Le gouvernement et la direction d’Air France auront eu beaucoup de mal à rendre impopulaire la longue grève des pilotes, tant auprès des autres salariés de la compagnie qu’auprès de la population. Et pour cause ! La première revendication des trois syndicats de PNT (personnels navigants techniques, les pilotes), SNPL, SPAF et Alter, était l’abandon du projet de création d’une nouvelle compagnie à bas coût (low cost), Transavia Europe, basée au départ au Portugal et en Bavière. Ce projet faisait partie d’un nouveau plan d’ensemble, annoncé début septembre par la direction du groupe Air France/KLM, « Perform 2020 ». Il est vite apparu comme une délocalisation d’activité, tant il est évident que le réseau qui aurait été celui de cette nouvelle compagnie aurait résulté d’un transfert de lignes aériennes au sein du groupe.
En quelques jours, la direction d’Air France, avec le soutien manifeste du gouvernement, est donc apparue comme voulant mettre en œuvre une triviale délocalisation de milliers d’emplois pour augmenter sa marge financière. En effet, au même moment, De Juniac, PDG du groupe, annonçait qu’il voulait obtenir rapidement, avec le plan Perform 2020, un ROCE (taux de rentabilité net d’impôts des capitaux investis) de 11 %, alors que celui-ci culmine aujourd’hui à 3 %. Le PDG mettait en avant le développement de Transavia comme l’arme essentielle de la croissance du groupe, permettant d’accroître spectaculairement les résultats financiers. Il était aussi annoncé qu’un milliard d’euros serait consacré au développement du low cost, notamment à la création de Transavia Europe. Le projet global étant de passer d’ici 2017 de 44 à 115 avions moyens porteurs de type Boeing 737 chez Transavia, alors que dans le même temps la flotte analogue Air France passerait de 130 à 102 avions.
L’analogie est évidente entre ce projet et ceux réalisés ou en cours dans tous les secteurs de l’industrie française, synonymes de suppression de dizaines de milliers d’emplois. Elle a été utilisée par les pilotes eux-mêmes, lors de la manifestation du 23 septembre devant l’Assemblée nationale, quand ils ont arboré les pulls marinière chers à Montebourg par-dessus leurs uniformes.
Le combat contre la création de Transavia Europe concerne tous les salariés du groupe. Le point de départ (et le point d’arrivée) de la grève était l’exigence d’un contrat unique au sein du groupe Air France pour les PNT qu’ils soient sur des avions Air France, HOP! (nouvelle filiale créée en 2013 par le regroupement d’activités régionales) ou Transavia.
Or, le problème est le même, et depuis longtemps, pour toutes les autres catégories d’Air France. Les fonctions d’hôtesses, de mécaniciens, d’assistants de piste, etc., pour les avions Air France sont déjà très largement sous-traitées. Cela explique d’ailleurs qu’avec des effectifs en baisse constante (10 000 salariés Air France en moins depuis trois ans, un emploi sur six a disparu), l’activité puisse connaître une croissance continue.
Le gouvernement Valls a d’abord joué l’intimidation. Il a mené une campagne haineuse contre la grève des pilotes « privilégiés et corporatistes », comme il l’avait fait il y a quelques mois contre celle des cheminots. Devant la force de la grève et craignant la contagion sur un thème très populaire, les socialistes ont pesé de tout leur poids pour que le projet Transavia Europe soit retiré… pour dans le même temps mieux réaffirmer leur soutien au projet Transavia France, lui aussi destructeur d’emplois stables et correctement rémunérés.
Un bras de fer à l’issue duquel des salariés en grève imposent la suppression d’un plan patronal… Quel mauvais exemple à l’heure du « pacte de responsabilité » !
Léon Crémieux