La microfinance, le microcrédit étaient censés éradiquer la pauvreté en donnant aux pauvres l’accès au crédit. Mais si réussite du microcrédit il y a, il semble que ce soit davantage pour les investisseurs que pour les emprunteurs.
Depuis une quinzaine d’année, la microfinance a été plébiscitée com-me un moyen essentiel de sortir de la pauvreté par les institutions internationales comme la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI). Selon Muhammad Yunus, concepteur du microcrédit, et récompensé pour cela par le prix Nobel de la paix en 2006, avec le microcrédit, la pauvreté devait être reléguée dans une section du musée de l’Homme.
Des événements récents ont jeté une tout autre lumière sur la microfinance et ses effets sur la pauvreté. À l’automne 2010, une vague de suicides a eu lieu dans l’État indien de l’Andhra Pradesh qui a le plus fort taux d’institutions de microfinance en Inde. Plus d’une trentaine de paysannes ayant eu recours au microcrédit se sont suicidées parce qu’elles ne pouvaient plus faire face aux remboursements. L’image du microcrédit semble durablement écornée.
Le microcrédit selon Yunus
Muhammad Yunus, économiste de formation, aurait élaboré le concept de micro-crédit durant la grande famine qui toucha le Bangladesh en 1974-1975. Au contact des habitants de Jobra, un village proche de Chittagong où il enseignait à l’université, il aurait « compris » que tous ces paysans étaient enfermés dans un cercle vicieux de pauvreté parce qu’ils ne disposaient pas d’un minimum de fonds pour s’en sortir. Un dollar pourrait suffire à sortir de ce cycle infernal mais les paysans, exclus du système bancaire traditionnel, se retrouvaient à la merci d’usuriers dont les conditions pour emprunter les enfonçaient encore plus dans la pauvreté1.
En 1983, il fonda une banque spéciale pour les pauvres, la Grameen Bank. Ainsi naquit le premier établissement financier de microcrédit.
Le site de la Grameen Bank2, nous renseigne sur les principes fondateurs et le fonctionnement du microcrédit.
Le premier principe affirme que le crédit est un droit humain. Il est délivré afin de permettre l’auto-entreprise (il s’agit de micro-entreprises) pour générer des revenus ou pour permettre l’accès au logement.
Pour obtenir un crédit, l’emprunteur doit rejoindre un groupe d’emprunteurs « solidaires ». L’emprunt n’est pas basé sur un contrat légal mais sur la « confiance » avec la banque et entre les membres du groupe. Parallèlement, les emprunteurs s’inscrivent à un programme obligatoire et volontaire d’épargne.
Le résumé chiffré de la banque peut donner le vertige pour un pays aussi pauvre que le Bangladesh.
En mars 2011, le nombre d’emprunteurs atteignaient 8,36 millions parmi lesquels 97 % de femmes. La banque a 2 565 branches et travaille dans 81 379 villages du Bangladesh. Le nombre d’employés de la banque s’élève à 22 289. Depuis sa création, Grameen a déboursé l’équivalent de 10,52 milliards de dollars en emprunt et 9,32 milliards ont été remboursés. Entre avril 2010 et mars 2011, le montant des emprunts s’est élevé à 984,34 millions de dollars.
Depuis 1995, la Grameen Bank ne reçoit plus de fonds privés. Elle s’autofinance à 100 % à partir de ses dépôts. Plus de 55 % des dépôts proviennent de l’épargne des emprunteurs eux-mêmes et le montant total des dépôts représente 147 % des emprunts. Ce sont donc les pauvres eux-mêmes qui financent les emprunts.
Un business sur le dos des pauvres
Selon Muhammad Yunus et les partisans du microcrédit, la pauvreté n’est pas le résultat d’une exploitation outrancière mais le fait de l’exclusion des plus démunis du système capitaliste. « La pauvreté découle de l’incapacité des travailleurs à bénéficier des fruits de leur labeur, parce qu’ils n’ont pas le contrôle du capital »3. Il manque la petite impulsion monétaire qui permettrait à des millions de pauvres de par le monde de se transformer en autant d’entrepreneurs à compte propre.
Pour résumer la philosophie de Yunus, la pauvreté pourrait être éliminée en aidant les pauvres à se transformer en auto-entrepreneurs, ce que nous serions tous en puissance. La seule différence entre une femme bangladaise et un directeur d’entreprise serait l’accès au capital. Il faudrait donc permettre à tous ceux qui en sont privés, l’accès au marché et au système bancaire.
L’insuffisance du système bancaire et la demande croissante de crédits des ménages pauvres ont favorisé le développement des institutions de microcrédit. En Inde4 par exemple, le gouvernement évaluait à près de 300 millions, en 2005, le nombre de personnes exclues du système bancaire traditionnel. 70 % de la population rurale n’avait pas de compte de dépôts, 87 % n’avait pas accès aux crédits bancaires et 55,1 % des pauvres empruntaient de manière informelle (famille ou amis).
Le créneau est très profitable. C’est un business qui permet de faire beaucoup d’argent. L’investissement dans une institution de microfinance donne une rentabilité des capitaux propres d’environ 20 %. Le taux de remboursement des prêts est supérieur à 95 %, donc pas de risques. Cela ne provient pas du fait que les pauvres seraient plus honnêtes que les autres. Les agents de prêts sont rémunérés en fonction du nombre de clients, poussant des personnes insolvables à emprunter. Ils n’hésitent pas à utiliser le harcèlement physique et moral pour recouvrer les traites impayées…
Avec le microcrédit, nulle proposition alternative au modèle capitaliste pour lutter contre la pauvreté. Pire, l’idée selon laquelle « l’aide sociale distribuée par de nombreux pays industrialisés, dont la France, permet aux démunis de survivre, mais pas d’éradiquer la misère5» est révélatrice d’un projet néolibéral dans son essence. À aucun moment, il n’est envisagé que l’État pourrait jouer un rôle pour éradiquer la pauvreté. La microfinance investit là où l’État fait défaut : pour accéder au logement, pour se soigner, pour payer la scolarité des enfants.
Quels effets sur la pauvreté ?
Muhammad Yunus affirmait qu’il pourrait aider 100 millions de familles à sortir de la pauvreté grâce au microcrédit6. Qu’en-est-il dans la réalité ?
En fait, le microcrédit est rarement utilisé par les emprunteurs pour fonder une entreprise.
Il est utilisé dans près de huit cas sur dix pour la consommation, la santé, le logement ou l’éducation. Cette utilisation n’engendre aucun revenu qui permettrait de rembourser le prêt, d’où un accroissement de l’endettement des emprunteurs pauvres.
Derrière l’image « éthique » de la microfinance le tableau est peu reluisant.
Le principe de groupe solidaire accroît la pression sur les emprunteurs, chaque membre du groupe étant caution des autres. Ne pas rembourser signifie se couper de toute nouvelle source de crédit. Comme les familles ont accès à plusieurs organismes de microcrédit, elles empruntent à l’un pour rembourser l’autre. S’ensuit une spirale de cavalerie.
Les prêts sont proposés de manière agressive aux pauvres sans réels contrôles de leur solvabilité. Les taux d’intérêts sont dans le meilleur des cas entre 24 et 36 %, un taux jugé acceptable par Yunus et les autres promoteurs du microcrédit.
Plusieurs études indépendantes7 ont montré que le microcrédit ne favorise pas la sortie de la pauvreté. Dans la plupart des cas, le microcrédit a permis de faire des achats importants de biens durables. Après avoir contracté un emprunt les familles abandonnent certains petits plaisirs (thé, snack, tabac, noix de bétel...) pour rembourser l’emprunt.
Après dix-huit mois, aucune évolution significative de la vie des familles emprunteuses n’a été notée. L’impact à plus long terme est en train d’être mesuré.
Une autre étude réalisée au Bangladesh par une économiste bangladaise travaillant aux États-Unis, Lamia Karim8, montre que les prêts sont accordés dans 97 % des cas aux femmes mais que 95 % des demandes sont faites par le mari ou le fils de la famille. Les organismes de microfinance exploitent en fait le code social de l’honneur et de la honte en vigueur au Bangladesh, les femmes étant les garantes de l’honneur des familles. Comme les femmes sont tenues responsables en cas de non-remboursement, les agents de recouvrement n’hésitent pas à les humilier publiquement pour obtenir le remboursement des traites impayées.
Quelles alternatives ?
Contrairement aux affirmations des penseurs néolibéraux, l’État doit rester ou devenir un instrument de réduction de la pauvreté. Il doit développer des politiques sociales et des services publics pour satisfaire les demandes sociales, notamment d’éducation et de santé. L’absence d’emplois ou des salaires trop bas sont les principales causes de la pauvreté. L’État doit impulser des politiques favorables à l’emploi et à la hausse des salaires. Les dépenses occasionnées par ces politiques en faveur des plus démunis devraient être financées par une fiscalité progressive qui impose les plus riches et une taxe sur les transactions financières.
Danielle Sabai
1. Yunus Muhammad. « Transgresser les préjugés économiques ». Le Monde diplomatique, décembre 1997.
3. Yunus Muhammad. « Transgresser les préjugés économiques ». Le Monde Diplomatique, décembre 1997
4. La microfinance en Inde. Mission économique. Actualisation au 22 avril 2005.
5. Yunus Muhammad. « Transgresser les préjugés économiques ». Le Monde diplomatique, décembre 1997
6. Cité par Denise Comane. http://www.cadtm.org/Muh…
7. The Miracle of Microfinance ? Evidence from a Randomised Evaluation. Abhijit Banerjee, Esther Duflo, Rachel Glennester et Cynthia Kinnan, May 2009.
Expanding Microentreprise Credit Access : Using Randomized Supply Decisions to Estimate the Impact in Manila. Dean Karlan and Jonathan Zinman, juillet 2009.
8. Jacquemont Stéphanie. Les promesses non tenues du microcrédit : nouvelles preuves à charge