Liana Levi, 2015, 10 eurosPinar Selek est une sociologue et militante turque connue pour ses engagements au côté des militants kurdes et arméniens, ce qui lui a valu un séjour en prison et des poursuites judiciaires dont elle fait toujours l’objet. Mais dans cet essai où le politique se mêle à l’intime, Pinar Selek s’interroge sur les modes de résistance au régime militaire et sur la différence de traitement entre Turcs, même de gauche, et Arméniens en lutte pour leur droits à l’égalité.
Son récit relate son changement de perception sur les Arméniens, en tentant de démonter méthodiquement les définitions dominantes qui leurs sont appliquées. Ainsi l’imaginaire turc à l’école kémaliste, où l’on inculque aux enfants que l’Arménien est intrinsèquement un terroriste qui met l’État en péril. Elle n’épargne pas non plus l’aveuglement d’une gauche pseudo-universaliste pour qui l’égalité se résout dans un « tous ensemble » qui se traduit par une négation de l’identité arménienne.
Ainsi, Pinar Selek met au jour une des problématiques cruciales de la construction de l’État Turc, à l’heure où, cent ans après le génocide des Arméniens de 1915, de très nombreux Turcs découvrent que leurs aïeuls étaient des Arméniens. Rescapés des massacres, convertis de force à l’Islam, ils ont caché leur « arménité » comme un secret de famille douloureux et dangereux. Trois générations plus tard, ces découvertes secouent la société turque et les fondements du négationnisme d’État. C’est contre ces coups portés par le génocide et la négation de l’autre que Pinar Selek s’indigne et réhabilite l’autre. Cet essai est une main tendue bien salutaire.
Les libraires de la Brèche et Mary Sonet