Jusqu’au 10 février, le musée des Beaux-Arts de Lyon consacre une exposition de première importance au surréaliste new-yorkais Joseph Cornell (1903-1972), trop peu connu en France en dépit de son influence sur les artistes de son temps et du nôtre.
Ses œuvres auraient dû figurer en bonne place dans deux grandes expositions parisiennes où on les cherchera en vain : à Beaubourg, « le Surréalisme et l’objet » omet tout bonnement le créateur le plus important (après Breton) de « poèmes-objets », dont Cornell s’était fait une spécialité. Autodidacte, il les créait avec les objets les plus divers que ses promenades et ses emplois souvent précaires lui procuraient, mettant le même soin à les exposer dans des boîtes qu’à ranger les collections hétéroclites qu’il constituait ou à photographier des œuvres d’art, persuadé que « tout peut être utile dans la vie ». Cette démarche et les matériaux qu’elle mettait en œuvre ne le rattachent-ils pas à « l’art brut » célébré par l’exposition Raw Vision de la Halle Saint-Pierre, où son nom n’est même pas mentionné ? « Ceux qui aiment le surréalisme iront à Lyon », pouvait écrire Philippe Dagen dans le Monde à propos de cette généreuse exposition, forte de près de 120 œuvres de Cornell et de 150 créations de surréalistes venus à New York, Duchamp, Man Ray, Ernst, Tanguy, etc., accompagnée d’un catalogue aussi riche et réussi.
Un précurseur plagié
Cornell ne savait ce qu’il serait « devenu sans la rencontre du surréalisme et de Breton », qui, répétait-il, lui avaient « sauvé la vie ». Vivant entre sa mère veuve et son jeune frère handicapé, d’une timidité à ne s’éprendre que de femmes hors de portée, cantatrices ou stars de cinéma, il se consacra d’abord à des collages de gravures, puis à des remontages de films qu’il collectionnait pour distraire son frère. Si l’on ne peut visiter l’exposition lyonnaise, on pourra toujours voir sur Internet plusieurs de ses films relevant de ce qu’on nomme aujourd’hui le « cinéma expérimental » et auxquels il travailla toute sa vie, Rose Hobart, créé la même année que sa première boîte Soap Bubble Set (1936), Carousel – Animal Opera, Jack’s Dream, By Night With Torch and Spear, des années 1940, Gnir Rednow et Angel tournés dans la décennie suivante, etc.
Indépendamment de leur importance pour les cinéphiles, ces œuvres rappellent aussi une dimension qu’il entendait inclure dans ses boîtes, le temps, préoccupation qu’il partageait avec Duchamp, dont il fut l’ami de 1933 jusqu’à la fin de sa vie. Reconnu comme le premier surréaliste américain, Cornell eut une influence décisive sur les jeunes artistes du temps qui lui rendirent souvent hommage, à l’instar de Motherwell en 1953 : « Aussi longtemps que Cornell vivra et travaillera, l’Europe ne pourra dédaigner l’art de notre pays ». À côté de ce que lui doivent Rauschenberg, Warhol et une bonne part de la génération « pop » se réclamant de lui, son œuvre continue de nourrir en secret l’art contemporain le plus « mainstream », telles ces déclinaisons de Pharmacy, plagiant une boîte du même titre créée par Cornell en 1943, dont Damien Hirst a tiré et tire encore des millions.
Gilles Bounoure
« Joseph Cornell et les surréalistes à New York : Dalí, Duchamp, Ernst, Man Ray... », musée des Beaux-Arts de Lyon, jusqu’au 10 février 2014.