Publié le Dimanche 30 novembre 2014 à 07h23.

Le PCF et la question algérienne, un anticolonialisme usurpé

Jusqu’à ce jour, l’image du Parti communiste est celle d’un parti anticolonialiste, en raison des engagements courageux de certains de ses militant, mais aussi du PCA (Parti communiste algérien) qui, à partir de 1956, prit la voie de la libération nationale algérienne. Pourtant, l’attitude du PCF à l’égard de l’Algérie indépendantiste est loin de cette image d’Epinal.

 

En 1920, le parti communiste souscrivit aux 21 conditions d’adhésion à l’Internationale communiste. Une de ces conditions portait sur l’attitude à adopter face aux pays coloniaux : « Tout parti appartenant à la III° Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de ‘’ses’’ impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en actes, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux ». Un programme on ne peut plus clair.

Lors de la guerre du Rif (1921-26), les Jeunesses communistes dirigées par Jacques Doriot1 et la section coloniale menèrent toutes sortes d’actions anticolonialistes : déclarations à la Chambre des députés, messages de soutien aux insurgés, distribution de tracts aux soldats français, appel à la grève générale de la CGTU… C’est d’ailleurs dans la mouvance du PC que naquit en 1926 l’Etoile nord-africaine, le premier mouvement indépendantiste algérien. Mais cette agitation retomba vite. La soviétisation du PC entraîna un effondrement de ses effectifs, qui plongea le parti dans une phase de repli.

Au milieu des années 1930, le Kominterm enterra la funeste tactique « classe contre classe » mais pour se rallier aux forces dites « démocratiques », socialistes ou bourgeoises, afin de lutter contre le fascisme. Il en résulta que les mouvements indépendantistes, dans la mesure où ils s’en prenaient à la métropole, affaiblissaient la France – désormais une démocratie aux yeux du PCF – et étaient à ce titre dénoncés comme des traîtres faisant le jeu du fascisme ! Ainsi en Algérie, le PCA lutta désormais pour « l’assimilation de l’Algérie à la République ». Le PCF et le PCA se firent ainsi les relais du projet Blum-Violette visant à naturaliser 25 000 Algériens, un projet dont le sens était d’attacher les élites algériennes un peu plus à la France coloniale.

 

La Deuxième Guerre mondiale

La guerre rompit les liens entre les partis frères, PCF et PCA. Le PCF fut plongé dans une activité qui n’avait rien à voir avec l’Algérie et les colonies. Le PCA de son côté revint à une ligne d’indépendance totale et immédiate. Néanmoins, dès 1943, une reprise en main fut opérée sous l’égide d’André Marty, après un séjour à Moscou. Alors que la France était sous la férule de Pétain, le PCF et Moscou défendaient le camp allié, dont le général De Gaulle se voulait le représentant pour la « France libre », en conséquence de quoi il s’agissait d’œuvrer à rénover la République, rénovation dans laquelle les trois départements français d’Algérie avaient toute leur place… Les Cahiers du Communisme rechignèrent à adopter cette nouvelle position en soutien au colonialisme, pour autant les militants qui refusaient cette ligne restèrent très minoritaires et isolés.

 

La libération, oui… mais pas en Algérie

En mai 1945, alors que l’armistice était célébré dans toute l’Algérie, à Guelma et à Sétif la fête prit un autre ton. Les manifestants refusèrent de plier le drapeau algérien et la police française fit tirer sur la foule. Ce fut le début d’émeutes. La révolte anti-française gagna le Constantinois très rapidement. L’infanterie, la marine et l’aviation intervinrent pour bombarder les villages et massacrer la population. D’anciens FFI-FTP furent envoyés en Algérie avec pour mission de participer au « nettoyage ».  Ce sont sans doute près de 50 000 morts que fit l’armée française en ces jours heureux de libération du fascisme…

Du point de vue de la gauche française, la répression était justifiée car il s’agissait de déjouer les menées fascistes. L’Humanité pouvait ainsi titrer « A Sétif, attentat fasciste le jour de la victoire ». L’article poursuivait : « des éléments troubles d’inspiration hitlérienne se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne ». L’Humanité du 12 mai 1945 poursuivait : « les instruments criminels de la grosse colonisation sont le MTLD et le PPA et ses chefs, tels Messali et les mouchards à sa solde, qui, lorsque la France était sous la domination nazie, n’ont rien dit et rien fait et qui, maintenant, réclament l’indépendance. Ce qu’il faut, c’est châtier impitoyablement les organisateurs des troubles. » 

Une délégation du PCF et du PCA se chargea de porter cette revendication dans les bureaux du gouverneur. Quant au PCA, formé en majorité d’Européens, il participa à l’organisation de milices européennes chargées de possibles émeutes nationalistes. La répression à Sétif fut pleinement assumée par les partis communistes français et algérien.

Voici comment Henri Alleg, bien connu pour avoir eu le courage de dénoncer la torture en Algérie avec son livre choc La Question, s’en justifie dans Mémoire algérienne, paru en 2006. Il invoque le témoignage de François Billoux, député communiste et ministre de De Gaulle : «  Nous n’avons connu l’ampleur des événements de mai 1945 que bien après (…) Beaucoup de choses étaient réglés par De Gaulle avec les ministres intéressés. Pour ce qui concernait l’Algérie, tout relevait de l’Intérieur, dont le ministre était alors le socialiste Tixier (…) Je crois qu’il faut dire carrément qu’à ce moment-là, il y a eu un certain nombre de déclarations du Parti, en tout cas de représentants du Parti communiste français en Algérie, qui méritent d’être critiquées pour ne pas dire condamnées. Le comité central, informé par la suite, a corrigé. Mais en ce qui concerne la participation directe à la répression, aucun des ministres communistes n’a eu de responsabilité directe dans l’affaire. On a dit par exemple que Tillon, comme ministre de l’Air, avait eu à décider de l’envoi des avions qui étaient là-bas. C’est faux. Tillon n’a eu aucune décision à prendre de ce point de vue »2… En quelques mots : le PCF alors au gouvernement, n’était au courant de rien, le comité central non plus, seuls quelques individus portent une responsabilité dans ces agissement « critiquables pour ne pas dire condamnables »… Un retour « critique » pour le moins léger ! 

 

Le début de la guerre d’indépendance 

Le 1er novembre  1954, des attentats simultanés furent commis en Algérie par le FLN pour donner le signal d’envoi de la lutte d’indépendance. A l’Assemblée, le ministre de l’Intérieur, François Mitterrand, fut applaudi jusque dans les rangs de l’extrême droite lorsqu’il annonça que « tous les moyens seront réunis pour que la force de la nation l’emporte, quelles que puissent être les difficultés et les cruautés de cette tâche ». Rapidement, le Constantinois s’embrasa. Fin 1955, 200 000 soldats français furent stationnés en Algérie pour reprendre la main sur le territoire. Mais la crise était telle que le gouvernement dut dissoudre l’Assemblée. Le parti socialiste dirigé par Guy Mollet fit campagne pour la « paix en Algérie ». Que cette paix eût signifié un « retour à la normale », comme au bon vieux temps colonial, ne fut pas une gêne pour le PCF. Maurice Thorez proposa au parti socialiste de former un gouvernement SFIO-PCF, « un gouvernement qui appliquera les solutions de négociations et de conciliation en Afrique et travaillera à créer une véritable Union française ». A n’en pas douter, aucun indépendantiste ne voulait de cette « union », aussi « véritable » fût-elle !

Le Front républicain formé par le PS allié aux radicaux, à des mitterrandistes et à des gaullistes, remporta les élections. Le PCF vota l’investiture en prétextant qu’il fallait « déjouer les plans de certains de nos alliés atlantiques, qui aspirent à imposer leur domination en Afrique du Nord et bénéficient de l’appui de milieux colonialistes français ».

Aussitôt installé, le nouveau gouvernement demanda les pouvoirs spéciaux, qui suspendaient en Algérie les libertés individuelles. Le 12 mars, les députés communistes votèrent les pouvoirs spéciaux en sachant pertinemment comment ils seraient employés. Le contingent fut aussitôt renforcé. Pour Thorez, le soutien du PCF se justifiait par le fait que sans ce dernier, Guy Mollet aurait été prisonnier de la droite…

L’envoi de troupes ne se fit pas sans protestations, notamment de militants communistes. Dans les gares d’où les soldats partaient pour briser l’insurrection indépendantiste il y eut des manifestations de rappelés. Pour autant, le PCF en tant que tel ne fit rien pour s’opposer à la guerre. Ce n’est qu’à partir de juillet 1956 qu’il se démarqua de la politique de Guy Mollet en votant contre celle-ci.

 

La dénonciation de la torture et l’agitation en France

A partir de janvier 1957, le général Massu se vit confier le maintien de l’ordre à Alger. La bataille d’Alger commençait. La vieille ville fut ratissée par les militaires français, chaque maison fut fouillée, retournée, éventrée, les « interrogatoires » devinrent monnaie courante3. Les militants indépendantistes furent traqués, persécutés, torturés4. Ce fut aussi le cas de militants du PCA, dont Henri Alleg, arrêté par les parachutistes puis torturé les services de Massu.  

Le 13 mai 1958, un coup d’Etat militaire mené par le général De Gaulle mit fin à la Quatrième République. Au fil des années, cette guerre qui n’en finissait plus et imposait des restrictions aux libertés publiques en métropole même, gagna en impopularité dans certains milieux, notamment étudiants, en France. En octobre 1960, c’est l’UNEF qui prit la tête de cette contestation en appelant à une manifestation. 200 000 personnes y participèrent. C’était un immense succès. Depuis 1954, c’était  la première action de masse en France pour s’opposer à la guerre. Le PCF et la CGT, qui dans un premier temps s’étaient mis d’accord pour y appeler, y renoncèrent pourtant en énonçant par un communiqué : « les conditions ne sont pas actuellement réalisées pour qu’une manifestation centrale interdite puisse rassembler la masse des partisans de la négociation »

Le 17 octobre 1961, cette fois des milliers d’Algériens vivant en France manifestèrent seuls contre l’instauration d’un couvre-feu. La répression fut terrible : plusieurs centaines de manifestants furent assassinés et jetés dans la Seine. A la suite de ces événements tragiques, le mouvement de contestation à la guerre s’amplifia en France et le PCF y prit part. Lors de la manifestation de Charonne, le 8 février 1962, l’Etat français fit à nouveau preuve d’une grande violence contre les manifestants – dix militants communistes y périrent. Mais à ce stade, la guerre d’Algérie était à quelques mois de son terme.  

Fort de l’engagement de certains militants communistes, au prix parfois d’une nette contestation de sa ligne5, le PCF conserve aux yeux de beaucoup une auréole anticolonialiste. Pourtant, ses faits d’arme en temps de guerre, à l’exception des actions de l’année 1962, en firent en maintes occasions, non sans zigzags, un utile supplétif de la politique coloniale de la bourgeoisie française.

 

Jihane Halsanbe

 Notes :

1 Avant de prendre la tête du Parti populaire français d’obédience fasciste, Jacques Doriot fut un militant communiste.

2 Mémoire algérienne, Henri Alleg, Stock, 2006, p. 124.

3 A ce sujet, le film longtemps interdit de Pontecorvo, « La Bataille d’Alger », reste une référence.

4 Le livre d’Henri Alleg « La Question », alors paru sous le manteau, reste une référence sur le sujet.

5 Ce fut le cas par exemple de Jean-Pierre Vernant.