Publié le Mardi 27 janvier 2015 à 11h36.

Roman : Marina Belleza

Silvia Avallone, Editions Liana Levi, 2014, 23 euros

Une dissection fine d’une génération de jeunes Italiens broyée par la crise, sous un angle singulier : les villages et petites villes d’une vallée encastrée des Alpes qui ont connu en quelques décennies les bouleversements de toute la vie sociale sous le double effet de l’industrialisation puis des délocalisations. Disparu le monde agricole des paysans éleveurs, renié par la génération de leurs parents, les jeunes de la vallée errent au milieu des friches industrielles, des galeries commerciales fantômes, et accumulent la révolte contre une société qui ne leur offre même pas l’espoir de se projeter en dehors de cette vallée sombrement belle.Pourtant, de l’énergie ils n’en manquent pas, mais l’absence d’une perspective globale dans laquelle l’investir la transforme en violence destructrice. Il ne se passe rien, les gens n’ont rien à se raconter, et la collectivité, c’est le partage de moments à noyer le désespoir de chacunE dans l’alcool. Pour celles et celui qui ont le plus de ressort, cette énergie est mise au service de la réussite d’un projet individuel qui les enferme dans leur solitude : pour Andrea, la survie c’est de pouvoir faire revivre non seulement la ferme d’alpage, mais aussi le mode de vie de son grand-père au rythme de son troupeau de vaches et de la fabrication fromagère. Dans une grande maison perchée dans le dernier village de la vallée, vivent deux jeunes colocataires, Elsa a fui la ville pour se réfugier dans l’étude de Gramsci, tandis que Marina Belleza rêve de fuir la vallée en se forgeant le succès à travers les télécrochets. Amitiés, amours, toutes les relations les plus intimes sont imprégnées de la violence d’une société vidée de tout projet collectif.Un roman qui rappelle l’Amérique des laissés-pour-compte du capitalisme décrite par Russel Banks, en particulier lorsque Andrea et Marina découvrent l’Arizona dont le rêve a bercé leur jeunesse. Un roman qui crie l’impasse dans laquelle la crise de ce système enferme toute la société, à commencer par la jeunesse.

Cathy Billard