Publié le Jeudi 12 mai 2016 à 13h21.

Aux origines du Front populaire

Le 6 février 1934

Quelques mois après la victoire nazie en Allemagne, les ligues fascistes appellent à marcher sur l’Assemblée nationale contre le limogeage de leur ami politique, le préfet Chiappe.

Le PCF défend alors une orientation simple : socialistes = fascistes. L’Humanité n’hésite pas à dénoncer l’« Union nationale réactionnaire et fasciste préparée par le parti radical et le parti socialiste ! »… Il appelle aussi à manifester.

En tout cas, la nuit du 6 sera ponctuée d’émeutes : 20 morts, des centaines de blessés. Tout cela précipite la crise politique et la marche à un État fort dirigé par G. Doumergue, qui gouverne par décrets-lois.

Le Front unique ouvrier s’impose

En bas, parmi les militants, c’est l’effervescence. Dès le 9 février, le PCF, qui cherche à faire oublier ses turpitudes, appelle à manifester contre les ligues. Des milliers de socialistes se joignent à la manifestation.

Parallèlement, la direction de la CGT (alors sous direction socialiste) appelle à une grève pour le 12 février, soutenue par ses partenaires traditionnels (PS-SFIO, etc.). Ceux qui demandent au PCF et à la CGTU (sous contrôle du PCF) de se joindre au mouvement (Marceau Pivert, etc.) sont éconduits.

Mais la pression d’en bas pour l’unité est telle que les dirigeants du PCF et de la CGTU sont obligés d’appeler de leur côté à la grève du 12, qui sera donc massive.

À Paris, deux manifestations se font face, celle de la CGT et celle de la CGTU. Aux cris de « Unité ! Unité ! », les travailleurs imposent la fusion de ces cortèges.

Tournant du PCF

La politique du « classe contre classe » imposée au PCF par le Kremlin avait plongé le parti dans une crise profonde, comme en témoigne la baisse des effectifs. Après le 12 février, Moscou constate la nécessité d’un tournant, nécessité renforcée par la victoire nazie toute proche. La direction du PCF multiplie les gestes en direction du PS. Dans la foulée, diverses initiatives unitaires ont lieu, en général couronnées de succès.

En mai 1935, le pacte Laval­-Staline aboutit au ralliement du PCF à la « défense nationale ». Il adopte alors l’orientation cocardière, chauvine, qui le caractérisera jusqu’à la fin du 20e siècle.

Le pacte d’unité d’action PCF-PS (SFIO)

PCF et PS signent en juillet 1934 un « pacte d’unité d’action » centré sur la lutte contre les ligues fascisantes. L’extrême modération de son contenu ne peut que frapper : pas une revendication anticapitaliste ! Et surtout la question du pouvoir, du gouvernement, est soigneusement éludée.

C’est en fait tourner le dos à ce qui s’est exprimé le 12 février : pour les masses, le débouché naturel de l’unité réalisée, c’était un gouvernement de leurs organisations, un gouvernement « ouvrier-paysan » comme on disait alors…

En octobre, Trotski, alors exilé en France, pointe les limites de ce pacte : « Le but du front unique des partis socialiste et communiste ne peut être qu’un gouvernement de ce front, c’est-à-dire un gouvernement socialiste-communiste, un ministère Blum-Cachin. (...) Par quels moyens ? Par tous ceux qui mènent au but. Le front unique ne renonce pas à la lutte parlementaire »1.

Et il se prononce pour « un programme de révolution », formule les principales tâches d’un nouveau pouvoir, notamment l’organisation de milices antifascistes et leur armement, ce que le PCF et la SFIO refusaient évidemment d’envisager2...

Vers le « Front populaire »

Dès octobre 1934, la direction du PCF envisage « d’élargir » le front unique aux radicaux à l’occasion des cantonales. À cette époque, le dit Parti radical participait encore au gouvernement bonapartiste… En juin 1935, le rassemblement populaire, centré sur l’alliance PCF-SFIO-radicaux est constitué. Comme le remarque le trotskiste Naville : « On est ainsi passé du front unique socialiste, à une coalition bourgeoise socialiste »3, à la négation même du front unique…

Le front publiera bientôt son programme. « En partie d’utopiques illusions petites-bourgeoises, en partie des mesures qui serviront parfaitement bien la bourgeoisie. (…) Rien qui ne serve réellement les intérêts du prolétariat », selon les trotskistes d’alors...

Puis viennent les élections (avril-mai 1936). PCF et SFIO progressent, les autres reculent (radicaux compris). En clair, les travailleurs ont voté pour leurs partis, PCF et SFIO, contre les diverses représentations des capitalistes, radicaux compris. S’exprime ainsi l’opposition entre front unique et Front populaire.

Il n’empêche que le gouvernement Blum sera constitué aux conditions des radicaux. Ultérieurement, Daniel Guérin, alors socialiste, reconnaîtra avoir été « prisonnier des radicaux-socialistes »... En tout cas, c’est à ce gouvernement bourgeois que reviendra la tâche de faire refluer la vague gréviste de juin 1936, au prix de concessions somme toutes limitées.

Pascal Morsu 

 

Brève chronologie

1934

6 février : manifestation d’extrême droite contre l’Assemblée nationale

9 février : manifestation de la CGTU

12 février : manifestation unitaire antifasciste

Septembre : pacte d’unité d’action PS-PCF

1935

Juin : le Parti radical intègre le Front populaire

14 juillet : manifestation unitaire et serment

Septembre : la réunification syndicale est décidée

1936

11 février : publication du programme du rassemblement populaire

27 avril et 3 mai : élections législatives

11 mai : premières grèves

24 mai : manifestation à la mémoire des morts de la commune

26 mai : les grèves se généralisent

8 juin : accords Matignon

10 et 11 juin : lois sur les 40 heures, les congés payés et les conventions collectives

11 juin : discours de Thorez « Il faut savoir arrêter une grève »...

18 juillet : coup d’État militaire de Franco

Août : premier grand procès de Moscou

1937

13 février : le début de « la pause »

16 mars : fusillade de Clichy

1938

Mars : second gouvernement Blum

Avril : grèves des métallos

Avril : démission de Blum

  • 1. Trotski, Où va la France ?
  • 2. Voir sur Internet le programme d’action de la Ligue communiste.
  • 3. Pierre Naville, l’Entre-Deux-Guerres.