De 1946 à 1964, date de la mort de Chaissac, les deux artistes ont entretenu une correspondance, reflet de leur amitié et de leurs expériences artistiques. Chaissac, le prolétaire quasi SDF, et Dubuffet, le bourgeois, ont en commun un besoin absolu de peindre.En 1946, Dubuffet écrit : « Je ne veux pas de traces. Et je suis moi-même chaque année l’enfant de celui que je fus l’an précédent ». Il essaye tout, remet son ouvrage sans cesse en question et fait exploser les canons esthétiques de l’époque.
Chaissac, faible, malade et sans moyens, s’exprime sur tous types de supports, et avec une nécessité permanente de provoquer. Il écrit en 1951 « Je peins pour l’instant de quoi faire frémir d’indignation les spécialistes de l’art abstrait et j’en viens aux couleurs dégueulasses dont le charme est d’un prenant ». Sa production est profonde, faussement naïve, colorée et sensible, avec des aplats de couleurs vives mais sourdes cernés de larges traits noirs.
Les œuvres des deux amis finissent par avoir une certaine parenté formelle mais leur rapprochement marque aussi les limites de « l’art brut », étiquette qu’a toujours refusée Chaissac et qui sera la passion et le rêve de Dubuffet, jusqu’à en négliger ses propres travaux pour créer en 1948 « la Compagnie de l’art brut ». Chaissac ne se reconnaît pas dans ce concept qui prône l’idée de spontanéité et d’ignorance, et de plus, il n’a pas l’intention de situer leur relation dans un rapport de subordination. Les deux artistes se rejoignent dans l’éloge de ce que l’on n'appelait pas encore « arte povera », et se réfugient dans les matériaux de rebut, les « ordures », l’insolite, le vulgaire, le pauvre, le choquant...
Dubuffet survit plus de 20 ans à Chaissac. Ce fut pour lui une période de production intense, sans doute la plus connue du grand public, avec notamment des œuvres de commande monumentales et l’installation à Lausanne de la magnifique « Collection de l’art Brut ».Un étonnant Musée de la Poste qui, hors des circuits médiatisés où se ruent les foules avides de « culture », présente régulièrement des expositions qui touchent au cœur.
Ugo Clerico
Expo : Chaissac Dubuffet, entre plume et pinceauMusée de la Poste, 34 boulevard de Vaugirard, Paris 15e, jusqu’au 28 septembre.