« C’est le seul moyen d’attirer l’attention du gouvernement. Jusqu’ici, ils n’ont pas tenu compte de nous », a déploré Li Jiao, un riverain du site de l’explosion qui a ravagé le port de Tiantsin en Chine, pour expliquer pourquoi il manifestait.
Cette catastrophe n’a en soi rien d’exceptionnel pour ce pays. En 2014, une autre explosion dans une usine de pièces d’automobiles avait fait 146 morts. En 2013, ce sont 119 personnes qui avaient disparu dans l’incendie d’un abattoir de volailles. Les profits passent avant la sécurité et les contrôleurs sont corrompus. Mais Tiantsin s’insère dans un contexte où le « modèle chinois » semble bien ébranlé.
Bon nombre d’indicateurs économiques sont en effet en berne. Le ralentissement de la production industrielle, celui des exportations et des importations jettent un doute grandissant sur l’objectif officiel d’une croissance de l’ordre de 7 % en 2015. Pourtant, des mesures successives d’assouplissement du crédit ont été prises pour soutenir l’activité.
Le développement des marchés boursiers a été encouragé pour donner un canal supplémentaire de financement aux entreprises et aussi permettre à ceux des particuliers qui le peuvent de placer leur argent. Non seulement les couches enrichies de la population mais des Chinois dotés de revenus moyens s’y étaient précipités en n’hésitant pas à s’endetter : pour ces derniers, la Bourse apparaissait comme un moyen d’arrondir leurs économies pour, notamment, compenser les insuffisances du système de protection sociale et de retraite.
Ce sont eux qui ont été les principales victimes de la baisse de 32 % enregistrée en juillet par la Bourse de Shanghai, qui continue de connaître des soubresauts. Enfin, pour ce qui est de la devise chinoise, bien que le discours officiel justifie la dévaluation du mois d’août comme une simple adaptation aux réalités du marché des changes, elle a aussi jeté l’inquiétude sur l’état réel de l’économie et son impact sur une économie mondiale toujours flageolante.
Les coûts sociaux et écologiques de la croissance chinoise sont énormes. Les entreprises qui travaillent en Chine ont de facto le droit de polluer l’eau, l’air et le sol et de ne pas se soucier de la santé des salariés et des populations qui habitent à proximité. Les ressources naturelles fondamentales (terre, eau, air, etc.) sont dégradées et gaspillées au-delà des coûts inévitables du développement.
Jusqu’à présent, la direction chinoise pouvait d’une certaine façon présenter les dommages sociaux et écologiques comme la contrepartie, qui serait surmontée, d’une croissance économique impétueuse qui améliore le niveau de vie de la grande masse de la population. Parmi les commentaires occidentaux, nombreux étaient ceux qui, à l’instar de l’économiste français Michel Aglietta (voir « Où va la Chine ? », revue l’Anticapitaliste/Tout est à nous d’avril 2013), ne cachaient pas leur admiration devant un pouvoir supposé capable de conduire progressivement la Chine sans à-coups graves vers une économie libéralisée et la « société harmonieuse », objectif mis en avant par le Parti communiste chinois depuis 2007.
La présomption du PCC, c’est de croire qu’il peut aller vers le capitalisme en s’épargnant les crises inhérentes à ce système. Mais il n’est pas de capitalisme sans crise et, dans cette nouvelle situation, comme le déclarait un spécialiste de la Chine dans Les Echos du 13 août « les autorités chinoies semblent déconcertées ». Car au-delà, des indicateurs économiques, la question sociale inquiète les dirigeants.
Les statistiques sur les « incidents de masse » (terme officiel pour définir grèves, manifestations et toute sorte de troubles collectifs) ne sont plus publiées. Signe de l’inquiétude sur les effets du ralentissement de la croissance, le Premier ministre Li Keqiang a réaffirmé, le 10 juin dernier, sa volonté de tout faire pour combattre le chômage. Pourtant, officiellement, il stagne à 4,05 % de la population active mais, en fait, dans certaines régions, il atteindrait 10% !
En février dernier, le président Xi Jinping a décidé d’organiser quatre grands défilés militaires durant les prochaines années. Le premier aura lieu ce 3 septembre, à l’occasion du 70e anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Cet étalage de la puissance du nouveau capitalisme chinois se déroulera dans un climat plus incertain qu’il n’avait été envisagé.
Henri Wilno