12 euros, 196 pages, Amsterdam EDS. Commander à la librairie La Brèche. Ce 21 août sort aux Éditions d’Amsterdam le livreLa révolution féministe d’Aurore Koechlin. Il se propose d’étudier la possibilité d’une quatrième vague du féministe et de la mettre en regard avec l’histoire du féminisme pour comprendre ce qui se joue en ce moment sur la scène internationale et nos perspectives en France.
Une histoire du féminisme en France
Nous avons pour principe de ne pas tracer de perspectives sans bilan. La première partie du livre intitulée : « les féminismes historiques » revient donc largement sur l’histoire française, pour permettre de comprendre les évolutions, les courants féministes et les enjeux d’aujourd’hui. Mais ici, il ne s’agit ni de faire une simple chronologie de la seconde vague du féminisme (des années 70) qui est souvent connue des militantes féministes, mais bien de comprendre comment le féminisme « traditionnel » a évolué en lien ou parfois contre le mouvement ouvrier, dans une période et un contexte précis. Plutôt que de simplement regarder ce qu’ont défendu les féministes à ce moment de l’histoire, il s’agit ici plutôt de le comprendre le féminisme en lien avec les modifications du capitalisme, des structures du mouvement ouvrier et des flux et des reflux de la conscience de classe. Cette perspective est disons-le salutaire, car pour construire un mouvement de masse en capacité de changer la société, il est nécessaire d’accumuler les expériences du mouvement féministe et du mouvement ouvrier et de tirer les bilans des erreurs notamment celles du réformisme, mais aussi celles des postures radicales. C’est aussi dans cette partie que l’on peut se rappeler qu’une tradition marxiste et féministe a été dès le départ au cœur de la seconde vague, même si certainEs souhaiteraient sans doute effacer notre courant politique : le féminisme lutte de classe.
L’un des apports dans l’histoire du féminisme se situe aussi dans l’histoire de ladite « troisième vague » du féminisme, d’une part souvent mise en avant par les courants intersectionnels aujourd’hui comme l’aboutissement théorique du féminisme, et d’autre part balayée par le mouvement ouvrier comme étant seulement un mouvement théorique universitaire. Cette partie nous montre que la vérité se situe quelque part entre les deux : les mouvements des années quatre-vingt-dix pour l’égalité des droits des personnes LGBT ne se trouvent pas étrangers à la lutte féministe, et surtout les théories sont rarement déconnectées d’une situation politique. L’hypothèse émise par l’autrice sur la remontée des luttes de 95 et de la manifestation des femmes du 25 novembre semble en ce sens particulièrement pertinente.
Une théorie de la reproduction sociale
Ce livre se situe dans la continuité des productions théoriques issues de la fin des années soixante-dix dans le monde anglo-saxon permettant de relire le marxisme en mettant au cœur la question de la reproduction sociale (reproduction de la force de travail : travail du soin, travail domestique, éducation des enfants…). En plus de nous donner des éléments sur les productions non traduites en anglais comme le livre essentiel de Lise Vogel Oppression of women : toward a Unitary Theory qui permet de relire le Capital au travers une nécessaire vision féministe, il s’agit de comprendre comment cette théorie se traduit concrètement dans les enjeux actuels de la forme de la grève féministe internationale et des modifications de la reproduction sociale dans la crise actuelle du capitalisme : démantèlement des services publics, précariat et uberisation d’une partie du prolétariat.
Élaboration d’une stratégie
Si ces perspective théoriques et historiques sont salutaires pour le marxisme comme pour le féminisme, dans la continuité d’une série de productions théoriques ces derniers mois dont Le manifeste pour un féminisme des 99%de Tithi Bathacharya, Cinzia Aruzza et Nancy Fraser, l’importance de ce livre se joue ailleurs. Elle se situe dans la dernière partie, qui propose de réfléchir à partir des problèmes militants posés aujourd’hui en proposant une stratégie non pas avec des réponses clés en main, mais avec des pistes de réflexion pas seulement pour le mouvement féministe, mais une stratégie féministe pour notre classe.
Pour l’autrice, il faut d’abord refuser l’élitisme lié à une posture radicale qui a de plus en plus court dans certains milieux féministes mais dont certains secteurs du mouvement social ne sont pas non plus exempt : « Cette culture de la radicalité est en fait une culture de l’élection et de la distinction. Elle ne peut toucher qu’une minorité de personnes parce qu’elle ne veut toucher qu’une minorité de personnes. [...]le but n’étant pas de modifier leurs positions politiques et leurs pratiques sociales, mais de se définir par opposition à elles. Le féminisme devient un instrument de distinction. »1.
Il faut ensuite renouer avec notre histoire et refuser de caricaturer l’ensemble de la deuxième vague comme avec une vision déterministe (« cela a donné le féminisme d’état ») car il s’agit d’une vision parcellaire : « il serait préjudiciable de se priver des réflexions stratégiques si riches des XIXe et XXe siècles, de même que des expériences politiques qui y ont été faites : c’est l’héritage du mouvement ouvrier, cela doit être celui du mouvement féministe également. »2
Enfin, sortir de la radicalité de posture, c’est comprendre quelques enseignements des dernières expériences même embryonnaires, et c’est ce qu’Aurore Koechlin fait en tirant certains enseignements de son collectif féministe : d’abord comprendre l’état de conscience des masses, que ce soit la conscience de classe ou la conscience féministe, et la prendre où elle est pour la tirer en avant. C’est dans l’expérience collective que progresse la conscience. Chercher l’unité du mouvement, en construisant une politique propre des militantes féministes révolutionnaires, avec la perspective de la centralité de la grève et la mise en place d’un mouvement massif et majoritaire, c’est ce qui avancera vers la rupture révolutionnaire permettant de construire une société débarrassée de l’exploitation et de l’oppression, pour l’émancipation de touTEs.
Mimosa Effe