Après la grève historique pour les retraites, puis l’épidémie de Covid-19 qui a vu les transports en commun devenir de véritables foyers de contamination, la RATP cherche à tout prix à se débarrasser de tous ceux qui dérangent. Entretien avec Ahmed Berrahal, élu CGT au dépôt de bus RATP Flandre, menacé de révocation au même titre qu’Alexandre El Gamal de Vitry.
Alexandre El Gamal et toi êtes tous les deux convoqués en conseil de discipline mercredi 10 juin. La RATP envisage une sanction pouvant aller jusqu’à la révocation. Vous êtes tous les deux délégués CGT sur vos dépôts de bus et avez été des meneurs de la grève de cet hiver pour nos retraites... On imagine que ça n’a pas dû leur plaire ?
C’est ça ! Ils nous ont convoqué pendant la grève pour des soi-disant blocages de dépôts de bus, parce qu’ils n’ont pas supporté qu’on se batte pendant deux mois, dès 4 heures du matin sur nos piquets... Ils ne s’attendaient pas à une telle mobilisation donc ils ont fait ce qu’ils savent faire le mieux : la répression ! Pendant la grève la direction de la RATP a appelé la police pour nous réprimer à coups de matraques, et après la grève elle s’est lancée dans des procédures disciplinaires contre les grandes gueules. Avant le confinement il y a déjà Yassine, Patrick et François, trois camarades de la CGT du dépôt de bus de Vitry qui ont été convoqués et ont pris des sanctions lourdes de deux mois de mise à pied pour Yassine et Patrick, et une mutation disciplinaire pour François... Et puis il restait Alex et moi mais avec l’épidémie nos conseils de discipline avaient été reportés. Dès que le déconfinement a commencé, la RATP n’a pas perdu de temps et nous a convoqués pour le 10 juin.
La RATP a l’air plus rapide à réprimer qu’à prendre des mesures sanitaires pour faire face à l’épidémie non ?
Bien sûr ! Je suis aussi secrétaire CSSCT sur mon secteur et pendant toute l’épidémie on n’a pas arrêté de se battre pour la moindre mesure sanitaire. La RATP a eu un train de retard sur tout : pour stopper la vente de tickets à bord des bus et faire monter les passagers par l’arrière, pour nous fournir des masques et du gel... et le pire c’est le nettoyage des bus, une catastrophe ! Grâce à nos alertes et nos dénonciations sur les réseaux sociaux, l’inspection du travail est même venue contrôler l’état des bus et la RATP a été mise en demeure pour mise en danger de ses salariés. C’est inédit et tout ça c’est grâce à notre mobilisation sur le terrain. Mais ce qui est révoltant c’est qu’à cause de cette négligence plus de 110 agents ont été contaminés au Covid-19, et au moins neuf en sont décédés. Et encore, il y a une vraie opacité sur les chiffres... Et pour les usagers ce n’est pas mieux, on sait très bien que les transports en commun ont été un vrai foyer de contamination.
Et justement, les salariés des transports ont été en première ligne pendant la pandémie, la RATP vous a même appelés hypocritement « héros du quotidien »... Comment expliques-tu un tel acharnement contre des syndicalistes comme Alex et toi aujourd’hui ?
C’est simple, déjà ils pensent que c’est un moyen de nous faire taire, parce qu’en tant que syndicalistes on ne les laisse pas mettre les salariés en danger comme on l’a montré pendant la crise sanitaire, et qu’on ne les laissera pas vendre la RATP. On sera toujours là pour défendre le service public, se battre pour nos droits et défendre chaque collègue sanctionné, comme on le fait depuis des années ! D’ailleurs ça fait longtemps qu’ils veulent ma tête, presque tous les ans ils lancent des procédures disciplinaires à mon encontre, même si j’ai toujours gagné aux prud’hommes... Ils continuent à s’acharner. Et puis ils cherchent à faire des exemples pour intimider l’ensemble des agents de la RATP. Ils se disent que s’ils arrivent à nous mettre un genou à terre, plus personne n’osera l’ouvrir. Mais c’est hors de question qu’on se laisse faire ! Au contraire, plus ils nous tapent dessus et plus ça renforce notre détermination, surtout qu’on est très soutenus. La peur est de leur côté, pas du nôtre, et il est hors de question qu’on se soumette à ces patrons qui ne sont là que pour leurs profits !
Tu parlais de la répression policière sur les piquets de grève, et en ce moment il y a une forte mobilisation, en France comme aux États-Unis, sur la question des violences policières dans les quartiers populaires. Comment vois-tu tout ça ?
Tout ça ne date pas d’aujourd’hui, on le voit maintenant grâce aux smartphones mais quand on était jeunes c’était la même situation, les policiers venaient nous gazer en bas de chez nous sans que personne ne le sache. Moi-même j’ai grandi à la cité des 3000 à Aulnay, donc on connaît bien tout ce harcèlement policier, leurs insultes racistes... Et 30 ans après pour moi, en tant que syndicaliste, ça doit aussi être un de nos combats. Si nous qui avons été en première ligne à vivre la misère et le racisme dans nos banlieues on ne se bat pas aujourd’hui, qui le fera ? Cette discrimination on la retrouve aussi à l’embauche ou dans la recherche de logement, on sait bien que le blanc sera toujours prioritaire et que pour nous les arabes ou les noirs il faudra faire beaucoup plus d’efforts pour s’en sortir. La plupart des syndicalistes sont frileux de parler de tout ça, comme si c’était un sujet tabou, alors que c’est un combat majeur. Quand on voit cette prise de conscience sur les violences policières aujourd’hui, on se dit que c’est normal que ça explose et qu’il était temps que les gens se soulèvent. Cette révolte est légitime.
Et dans les entreprises on voit que la répression est partout en ce moment, à la SNCF, dans l’éducation nationale, dans la santé... Comment peut-on mettre un frein à tout ça d’après toi ?
Il n’y a pas de mystère, il faut qu’on soit solidaires, nous les ouvriers. Quel que soit le secteur, public, privé... on a tous intérêt à se battre ensemble face à ces patrons voyous ! Parce que la crise sanitaire l’a montré aux yeux de tous : si on laisse nos vies aux mains des capitalistes, on est morts. Même face à un virus meurtrier, on a bien vu que tout ce qui compte pour eux c’est leurs profits. Ils se foutent de nos vies et de celle de nos familles. Le gouvernement, les patrons et le MEDEF sont unis pour nous réprimer, pour ça eux ils sont solidaires entre eux ! Mais nous aussi on a la force de notre solidarité, et on ne veut pas se battre pour des miettes : on doit récupérer notre dû, le fruit de notre sueur, c’est notre part du gâteau. Les patrons essayent de nous diviser pour mieux régner mais si les salariés étaient tous unis, c’est le patron qui dégagerait rapidement !
En parlant de solidarité, que peut-on faire pour vous soutenir Alex et toi face à cette répression ?
Déjà c’est important qu’il y ait du monde pour nos conseils de discipline le 10 juin. Ils interdisent les rassemblements de plus de 10 personnes, soi-disant pour notre santé, mais tout ça c’est du blabla... On a bien compris qu’ils voulaient surtout nous museler ! Avec les Gilets jaunes et les retraites le gouvernement a vu les gens descendre dans la rue, ensuite il y a eu la crise sanitaire et on a vu comment nos droits étaient bafoués. Ils veulent éviter qu’on se soulève pour qu’on ne retrouve pas le goût de se battre. Mais c’est là qu’on doit leur démontrer qu’on n’a pas peur de leur répression. On ne peut pas rester chez nous, tout le monde doit sortir dans la rue. On ne va pas attendre d’avoir un vaccin pour manifester notre colère ! C’est pour ça qu’on doit être le plus nombreux possible dans chaque rassemblement, aux côtés des soignants et face à la répression. Sinon les seuls gagnants de ces interdictions de manifester ce sera les patrons et le gouvernement. Ils nous ont dit qu’on était en guerre, mais maintenant c’est nous qui sommes en guerre contre ce gouvernement ! Quand on voit tous ceux qui détournent des millions en toute impunité et que nous on se retrouve au placard ou à perdre notre boulot pour un rien, on voit bien qu’il y a une justice à deux vitesses. On ne peut pas se laisser faire : toutes les organisations syndicales et politiques doivent appeler à se mobiliser à nos côtés pour dire stop à tout ça !
Propos recueillis par Flora Carpentier
Rendez-vous pour soutenir Ahmed et Alex mercredi 10 juin à partir de 13h au 19 place Lachambeaudie – Paris 12e – Métro Cour-Saint-Émilion.