Le Parti communiste tchécoslovaque (PCT) avait subi, comme ceux de Hongrie ou de Pologne au début des années 1950, les procès et purges staliniennes1. Puis il était resté soumis à une stricte discipline, tout en ayant une implantation de masse. Au début des années 1960, les frondes intellectuelles se multiplient contre la censure alors que l’économie du pays connaît une chute de croissance. Les conflits au sein du PCT deviennent aigus. En janvier 1968 le réformateur Aleksander Dubcek est nommé à la tête du parti2. Les réformes qu’il prône sont proches de celles qui s’appliquent alors en Hongrie – ou préconisées en URSS. Elles visent à autonomiser la gestion des entreprises en introduisant à la fois des prix de marché (pour les biens de consommation) et des stimulants monétaires pour encourager les directeurs à réduire les coûts. Une aile autogestionnaire du PCT (notamment impulsée par Jaroslav Sabata) prône l’introduction de conseils ouvriers. Mais la nouvelle loi en limite étroitement la portée. L’aile Novotny (dirigeant conservateur du PCT) cherche à consolider son poids parmi les travailleurEs en dénonçant les effets probables de telles réformes (augmentation du coût de la vie et pressions sur l’emploi) – en se sentant en fait elle-même menacée dans la stabilité de ses privilèges. Et c’est pour lutter contre l’hostilité des travailleurEs que les réformateurs ouvrent les vannes de la libéralisation politique.
Le « Printemps de Prague » s’engouffre dans les promesses d’un « socialisme à visage humain » : il touche tous les secteurs de la société – sans respecter les bornes des réformes d’en haut. Fin juin, des conseils ouvriers se mettent en place dans quelques entreprises phares, comme l’usine CKD où s’élaborent des « statuts de l’autogestion ». Le syndicat officiel (ROH) soutient cette dynamique, encouragée par l’aile autogestionnaire du PCT. Un congrès extraordinaire du PCT se prépare – ainsi que des congrès régionaux. Mais un long document, Les deux mille mots, écrit par Ludwik Vaculik, exprime la défiance d’une partie de l’intelligentsia envers l’appareil réformateur. C’est précisément cette effervescence qui inquiète Brejnev en URSS, et les dirigeants des partis du Pacte de Varsovie.
Le 21 août 1968, 50 000 soldats des troupes du Pacte de Varsovie entrent dans Prague. Les dirigeants du PCT sont emmenés à Moscou où ils signeront un « protocole » justifiant l’intervention. Mais une extraordinaire résistance freinera la « normalisation » : au « Printemps de Prague » succède un Automne. Les jeunes créent un comité d’action inter-facultés ; sous l’impulsion notamment de Petr Uhl et du Mouvement de la jeunesse révolutionnaire tchécoslovaque, ils s’adressent aux travailleurEs pour résister ensemble. Des centaines de conseils ouvriers se mettent en place. Ils convoquent une réunion nationale en janvier 1969, sous l’occupation ! Leurs propositions sont prises en compte mais radicalement édulcorées par le gouvernement Dubcek... Le mouvement poursuit son extension jusqu’en juin 1969 puis s’essouffle avant d’être interdit en juillet 1970 (Dubcek lui-même avait été éliminé en avril 1969).
Catherine Samary
- 1. Le film l’Aveu, de Costa-Gavras, s’inspire du récit d’Arthur London un des survivant du « procès de Prague ».
- 2. Cf. le dossier de Charles-André Udry et Anna Libéra sur le site : https://alencontre.org/s… %absocialisme-a-visage-humain %c2 %bb-1.html