Comme toute forme de domination, le racisme n’est pas d’abord une idéologie. Il est d’abord une expérience concrète faite et subie par des dominés. Il est donc impossible de le combattre sans partir des formes concrètes qu’il prend.
Démontrer qu’existe aujourd’hui un racisme ciblant spécifiquement les Musulmans ou les Rroms n’est pas encourager une communautarisation ou une ethnicisation des combats. C’est se donner les moyens de lutter dans la réalité telle qu’elle se présente. C’est ensuite se donner les moyens de lutter contre le racisme tant ces formes spécifiques qu’il prend sont, en fait, les voies permettant de faire sauter des tabous sur d’autres formes du racisme que les luttes antérieures avaient rendu moins acceptables par la société.
Tel est donc l’enjeu de cet article. Démontrer la spécificité et l’actualité de certaines formes de racisme, démontrer que ces formes sont construites (il y a un racisme d’Etat, un racisme des élites), démontrer qu’elles ont une fonction dans un système de domination globale. De convaincre alors de l’urgence absolue à mener le combat aux côtés des premières victimes de ce racisme et des pistes sur la stratégie à mettre en oeuvre. Tâche bien ambitieuse ! Si du moins il y contribue, il aura été utile.
Des cibles spécifiques ?
Même si les attaques contre les Musulmans et les Rroms sont évidentes, l’idée qu’elles construisent un racisme les visant spécifiquement est contestée jusqu’au sein de la gauche comme en témoignent les réticences contre le terme d’islamophobie.
Précisons que nous ne définirons pas ce que seraient un ou une Rrom ou un ou une musulmane. Il est du ressort de chacun de choisir (ou non) parmi ses identités multiples et quand le faire. C’est ainsi avec de fortes réticences que Daniel Bensaïd avait décidé de revendiquer l’identité de Juif et dans le seul but de contester que certains puissent parler « au nom » des juifs pour défendre l’Etat d’Israël. Notons simplement, pour la suite, que l’assignation à une identité est un des ressorts du racisme largement indépendant des choix des individus concernés et particulièrement révélateur de la construction en jeu. Ainsi le nombre de Rroms vivant en France tel que recensés par le Conseil de l’Europe est 20 fois supérieur aux chiffres cités par ceux qui y voient un problème. Dans le discours raciste, qu’il soit gouvernemental ou « populaire », les Rroms sont les habitants de bidonvilles. Souvent originaires de Roumanie ou de Bulgarie ils et elles ne sont pourtant pas tous Rroms.
Le 14 septembre 2010, Viviane Reding, commissaire européenne, fait une déclaration à propos de la France qui va faire scandale. « J’ai été personnellement choquée par des circonstances qui donnent l’impression que des personnes sont renvoyées d’un Etat membre juste parce qu’elles appartiennent à une certaine minorité ethnique. Je pensais que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Seconde Guerre mondiale. [...] C’est une honte. » Elle vient de prendre connaissance d’une circulaire du ministère de l’Intérieur du 5 août qui vise les Roms en exigeant le démantèlement de leurs camps « en priorité ». Or les Roms ne sont pas censés exister pour l’Etat français qui ne reconnaît que les nationalités.
Ce qui fait alors scandale n’est pourtant pas la circulaire mais le parallèle établi par la commissaire européenne. La circulaire sera retirée. Pas la politique qui la sous-tend ni les démantèlements de camps ni les expulsions et surtout pas les propos qui les justifient. Pourtant ce qui les justifie c’est l’idée exprimée par Nicolas Sarkozy selon laquelle les Rroms n’ont pas « vocation à s’intégrer » dans la société française. A l’époque de son tristement célèbre « discours de Grenoble » à l’été 2010, un certain Manuel Valls s’indignait : « on désigne des populations à la vindicte ». Le même Manuel Valls, devenu ministre de l’intérieur, reprendra pourtant la politique du gouvernement précédent et ses justifications pour démanteler les camps : « les occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays, pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution. »
Le racisme repose sur une essentialisation de catégories de la population en fonction de la couleur de leur peau, de leur origine – réelle ou supposée –, de leur religion. L’essentialisation est une réduction de l’identité des personnes concernées (par définition multiple : sexe, genre, origine, histoire personnelle, classe sociale...) à une seule identité exclusive , non choisie, présentée comme déterminant les pensées et comportements et constituant des groupes homogènes (les femmes, les Musulmans, les Rroms, les Arabes, les Noirs...). Il serait dans la nature des individus de ces groupes de se comporter de telle ou telle manière définie selon des stéréotypes, sans que rien ne puisse les changer ni leur volonté propre ni les facteurs sociaux.
Pour Manuel Valls, en ce qui concerne les Rroms, cette essentialisation repose sur des bases culturelles. Cela n’y change rien, car l’identité Rrom, non choisie, est pour lui déterminante. Il reprendra même l’expression de Nicolas Sarkozy selon laquelle les Rroms « n’ont pas vocation à s’intégrer ». Et quand la culture est ainsi exclusive et déterminante, le racisme biologique n’est pas loin. Eric Fassin cite les exemples de cette biologisation des Rroms pris dans des déclarations publiques, des articles de journalistes, des réactions de « riverains »1. Le 24 août 2010, dans France Soir, la fille adoptive de Chirac dira « ils vivent comme des rats », tandis que Jean-Marie Le Pen, à Nice, le 4 juillet 2013 s’attaquera à « quelques centaines de Roms qui ont dans la ville une présence urticante et, disons... odorante ».
Parler d’islamophobie ?
Les mêmes ressorts sont à l’oeuvre concernant les Musulmans, discours essentialisants et lois et pratiques discriminatoires. Les discours sont allés si loin dans la société française (depuis la théorie de « guerre des civilisations ») qu’un théoricien de l’extrême-droite, Renaud Camus, peut aujourd’hui développer une théorie appelée « le Grand remplacement » - théorisant la fin de la civilisation occidentale par l’islamisation de l’Europe au travers du remplacement des Français de souche par l’immigration – sans susciter de scandale. Un portrait complaisant d’un candidat du FN – issu de la droite – lors des dernières municipales illustrait dans une der de Libération2 son ouverture d’esprit par la présence côte à côte dans sa bibliothèque d’ouvrages de Renaud Camus – dont il partage les thèses – et d’ouvrages de Proust, d’Eluard ou de Stendhal !
Les lois (contre le port du voile à l’école, contre le port de la burqa dans l’espace public) visent spécifiquement des pratiques revendiquées par des musulmanes. D’autres, comme la loi récente visant des présumés candidats à la guerre en Syrie, visent implicitement des musulmans.
Cela ne fait qu’une dizaine d’années que des études officielles sur le racisme ont intégré la question du racisme anti-musulman dans leurs enquêtes. Celles-ci concordent pour noter un développement de cette forme de racisme à tel point que, dans son rapport 2011, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) conclut : « si on compare notre époque à celle d’avant la guerre, on pourrait dire qu’actuellement le musulman, ou le Maghrébin, a remplacé le juif dans les représentations et la construction d’un bouc émissaire ». Etudiant les différents rapports existants Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed écrivent que « au delà du rejet du hijab, c’est l’ensemble des actes rituels de l’islam qui feraient l’objet d’une défiance croissante et quasi continue depuis 2008 ».3
Pour déterminer ce qui relève d’un racisme spécifiquement anti-musulman, des chercheurs ont utilisé la méthode du testing en envoyant aux entreprises des CV que seul le marqueur religieux distinguait (au travers de « détails » tels que le prénom ou un stage fait pour l’une dans une association caritative chrétienne et l’autre musulmane). Pour 100 réponses positives obtenues par Marie Diouf, Khadija Diouf en obtient seulement 38.4
On parlera donc désormais d’islamophobie comme moyen permettant de définir la forme de racisme visant spécifiquement les musulmans ou plutôt, ceux et celles, comme pour les Rroms, qui sont assignés à cette identité, qu’ils et elles soient ou non musulmans.
Une construction historique : actualité et recyclage
L’origine du regain de la romophobie actuelle est claire. Elle se développe, à l’initiative des politiques d’Etat, suite aux migrations provenant des pays d’Europe de l’Est après l’éclatement de l’URSS et l’intégration de certains pays à l’Union europénne. Rappelons qu’en 2004 une dizaine de pays issus du bloc de l’Est intègrent l’Union européenne suivis par la Roumanie et la Bulgarie en 2007 ce qui signifie, à terme, l’instauration de la libre circulation entre ces pays et la France.
Dans le cas de ce qu’on appellera, à la suite de Vincent Geisser, la nouvelle islamophobie5, son origine se fait en étapes qui révèlent là encore le rôle joué par les élites politiques et médiatiques et notamment par les politiques d’Etat. Au cœur de celle-ci se trouve l’assimilation de plus en plus explicite musulman = islamiste = terroriste. Au début des années 1980, alors que le gouvernement de gauche élu en 1981 effectue un tournant « vers la rigueur », se développent des luttes de travailleurs dans l’automobile et des luttes dans les quartiers populaires. Dans l’automobile ces luttes sont menées par des OS, ouvriers à la chaîne, qui sont en très grande majorité des travailleurs immigrés maghrébins. Dans les quartiers, ce sont leurs enfants qui s’organisent contre le racisme et les violences policières. Ce sont les travailleurs qui seront d’abord attaqués par le gouvernement (et les médias) avec de nombreuses déclarations ministérielles expliquant qu’ils sont « manipulés par les ayatollahs » et s’attaquant à leurs pratiques religieuses6. A Poissy, début 1985, le gouvernement fait intervenir la police pour déloger les occupants de l’usine. Des centaines de travailleurs blancs, ouvriers professionnels, accueillent les CRS en chantant la Marseillaise et au cri de « les Arabes à la Seine ». Au début des années 1990, dans le contexte de la première guerre du Golfe puis de la montée du FIS en Algérie, commencent les premières « affaires du voile » et l’accumulation de lois d’exception au prétexte de la lutte contre le terrorisme islamiste. Les occupations de l’Afghanistan puis de l’Irak après les attentats de septembre 2001 seront l’occasion d’une explosion d’islamophobie.
Ces formes de racismes, dont tout démontre qu’elles sont alors construites, politiquement et médiatiquement, ne partent cependant pas de rien. Elles puisent dans un imaginaire et des préjugés qui avaient déjà été construits antérieurement même s’ils avaient reculé. C’est ce qui leur donne une efficacité « populaire » qui permet aux élites de renverser les choses en situant le racisme dans le sens commun et de lui donner une signification « naturelle ».
La nouvelle romophobie a des racines anciennes. Peuple transnational (communauté sans territoire) les Rroms ont devenus les bouc-émissaires du nationalisme émergent à la fin du XIXe siècle. Il est intéressant de noter que l’établissement des premières cartes d’identité anthropométriques en France en 1912 (qui se généraliseront progressivement à tous les étrangers pour devenir obligatoires pour les français... sous Pétain) visait les nomades auxquels les Rroms étaient assimilés et était justifié par des arguments raciaux7.
Les considérant comme « génétiquement menteurs et voleurs », la Suisse mettra en oeuvre dans les années 1930 un programme de stérilisation forcée et retirera leurs enfants aux tsiganes suisses. Bien que pouvant être considérés comme « aryens » (originaires du nord de l’Inde), ils seront visés par les nazis et de 50 à 80 000 seront massacrés dans les camps d’extermination.
La nouvelle islamophobie recycle une islamophobie qui date de la même époque de construction du racisme. Dans sa conférence à la Sorbonne en 1883, intitulée « l’islamisme et la science », Renan déclare ainsi : « Toute personne un peu instruite des choses de notre temps voit clairement l’infériorité des pays musulmans, la décadence des Etats gouvernés par l’islam, la nullité intellectuelle des races qui tiennent uniquement de cette religion leur culture et leur éducation. » Mais l’imaginaire islamophobe plonge surtout ses racines dans le colonialisme et notamment la colonisation de l’Algérie. La guerre d’Algérie est incontournable. Comment peut-on prendre position sur la question du voile sans savoir ainsi que l’armée française a utilisé le dévoilement forcé de femmes sur la place publique à Alger pour humilier les Algériens et Algériennes ?
Des formes spécifiques au racisme global
La spécificité de la romophobie et de l’islamophoie ne concerne pas seulement leur objet mais aussi leur contenu. Le racisme dominant de la fin des années 1980, développé d’abord par le Front national, prenait pour cible les immigrés qui « volent » le travail aux Français. D’où la thématique du nombre et de l’invasion (dans sa version « soft » finalement reprise par la majorité du champ politique c’est « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde »).
Avec les Rroms, il ne s’agit pas de nombre : on ne parle que de 15 000 personnes. Guy Tessier député UMP de Marseille explique en juin 2013 : « même si c’était dix, c’est encore trop. Ce n’est pas le problème du nombre, c’est le problème de notre capacité à intégrer. » Eric Fassin en conclut : « c’est une logique phobique qui nous ramène à la race, ou plus précisément à un politique de la race, dont l’échec de Viviane Reading en 2010, face à la France, marquait le retour officiel en Europe. »
En ce qui concerne les Musulmans nous sommes dans l’entremêlement des thématiques, celle du nombre et celle de la racialisation de la politique. Ce n’est pas le travail que les Musulmans sont accusés de prendre aux « Français » (qu’ils et elles sont dans leur très grande majorité). C’est leurs racines supposées, leur culture, leur religion...
Mais ces spécificités de la romophobie, de l’islamophobie comme des discours et politiques anti-immigrés, loin de s’opposer, font système et (re)construisent un racisme « classique » contre les Noirs, les Arabes, les migrants, les étrangers. Si le rapport de la CNCDH cité ci-dessus note l’importance du rôle joué par le racisme anti-musulman, il relève aussi que pour la première fois depuis qu’il existe, l’indice général de tolérance envers tous les racisés baisse de manière continue depuis 2010.
L’étude précise conduit à affirmer que l’islamophobie se développe notamment dans des catégories de la population dont les autres opinions étudiées ne correspondent pas au profil raciste ou ethnocentriste tel que le relève le CNCDH : dissonance dont la proportion croît avec le niveau d’études et est surreprésentée à gauche et au centre. L’islamophobie joue ainsi le cheval de troie d’un racisme général. « Le racisme est une monstrueuse poupée gigogne qui, une fois libérée, n’épargne aucune cible. Or c’est par le détour de sa banalisation envers les musulmans, sous couvert d’un rejet de leur religion, qu’il s’est à nouveau installé à demeure, redevenu admissible. »8
En partant des Rroms, Eric Fassin parle lui de « signifié flottant » : « passer ainsi le mistigri, c’est un jeu sans fin (...) ‘’les Roms’’ ne sont qu’un des signifiants possible de l’altérité, même s’ils en sont actuellement le plus radicalement marginalisé, et le plus violemment repoussé. »
C’est donc la première fonction de ces formes spécifiques du racisme : permettre un redéveloppement de tout le racisme. Le rendre légitime y compris auprès de fractions de la population (la gauche, les couches intellectuelles...) les moins enclines jusque là.
Pourquoi ?
Cette fonction de l’islamophobie et de la romophobie comme portes d’entrée pour relégitimer dans l’opinion une politique de la race et le racisme en général n’épuisent pas la fonction de ces formes spécifiques dans la reconstruction du racisme global.
Pour cela il faut revenir d’abord à l’origine du racisme. Le racisme n’est pas premier. Le racisme intervient pour justifier une situation qui a besoin de justification. « Le racisme est l’effet de la race et non sa matrice » écrit Eric Fassin. Le racisme, sous la forme d’un discours pseudo-scientifique sur l’existence des races, est au XIXe siècle une théorisation biologique postérieure à l’esclavage et contemporaine du développement de la colonisation. Ce qui est en jeu est la justification d’un traitement discriminatoire envers des populations (les Africains soumis à l’esclavage puis les populations du Sud) à un moment où l’idéologie développée dans les centres du capitalisme est celle, dans le domaine économique du contrat « équitable » (le travailleur est « libre » d’accepter ou de refuser un emploi) et dans le domaine politique de l’égalité des droits pour les individus et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le racisme permet de justifier que des populations soient exclues de ces principes à cause d’une différence de nature : ce sont des races inférieures.
Les justifications évolueront avec les transformations du capitalisme et les besoins des classes dominantes (notamment la fin de l’esclavage). Pourtant le racisme continuera d’être développé comme justification du colonialisme, de l’impérialisme et du traitement discriminatoire de la main-d’œuvre immigrée. « Le racisme sert à diviser ce qui devrait être uni (les exploités et les opprimés) et à unir les ce qui devrait être divisé (des exploités avec des exploiteurs) » explique le sociologue Saïd Bouamama. Le racisme sert à s’attaquer à des fractions de notre classe – les racisé-e-s –, à la diviser et à construire une identité trans-classes (occidentale, européenne, française).
De ce point de vue, encore, les spécificités des formes de racismes, loin de s’opposer, sont complémentaires. Dans une société française où l’immigration des années 1950 et 1960, considérée comme immigration de travail et temporaire, a construit des générations «issues de l’immigration » mais de nationalité française, l’islamophobie permet de justifier une discrimination qui ne dépend pas de la nationalité juridique mais de l’origine réelle ou supposée c’est-à-dire basée sur la couleur de la peau.
Elle permet aussi, par la création d’un ennemi intérieur, de justifier toutes les atteintes aux droits démocratiques ainsi qu’aux libertés, et le développement de régimes d’exception de moins en moins exceptionnels et de plus en plus permanents.
Dans le développement d’un espace européen conçu par les classes dirigeantes comme une nécessité dans la compétition internationale, la romophobie permet de justifier le développement d’entraves à la liberté de circulation des travailleurs et leur mise en concurrence à l’intérieur même de cet espace. Elle permet par ailleurs de justifier la criminalisation de la pauvreté qui est l’origine des bidonvilles et non une supposée nature rrom (ce que révèle bien cette assignation à identité rrom des habitants des bidonvilles même si ils ou elles ne le sont pas).
Bref si on y ajoute la situation faite aux migrants justifiée par le fait qu’« on ne peut accepter toute la misère du monde », ces différentes formes de racisme permettent de justifier la négation de valeurs proclamées et construisent une identité « blanche » et « française » indépendante des antagonismes de classe au nom de laquelle tout est possible dans l’affrontement entre capitaux sur le marché mondial : domination d’autres pays, exploitation de sa propre main-d’œuvre, militarisation de l’Etat...
Nulle fatalité
Analyser le racisme comme une construction historique, sociale et politique est ce qui permet de dégager des axes pour le combattre. Si le racisme est une construction historique, cela implique qu’il a un début... et peut avoir une fin. Ce qui est construit peut-être détruit. Il n’y a pas de fatalité dans le racisme.
Si le racisme est une construction sociale, cela signifie qu’il émerge dans un société donnée et répond à la logique dominante de cette société. Cela signifie d’une part qu’on ne changera pas cette société sans combattre la politique de la race et le racisme. Et on ne combattra pas le racisme sans comprendre que les races existent. Non pas biologiquement mais socialement. Parce qu’elles ont été construites, les races existent : on ne vit pas exactement les mêmes réalités en France quand on est Noir, arabe, musulman ou Rrom, et lorsqu’on est blanc. Dans ce combat il ne peut donc s’agir de lutter « pour » les musulmans, pour les Rroms ou pour les sans-papiers : ils et elles sont les acteurs et actrices stratégiquement centraux de cette lutte. Mais cela signifie aussi que cette lutte ne peut aboutir sans connexion avec la lutte globale contre la logique sociale qui construit le racisme, c’est-à-dire sans l’unité des exploités et des opprimés dans la lutte antiraciste et dans les autres luttes au-delà des races telles qu’elles ont été construites.
Enfin si c’est une construction politique cela signifie d’abord que le refus de l’altérité construite par les politiques dominantes, le refus de la politique de la race, implique la construction d’une autre (sic) altérité : celle qui oppose les politiques capitalistes et racistes aux politiques de l’émancipation. La fin du racisme ne se fera pas par hasard. Elle exige une volonté et une politique.
Denis Godard
Notes
1 Eric Fassin, Carine Fouteau, Serge Guichard et Aurélie Windels, « Roms & Riverains, Une politique municipale de la race », la Fabrique éditions, Paris, 2014.
3 Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, « Islamophobie – Comment les élites françaises fabriquent le “problème musulman” », La Découverte, Paris, 2013.
4 Claire Adida, David Laitin et Marie-Anne Vlafort, « Les Français musulmans sont-ils discriminés dans leur propre pays ? Une étude expérimentale sur le marché du travail », French American Foundation Report, 2010.
5 Vincent Geisser, « La Nouvelle islamophobie », La Découverte, Paris, 2003.
6 Denis Godard, « 1983-2013 – Le spectre de la marche pour l’égalité et contre le racisme nous hante encore », revue l’Anticapitaliste n° 50, janvier 2014.
7 Cf. Gérard Noiriel, « Le Creuset français – Histoire de l’immigration XIXe-XXe siècle », Seuil, Points Histoire, 1988.
6 Edwy Plenel, « Pour les musulmans », La Découverte, Paris, 2014.