Publié le Vendredi 16 septembre 2016 à 10h28.

Nationalisation sans indemnité sous contrôle des travailleurs d’Alstom !

La direction d'Alstom a annoncé le 7 septembre l'arrêt de la production de trains sur le site emblématique1 de Belfort, concernant 400 des 480 salariés du site (les 80 salariés restant étant ceux s’occupant de la maintenance). La direction a précisé que les 400 salariés « se verront proposer un transfert vers une autre usine du groupe ». Les syndicats d'Alstom (CFE-CGC, CGT, CFDT, FO) appellent à la grève le 27 septembre.

Quand les actes du gouvernement s’opposent à sa communication

Depuis cette annonce, le gouvernement s'indigne en expliquant ne pas avoir été mis au courant. C’est évidemment un mensonge. L’État est actionnaire minoritaire (20%) d’Alstom, désormais amputé de sa branche énergie (vendue à General Electric en 2014). La direction d’Alstom a rappelé que l’État était donc parfaitement au courant de ce qui se tramait.

En outre, depuis un an, les parlementaires du Territoire de Belfort ont plusieurs fois alerté le gouvernement, sans réponse de sa part. A plusieurs reprises, des voix se sont élevées pour défendre le recours aux « contrats-cadres » (entre la SNCF et Alstom), plutôt que le recours à un appel d'offres. Mais au nom des lois sacrées de la libre-concurrence, le gouvernement a décidé en février dernier de procéder par appel d’offre pour le renouvellement des trains Corail au lieu de les commander directement à Alstom.

En outre, la politique du gouvernement qui consiste à remplacer de plus en plus les trains par les cars vident mécaniquement les carnets de commande d’Alstom.

De plus, quelques jours avant l’annonce de la fermeture, l'offre d'Alstom portant sur la fabrication de 44 locomotives de manœuvre et de travaux pour un montant de 140 millions d'euros n'a pas été retenue par Akiem, entreprise détenue à parité par la SNCF et Deutsche Bank. Le gain de contrats à l’étranger (USA, Italie, ou Afrique du Sud) ne compense pas l’assèchement des commandes françaises : en effet, les contrats à l’étranger sont souvent conditionnés au fait que Alstom produise sur place.

En mai 2015, les salariés de l’usine de Belfort s’inquiétaient légitimement du sort de leur usine. Macron, en visite à l’usine d’Alstom à Belfort, les rassurait : « Nous serons présents au conseil d’administration et nous saurons peser »… on voit aujourd’hui le résultat !

 

Le bal des faux cul et des impuissants

De façon grotesque, le gouvernement fait donc semblant de découvrir le problème. Lundi 12 septembre, Hollande a convoqué une réunion de crise et a fixé comme « objectif » que le site soit maintenu et que des commandes alimentent la production du site. « Tout sera fait pour que le site de Belfort puisse être pérennisé » a-t-il dit. Le lendemain, la direction d’Alstom humiliait Hollande et entérinait à nouveau la fermeture du site. Dans une lettre aux salariés, elle écrivait : « il apparaît aujourd'hui impossible d'assurer un avenir pérenne pour les activités du site de Belfort » ; « aucune locomotive n'a été commandée depuis plus de 10 ans à Alstom en France ». Depuis, la direction est revenue en arrière, indiquant qu’elle ne prendra aucun décision avant la fin des discussions avec le gouvernement. En tout état de cause, avec 20% du capital, l’Etat ne peut pas empêcher la direction de fermer le site si elle le décide. Sauf si Alstom était nationalisé, mais de cela il n’en est évidemment pas question !

Montebourg rappelle que Macron s’était opposé au fait que l’Etat détienne 20% du capital d’Alstom : « Nous ne sommes quand même pas au Venezuela » avait-il dit. Sauf qu’on voit aujourd’hui que les 20% du capital n’empêche rien. Et Montebourg oublie aussi de rappeler dans quelles conditions il a « obtenu » ces 20% ! En fait, l’État n’a pas acheté 20% du capital d’Alstom. Bouygues a prêté les parts de capital qu’elles détenaient jusqu’en novembre 2017. A cette date, soit l’État devra acheter les actions au prix du marché, soit il perdra ses parts.

Sarkozy n’est pas en reste. Il se fait passer pour l’ami des ouvriers et ose donner des leçons : « Le ministre en charge a laissé tomber les ouvriers d’Alstom (…) Une entreprise extraordinaire à laquelle j’ai consacré une partie de ma vie ». Sortez les mouchoirs ! Sarkozy se vante d’avoir sauvé Alstom en 2004. Certes, l’État était entré dans le capital du groupe (les actions seront ensuite revendues à Bouygues en 2006) et avait évité la faillite du groupe. Mais le dépeçage d’Alstom avait alors commencé avec la vente des turbines industrielles à Siemens, et la vente de la division transmission et distribution d’énergie à Areva. Ensuite, c’est l’ex PDG d’Alstom, Patrick Kron, protégé de Sarkozy, qui a liquidé la branche énergie du groupe pour renflouer les caisses. On est loin d’une politique industrielle ambitieuse…

 

Alstom : un groupe en difficulté

Dans le secteur des transports au niveau mondial, Alstom est un nain. Outre Bombardier ou Siemens, d'autres concurrents grossissent, comme le géant chinois CRRC, né de la fusion entre CSR et CNR, l'espagnol CAF, le japonais Hitachi (qui a avalé deux italiens pour 1,9 milliard), le polonais Pesa ou le suisse Stadler. Dans cet environnement très concurrentiel, Alstom est affaibli.

Alstom a affiché en 2015 un résultat net de 3 milliards pour un chiffre d’affaire de 7 milliards. La profitabilité d’Alstom semble exceptionnelle. En fait, le formidable résultat de l’entreprise pour 2015 provient du « résultat net des activités abandonnées », c’est-à-dire de la vente de la branche énergie à General Electric. En se coupant un bras, le groupe a en effet réalisé un profit à court terme, mais c’est un calcul à courte vue. En fait, le résultat opérationnel (c'est-à-dire le résultat dégagé par l'activité) a été négatif en 2014 et 2015. Autrement dit, Alstom n’a dégage aucun profit de son activité. Et logiquement Alstom n’a pas versé de dividendes à ses actionnaires en 2014, 2015 et 2016.

 

Alstom : imposer la nationalisation du groupe !

En cas d’annonce de fermeture de sites ou de plan de licenciement, il ne faut pas faire dépendre le maintien des emplois à la profitabilité du groupe. En effet, notre droit au travail et au salaire n’a pas à être conditionné au fait que les capitalistes dégagent suffisamment de profit. Car si un groupe est réellement en difficulté, cela nous démunit… ou cela nous incite à manipuler les chiffres. Or, quand un groupe licencie massivement, c’est plutôt le signe qu’il est en difficulté que l’inverse. Il faut bien évidemment exiger la transparence sur les comptes et dénoncer ceux qui se gavent. Mais il ne faut pas laisser croire qu’il suffit de faire pression afin de prendre sur les profits pour maintenir les emplois.

La crise du capitalisme est bien réelle. Cela signifie donc que les profits ne sont pas au firmament. Si c’était le cas, il n’y aurait pas de crise. Donc c’est une voie sans issue de vouloir nier cette crise et de décréter que les patrons ont parfaitement les moyens de maintenir les sites quand ils décident de les fermer.

En l’occurrence, Alstom n’est pas un groupe florissant. La perspective que nous devons mettre en avant est celle de la nationalisation sans indemnité et sous contrôle des travailleurs d’Alstom, car seul l’État est en mesure de garantir la pérennité des emplois. Il faut batailler pour qu’Alstom soit nationalisé et pour que l’Etat assure la viabilité des sites, en garantissant les débouchés, quitte à s’affranchir des lois de la concurrence capitaliste. L’État est ici directement en mesure de le faire puisque Alstom doit pouvoir produire directement pour la Sncf, sans passer par les procédures d’appels d’offre qui tirent les salaires vers le bas.

Malheureusement, les organisations syndicales ne mettent aujourd’hui pas en avant ce mot d’ordre. Martinez dit simplement que l’Etat « doit faire stopper ce plan, il doit intervenir, taper du poing sur la table. Il faut revoir les choses ». C’est flou et démobilisateur. Il faut aujourd’hui que les organisations syndicales osent remettre en cause la sacro-sainte propriété privée capitaliste et organisent la riposte de l’ensemble des travailleurs du secteur. Les lois du capitalisme imposent la fermeture des sites non concurrentiels. Il faut donc oser porter des revendications qui s’opposent à ces lois. Des victoires partielles, imposant la nationalisation d’entreprises qui ferment ou licencient, sont possibles. Elles ouvriraient la voie à la remise en cause du système, à la socialisation des grands moyens de production, sous le contrôle des travailleurs, pour la satisfaction des besoins sociaux.

Gaston Lefranc

  • 1. La première locomotive à vapeur d'Alstom a vu le jour à Belfort en 1880