De Philip Roth, Folio, 2016 (réédition en poche), 9,30 euros.
Un immense romancier. À l’occasion de l’adaptation du roman au cinéma (avec un film de Ewan Mc Gregor, une tentative pas vraiment aboutie et dont nous avons rendu compte ici début janvier), Folio vient de rééditer cet authentique chef-d’œuvre.
Paru en 1997, Pastorale américaine fait partie d’une trilogie, aussi composée de J’ai épousé un communiste et de La Tache, qui suivront en 1998 et 2000. D’emblée, Roth nous emmène très loin, très haut, au paradis, au « Paradis de la mémoire », titre qui regroupe les trois premiers chapitres, dans les profondeurs de la mémoire, dans les contrées si chaudes de l’enfance…
« L’adoré venait de reconnaître son adorateur »
Nathan Zuckerman fréquente les petites classes en 1943-1944, à Newark, lointaine banlieue de New York, dans le quartier de l’immigration populaire juive. Seymour, le grand frère de son ami Jerry, accède sous ses yeux au rang de dieu des stades : a star is born… Seymour Levov devient « le Suédois » : « Personne ne possédait de près ni de loin le masque viking impassible et les mâchoires carrées de ce blond aux yeux bleus né dans notre tribu »... Et le miracle aura lieu : à la sortie du stade, entre tous, Dieu l’a reconnu et s’est adressé à lui sans intercesseur, cash : « Ça a rien à voir avec le basket, ça, la Sauterelle. Le dieu (seize ans bien comptés) venait de me transporter au paradis des athlètes. L’adoré venait de reconnaître son adorateur. »
Mais la carrière sportive du Suédois tournera court : après un passage par la case soldat, il reprend avec succès la ganterie artisanale de luxe de son père (le grand-père avait été ouvrier tanneur), et épouse Dawn, une shiksè (femme non-juive), reine de beauté (miss New Jersey 47… Jerry étudie avec frénésie la médecine. Les vies sont lancées !
Des pages magnifiques racontent ces années-là : « Rappelons-nous cette énergie… » Et Nathan deviendra un écrivain mondialement reconnu.
Le tourbillon de la vie…
C’est en 1992, lors de l’extraordinaire rencontre du 45e anniversaire de la promotion, que Jerry apprendra à Nathan la mort du « Suédois » et lui révélera le drame de sa vie : la bombe posée par sa fille en 1968 : « Un jour, la vie s’est mise à lui rire au nez et elle ne lui a plus laissé de répit ». Nathan est rentré chez lui et n’a pas trouvé le sommeil avant plusieurs heures. « Les mois qui suivirent je pensais au Suédois six heures, huit heures et jusqu’à dix heures d’affilée parfois… Je fis de lui, le temps passant, la figure centrale de ma vie ». Aucune enquête policière ne pourra reconstituer ce que fut sa vie, mais Nathan « la Sauterelle » ne le laissera pas en plan et s’attellera à ce labeur sous les aiguillons qu’il s’est choisis : « Vraisemblance globale, intelligence de la structure, subtilité des effets, puissance de l’ironie, précision de la langue, crédibilité psychologique, complexité des moyens, intérêt intellectuel ». Beau travail, Nathan Zuckerman !
Fernand Bekrich