Publié le Vendredi 19 octobre 2018 à 17h18.

La gauche et les réfugiés : capitulation en rase campagne

Il y a bien longtemps que la gauche gouvernementale a déserté ce qui constituait ses racines dans le domaine des frontières et de la solidarité internationale. L’ouverture, l’accueil des populations réfugiées, l’aide aux plus démunis, l’internationalisme, ont été jetés par dessus bord au fur et à mesure de l’alignement sur le système capitaliste.

Il n’y a plus grand monde actuellement pour s’opposer aux idées xénophobes, nationalistes, en vogue actuellement dans toute l’Europe. La gauche a déposé les armes idéologiques. Et même si cette attitude timorée ne date pas d’aujourd’hui, elle est encore plus flagrante à l’heure où des milliers de réfugiéEs fuient des pays en guerre, des dictatures, ou les désastres dus au réchauffement climatique. Et où nombre d’entre eux meurent en Méditerranée. Ces morts suscitent l’émoi, et des politiciens comme Benoît Hamon en ce moment, jouent sur la corde sensible, mais l’essentiel est ailleurs, avec la capitulation de l’ensemble de la gauche sur le thème de prédilection de la droite et de l’extrême droite : l’immigration. 

 

La gauche a déposé les armes face à l’extrême droite

En 1991, Michel Rocard, ministre socialiste, laissa sa triste empreinte en affirmant que la France ne pouvait pas accueillir « toute la misère du monde », une expression qui a fait florès depuis. Cette antienne nous est dès lors resservie ad nauseam. Les pays occidentaux auraient atteint les limites de leurs capacités d’accueil. On entend des arguments hypocrites du type : comment accueillir dignement des réfugiéEs alors que le chômage frappe la population ? Ou alors : on ne peut pas en accueillir certains pour ne pas créer un « appel d’air ». Alors que 86 % des réfugiéEs sont accueillis par des pays limitrophes de zones de conflit, des pays beaucoup moins développés que nos vieux pays européens.

La réalité est beaucoup plus prosaïque : la gauche gouvernementale a choisi de défendre la société actuelle, elle s’est positionnée du côté des puissants, dans leur guerre contre la population. On le voit parfaitement dans sa politique économique au service des patrons. C’est sous un gouvernement de gauche que le code du travail a été le plus ouvertement attaqué, avec les lois El Khomri. La gauche livre les salariéEs pieds et poings liés aux grosses entreprises. Dans ce cadre, elle ne peut certainement pas dire que le chômage est dû à l’avidité des capitalistes. Alors, elle va jusqu’à laisser entendre que la faute en incomberait aux immigréEs en général et aux réfugiéEs en particulier. 

La gauche n’a pas hésité à présenter l’immigration comme un « problème ». Fabius, sous Mitterrand, n’avait-il pas déclaré que sur l’immigration, l’extrême droite posait les bonnes questions mais apportait de mauvaises réponses ? Comme si les immigréEs étaient un fardeau, alors que leur travail enrichit ce pays depuis des lustres ! Les gouvernements de gauche successifs n’ont changé aucune des lois prises auparavant contre les immigréEs, mais les ont au contraire mises en œuvre. Hollande a exclu toute régularisation collective, et, comme tous ses prédécesseurs, a mis allègrement à la poubelle la promesse de donner le droit de vote aux étrangerEs installés sur le territoire. Alors, si un parti comme le Front national en France, et tant d’autres en Europe, peuvent apparaître aux yeux d’une fraction des salariéEs comme un parti susceptible de défendre leurs intérêts, c’est d’abord parce que le passage des différents gouvernements de gauche ont démoralisé leurs électeurs populaires. Mais c’est aussi parce que les esprits ont été préparés par les dirigeants de gauche, PS et PC confondus, qui se placent sur le terrain de la défense de la nation et des « Français d’abord ». En témoigne cette intervention de Georges Marchais en janvier 1981 : « En raison de la présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration pose aujourd’hui de graves problèmes. Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine ». Et le slogan du PCF était à l’époque « Produisons français ! », slogan qu’on peut rapprocher de la défense de l’industrie française, souvent mise en avant actuellement par les syndicats. Cela n’a guère de sens à l’heure de la mondialisation, car les monopoles français, bien de « chez nous », Renault, EDF, Orange, Veolia, Saint-Gobain, Carrefour, Alstom, Bolloré, Areva, Total, SFR, etc., sont tous largement implantés sur toute la planète. Mais de « fabriquons français » à « fabriquons français avec des Français », il n’y a qu’un pas, allègrement franchi par le FN.

L’argument le plus souvent utilisé pour ne pas s’opposer à la xénophobie ambiante, est  de ne pas faire monter l’extrême droite en se rendant sur son terrain de prédilection. Conséquence : la gauche ne développe aucun programme, aucun argumentaire sur la nécessité d’accueillir les réfugiéEs qui fuient leur pays. Et pourtant, cette politique de lâcheté devant les coups de la droite et de l’extrême droite contre les plus démunis, qui dure depuis quarante ans, a abouti sur le résultat que l’on connaît : l’extrême droite se porte comme un charme dans toute l’Europe. La stratégie visant à opposer les plus pauvres entre eux est parvenue à faire de l’immigration une question décisive pour nombre de FrançaisEs : une aubaine pour la droite et l’extrême droite, un sujet de honte à gauche. 

 

Mélenchon, des relents nationalistes

Dans ce contexte, la crainte de se mettre à dos l’électorat populaire à cause d’un programme qui paraîtrait trop favorable à l’immigration a également gagné Jean-Luc Mélenchon.

Considéré comme le plus à gauche de tous les « grands candidats » lors de la dernière présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, au lieu de défendre fermement les convictions internationalistes, et d’expliquer les causes réelles des problèmes de la population, a édulcoré son discours ces dernières années : en 2012, il avait une tonalité pro-immigrés : liberté d’installation, rétablissement de la carte unique de dix ans, abrogation de toutes les lois votées depuis 2002, régularisation des sans-papiers, fermeture des centres de rétention entre autres. Il empruntait des accents lyriques : « L’immigration n’est pas un problème. La haine des étrangers, la chasse aux immigrés défigurent notre République : il faut en finir, affirmait son programme L’Humain d’abord. Les flux migratoires se développent dans le monde, ils mêlent des motivations diverses. La France ne doit pas les craindre, elle ne doit pas mépriser [leur] immense apport humain et matériel. » À la dernière élection présidentielle, changement de ton : il insiste sur le fait d’aider les réfugiés à rester chez eux, en arrêtant les guerres notamment – certainement avec une baguette magique ? « Je n’ai jamais été pour la liberté d’installation, je ne vais pas commencer aujourd’hui », expliquait-il en 2016. Et depuis, il met en cause les migrations économiques : « Pour l’instant, il n’y a pas moyen d’occuper tout le monde, alors je préfère le dire », a-t-il déclaré sur France 2 en 2017. 

Mélenchon accrédite l’idée d’un lien entre immigration économique et chômage, ce que l’histoire et les comparaisons internationales invalident, selon les termes du spécialiste des migrations, François Gemenne, « au début des années 1930, la France a pratiqué l’expulsion massive des étrangers, sans remédier en rien au manque d’emplois ; des pays comme le Canada comptent de nombreux immigrés économiques, mais très peu de chômeurs. De plus, régulariser uniquement les clandestins titulaires d’un contrat de travail risque de s’avérer périlleux, puisque la condition de sans-papiers contraint justement à travailler au noir »

 

Les seuls étrangers, les patrons

Et pourtant, touTEs les militantEs et sympathisantEs de gauche savent que ce ne sont en aucun cas les « étrangers » qui sont la cause de la misère, mais bien les grandes sociétés capitalistes, d’origine française ou non. Ce sont elles qui, dans la période d’après-guerre, avaient besoin de travailleurEs pour la reconstruction, allant jusqu’à organiser des réseaux pour faire venir de la main-d’œuvre à bon marché en provenance du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Et aujourd’hui, alors que cette main-d’œuvre non qualifiée n’est plus aussi nécessaire dans nos pays, pour cause de délocalisation des centres de production industrielle dans des pays à bas coût, les politiciens au service de la bourgeoisie prétendent que les étrangerEs viennent manger le pain des Français. 

C’est comme cela à chaque crise économique. Ce qui change, c’est le discours de la gauche. Par exemple, à la fin du XIXe siècle, lors de la grande dépression, la gauche affichait un discours cohérent sur l’immigration, en prônant la nécessaire alliance entre travailleurs français et immigrés contre le patronat : « Les ouvriersétrangers (Belges, Allemands, Italiens, Espagnols) chassés de leurs pays par la misère, dominés et souvent exploités par des chefs de bande, ne connaissent ni la langue, ni les prix, ni les habitudes du pays, sont condamnés à passer par les conditions du patron et à travailler pour des salaires que refusent les ouvriers de la localité », écrivaient par exemple les socialistes Jules Guesde et Paul Lafargue en 1883. Cette ligne fut celle des principaux partis de gauche pendant les décennies de croissance du XXe siècle, puis pendant ce qu’on a appelé les « Trente glorieuses » d’après-guerre.

Les fractures sont apparues pendant les périodes de crise : dans les années 1930, alors que le chômage explose à la suite de la crise de 1929, des pétitions circulent pour demander l’expulsion des étrangers. Le socialiste Ramadier présente un texte prévoyant de stopper l’immigration. Quarante ans plus tard, la crise des années 1970 va de nouveau voir les socialistes et les communistes se renier. 

Or, les travailleurs immigrés ne font pas seulement partie intégrante du prolétariat. C’est le prolétariat dans son ensemble, dans toutes les métropoles industrielles du monde, qui s’est formé par l’immigration. Par vagues successives, au gré des cycles économiques, au gré des relations de subordinations établies entre les différents pays du monde, le capitalisme a apporté de la main-d’œuvre là où il en avait besoin. Il a contraint des générations de prolétaires, venus des campagnes, à s’installer dans les villes, ou d’autres,  venus d’anciens pays colonisés, à trimer dans les nouveaux centres de productions. Et c’est bien grâce à eux, à leur travail, que nos pays ont pu devenir des pays riches.

Heureusement, que ce soit à l’initiative de l’extrême gauche, d’ONG, de simples citoyens ou de municipalités, partout en Europe, des initiatives d’accueil se multiplient. Depuis les sauvetages en Méditerranée jusqu’à la vallée de la Roya ou au camp de Grande-Synthe, en passant par les militants syndicaux qui soutiennent les luttes sur la régularisation des sans-papiers, est donnée à voir une autre réponse que celle défendue comme la seule possible par tous les gouvernements, droite et gauche confondues.

Régine Vinon