Jusqu’au 26 février, le musée Carnavalet-Histoire de Paris présente « Le peuple de Paris au xixe siècle. Des guinguettes aux barricades », grande exposition retraçant la vie réelle ou fantasmée des Parisiens « d’en bas » au siècle des « émotions populaires ».«Le peuple de Paris s’invite chez la marquise de Sévigné », annonce plaisamment le dossier de presse, et de fait, les salons de l’aristocratique épistolière semblent risiblement étroits quand les visiteurs s’y pressent pour tenter d’approcher des quelque 350 images, objets ou documents offerts à leurs regards dans des sortes de ruelles, de corridors ou de cabinets. Ainsi, l’exposition entend évoquer l’exiguïté et l’encombrement des quartiers populaires de la capitale, et pour les petites bousculades qui en résultent, que l’effet soit voulu ou non, c’est plutôt réussi. À se demander si ce public si dense, réuni par le même désir de mieux connaître le sort fait à la majorité des Parisiens de jadis, ne préfigurerait pas des manifestations de rues aussi résolues et nourries, où « le peuple » s’inviterait dans d’autres palais, comme il le fit par exemple en 1848 aux Tuileries.
Sélectionner seulement, si l’on ose dire, quelques centaines parmi les millions de pièces conservées sur ce sujet dans les collections publiques parisiennes, à commencer par celles de Carnavalet (150 000 photographies et quantité d’autres objets en cours de numérisation ou déjà accessibles électroniquement), relevait du tour de force, et les ordonner de façon cohérente ou acceptable, tout autant. Les lieux (quartiers vétustes ou bidonvilles de la zone), les métiers, les conditions de travail et de logement, la pauvreté, et les dangers réels ou supposés qui s’y trouvaient associés, forment les thèmes successifs du parcours, avec un hommage à « l’empathique » Daumier à travers quinze de ses œuvres dont trois huiles sur bois particulièrement saisissantes, sa Blanchisseuse dépassant en pouvoir d’évocation tout ce que Zola écrirait de sa Gervaise quinze ans plus tard.
Trois expositions complètent celle-ci, à Carnavalet même une évocation très juste des Halles de Baltard, une autre sur les « grisettes », ou petites mains de la couture parisienne, à la Maison de Balzac et une dernière sur « les Parisiens au Mont-de-Piété » au siège du Crédit municipal.
Cette attention exceptionnelle des musées de la Ville de Paris aux Parisiens « d’en bas » aurait-elle à voir avec le calendrier électoral ? Quoi qu’il en soit, les visiteurs devront se prémunir contre un défaut inhérent à ce parcours thématique, l’accent mis sur des situations données plutôt que sur leur devenir, comme si le xixe siècle n’avait pas été celui des grandes transformations.
À cet effacement de la dimension historique qu’il reviendra aux visiteurs de restituer, s’ajoutent parfois des fourre-tout douteux, comme en offre spécialement la dernière salle, « Peurs sur la ville ». Non contente d’illustrer la formule « classes laborieuses, classes dangereuses », elle mêle « insurrections, bas-fonds, alcoolisme, apaches, gamin graine de délinquant », scènes de barricades et spécimens de coup de poing américain, de sorte que ce n’est plus « le peuple de Paris » qui est figuré, mais les fantasmes que s’en sont créés les héritiers de la marquise de Sévigné. Si ces rapprochements confus et confondants sont dus au manque d’espace, c’est que de tels palais sont décidément trop petits pour le peuple.
Gilles Bounoure