L’affaire de la Cinémathèque française, connue plus tard comme « l’affaire Langlois » sera reconnue comme un des déclencheurs des évènements de mai.
André Malraux, ministre des Affaires culturelles, est plutôt populaire : il est notamment celui à qui l’on doit les maisons de la culture.
La Cinémathèque française est étroitement liée à Henri Langlois, son fondateur.
Malraux, qui a mis des moyens financiers conséquents à la disposition de Langlois, décide de lui enlever la direction administrative de la Cinémathèque lui reprochant de négliger gestion et comptabilité.
En réalité, le prestige international excitait les convoitises de l’État et Michel Debré, ministre des Finances, supportait mal que la Cinémathèque échappe à son contrôle.
À l’issue du conseil d’administration du 9 février, Langlois est remplacé par Pierre Barbin, déjà directeur des festivals de Tours et d’Annecy. Bardin pense pouvoir remplacer Langlois sans problème.
Langlois avait anticipé et exigé la présence de François Truffaut le 9 février. La réunion terminée, Truffaut, Godard et Rivette entre autres créent le « Comité de défense de la Cinémathèque française », dont Truffaut sera trésorier.
Malraux n’avait pas évalué le raz-de-marée qu’allait provoquer le limogeage de Langlois, en France comme à l’étranger. L’opposition s’agite. La presse s’en mêle. Le Monde publie une pétition signée par quarante cinéastes français.
Langlois, depuis son domicile, trouve le moyen de contrer le gouvernement : le retrait des films par leurs déposants. Les cinéastes et producteurs refusent que leurs films, dont les copies étaient prêtées à la Cinémathèque, soient diffusés, et menacent de retirer leurs dépôts.
Le 12 février, les partisans de Langlois font barrage sans violence à l’entrée du public dans la salle de la rue d’Ulm. Le 14 février, c’est la « journée des matraques » : 3 000 personnes se dirigent vers la salle de Chaillot, la police bloque, les flics chargent les manifestantEs qui ont essayé de contourner. Truffaut, Tavernier et Godard sont blessés. Le lendemain, l’AFP prétend que les manifestantEs étaient « badigeonnés de mercurochrome ».
Le 15, une conférence de presse du Comité de défense de la Cinémathèque est organisée : à la tribune, Rouch, Godard et Rivette encadrent Jean Renoir (président d’honneur du comité). Dans la salle, Nicholas Ray, Marcel Carné, Simone Signoret, Michel Piccoli et Jacques Prévert. Les arguments anti-Langlois de Malraux et du CNC sont pulvérisés. Ray affirme : « Le travail de la Cinémathèque française a été peut-être l’effort individuel le plus important jamais accompli dans l’histoire du cinéma ».
Malraux comprend qu’il est temps de négocier. Il accepte la convocation d’une assemblée générale extraordinaire pour le 22 avril.
Une seconde manifestation est organisée le 18 mars, devant le siège de la Cinémathèque, Jean Marais en tête brandissant un portrait de Langlois. Les bureaux seront envahis par des étudiantEs. Parmi eux, Daniel Cohn-Bendit.
Le 22 avril, l’assemblée générale décide que la Cinémathèque s’affranchit de la tutelle de l’État, qui coupe ses subventions mais liquide les dettes. Henri Langlois retrouve ses fonctions.
Le 2 mai, Langlois rouvre la salle de la rue d’Ulm
Langlois et Truffaut ont donc gagné. Malraux n’avait pas prévu qu’il allait se heurter à la colère d’une corporation d’habitude calme, et souffler sur les braises des courants antiautoritaires qui commençaient à apparaître.
Sylvie Tridon