne directement les heureux actionnaires, avec la possibilité de bénéficier d’un abattement sur les dividendes distribués sous prétexte que l’entreprise dont ils sont propriétaires a déjà payé des impôts, du moins en théorie, et qu’ils ne vont pas payer deux fois. Et si par malheur il leur reste quelque chose à verser au fisc, il y a toujours la possibilité de se faire domicilier ailleurs, en des lieux plus cléments. Avec le droit évidemment de changer d’avis, puisque la République en matière d’amnistie fiscale sait se montrer clémente…
Prendre sur les profits
Revendiquer des augmentations de salaire mais aussi défendre les services publics de qualité financés par l’impôt sont des revendications plus que jamais vitales pour les classes populaires. C’est une bataille légitime face aux politiques d’austérité que les patrons et le gouvernement veulent nous imposer pour ne pas avoir à payer les conséquences de leur crise.
L’argent existe. C’est une question de rapport de forces, pas toujours facile à construire certes, mais que les directions syndicales ne veulent pas non plus construire, puisqu’elles laissent délibérément les luttes éparpillées, sans revendications unifiantes, et sans volonté de les faire converger.
Ce qui est légitime aujourd’hui et absolument vital, c’est de revendiquer immédiatement une augmentation des revenus de 300 euros, avec un minimum de 1500 euros net pour toutes et tous que l’on soit au chômage, en activité ou à la retraite. C’est aussi revendiquer l’échelle mobile des salaires pour compenser intégralement la hausse des prix. Et refuser toute dégradation supplémentaire des services publics au nom des déficits et de la dette.
Les patrons nous objecteront qu’ils n’ont pas les moyens ? Comme l’État ? Qu’ils ouvrent leurs livres de comptes, que les salariéEs et l’ensemble de la population commencent à se mêler de ce qui normalement ne les regarde pas dans le droit bourgeois : tous ces mouvements financiers entre les différents établissements, entre les filiales d’un même groupe… Que l’on commence enfin à s’organiser pour contrôler les rouages de cette économie folle et destructrice.
C’est un nouveau pouvoir issu des luttes que nous revendiquons pour ceux d’en bas, pour en finir avec la crise économique et écologique qui fait des ravages. La révolte est toujours là, profondément ancrée dans les consciences populaires, alimentée par un sentiment d’injustice exaspérant, même s’il n’est pas toujours facile de l’exprimer et de se battre. À nous d’y contribuer.
Une révolte, Sire ? Non… On les pendra à la lanterne !