En février 1968, les forces de libération engagent au Sud-Vietnam « l’offensive du Têt » (du Nouvel an). De très grande ampleur, elle est menée sur tout le territoire sud-vietnamien, dont Saïgon. Sa portée internationale est considérable, elle galvanise le mouvement anti-impérialiste et la radicalisation de la jeunesse.
Depuis 1965, le Vietnam est devenu l’épicentre de la situation mondiale. Les États-Unis ont pris le relais des Français. Ils poursuivent une escalade militaire multiforme de plus en plus meurtrière, incluant le bombardement massif des zones libérées au sud, du Nord-Vietnam, du Laos et finalement du Cambodge. L’enjeu de cette guerre totale n’est pas local. Il s’agit de porter un coup d’arrêt à la dynamique révolutionnaire initiée dans le tiers monde par la victoire de la révolution chinoise (1949), puis de la « refouler » : l’objectif est de rétablir l’ordre impérialiste dans le monde, sous hégémonie US.
Les racines de la radicalisation de la jeunesse des années 1960 sont diverses, mais la mobilisation contre l’escalade impérialiste au Vietnam constitue l’élément fédérateur le plus manifeste. Aux États-Unis, le mot d’ordre du retrait immédiat des troupes US devient de plus en plus populaire. En France, grâce aux liens tissés durant la guerre d’Algérie, le Comité Vietnam national (CVN) regroupe d’emblée de nombreuses composantes (personnalités « autonomes » du PCF, chrétiens, extrême gauche…) – un courant maoïste fait cependant bande à part avec les Comités Vietnam de base (CVB).
Au Vietnam, la décision d’engager une offensive de l’ampleur du Têt n’allait pas de soi, car elle faisait apparaître au grand jour le réseau de résistance au sud et pas seulement des divisions de l’armée régulière basée au nord. Le danger était cependant de voir la guerre s’enliser alors que Washington concentrait sur les pays d’Indochine tous ses moyens militaires. Le coût payé par le mouvement de libération a été très lourd et l’infrastructure militante du Front national de libération (FNL) a été sévèrement frappée. Cependant, la bataille de Saïgon a constitué un électrochoc aux États-Unis, forçant le gouvernement à engager des négociations qui ont débouché, moins de dix ans plus tard, sur le retrait des troupes US et l’effondrement du régime qu’il soutenait au sud.
En France, ces années ont été pour une génération militante une école d’internationalisme en actes : mobilisations, aide aux soldats US désertant des bases situées en Allemagne, envoi d’aide médicale au FNL, etc. Elle a illustré la nécessité impérative de la solidarité, mais aussi sa fragilité. Après la grève générale de mai, les CVN et CVB ont disparu, l’extrême gauche se concentrant sur son implantation ouvrière. L’escalade US au Vietnam n’en continuait pas moins à faire rage. Il a fallu tout reconstruire ; ce fut le Front solidarité Indochine (FSI). La continuité de l’internationalisme en actes doit être assurée aussi longtemps que les luttes se poursuivent. Un enseignement à ne pas oublier.
Pierre Rousset