Les éditions Sindbad ont récemment publié en français un ensemble d’articles de l’historien palestinien Walid Khalidi. Ces textes, publiés sur une période qui s’étend de 1959 à 1993, avaient pour certains fait l’objet d’une traduction dans les colonnes de la Revue d’Études Palestiniennes. D’autres sont traduits ici pour la première fois. Tous sont consacrés à l’analyse de l’événement connu sous le nom de Nakba1, qui vit la majorité de la population palestinienne en 1948 chassée de force de ses foyers et rejetée hors des frontières du jeune État israélien. Pourquoi revenir à nouveau sur cette question, alors qu’elle pourrait sembler désormais bien connue ? « Certains pourront considérer cet examen rétrospectif de 1948 comme relevant d’une stérile obsession du passé ou, au mieux, comme un exercice académique sans rapport avec les défis du présent ». Pour autant, non content de constituer un « tribut » à l’égard des souffrances subies par le peuple palestinien, ce recueil montre comment les éléments principaux permettant de démonter la propagande sioniste ont été mis à jour dès 1959. Mais selon le principe qui veut que ce soient les vainqueurs qui écrivent l’histoire, il fallut attendre les travaux des nouveaux historiens israéliens pour que la question du nettoyage ethnique de la Palestine soit popularisée.
La réalité du sionismePourtant, les données principales sont exposées dans les travaux de Khalidi : l’absence d’ordre arabe d’évacuation de la population palestinienne, la volonté sioniste du « transfert » inscrite dans le plan Dalet, ou encore la collusion entre la puissance britannique et les organisations sionistes. Cette lecture permet de préciser tel ou tel aspect de cette réalité et se révèle toujours aussi utile pour agir aujourd’hui. Il faut signaler en particulier le premier article, consacré à l’évacuation de Haïfa, ainsi que le long article de réponse de Khalidi aux critiques que lui adressa Benny Morris. Cette réfutation serrée et rigoureuse des objections sionistes démontre combien les arguments sionistes ont la vie dure, à l’exemple de la légende noire d’Amin Al Husseini, qui vise à délégitimer l’ensemble des revendications palestiniennes2. Enfin, alors que les soutiens de la cause palestinienne sont systématiquement accusés de faire preuve de partialité et de passion, Khalidi oppose à Morris un argument convaincant : « Une de ses principales convictions semble être que la relation entre passion et objectivité est forcément antithétique. Mais il n’existe pas de relation de ce genre. Tout ce qui a été écrit contre le nazisme n’est pas décrédibilisé par les plaidoyers passionnés des auteurs, pas plus que ne le sont les écrits occidentaux contre le communisme ».
Henri Clément1. Pour une discussion critique de ce terme, se reporter à l’ouvrage de Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, Sindbad, 2009.2. Là encore, l’ouvrage de Gilbert Achcar se montre incontournable !
Essai : Écrire la « catastrophe »"Nakba 1947-1948" de Walid Khalidi, coll. Études Palestiniennes, Sindbad, 2012, 267 pages, 22 euros.