75 ans après, ce programme reste toujours une référence dans les débats politiques, soit pour s’y référer comme modèle, soit pour en détruire les restes. S’il nous faut défendre des acquis importants de cette époque, notamment la Sécurité sociale et les retraites, cela ne doit pas nous empêcher d’en voir la réalité et d’analyser la fonction politique qu’il a eue dans son contexte historique.
Le Conseil national de la Résistance (CNR) se met en place en janvier 1943, avec tous les mouvements de résistance – dont les Francs-tireurs et Partisans (FTP) dirigés par le PCF –, la CGT réunifiée et la CFTC, et les six principaux partis de l’époque, dont la SFIO et le PCF. De Gaulle avait jusqu’alors mis en place des structures politiques comme le Comité français de libération nationale1 qui n’incluaient pas le PCF, pourtant la principale force politique de la Résistance. Avec le CNR, c’est le choix de l’union nationale.Une année de négociations conduira au programme adopté le 15 mars 1944, et à la mise en place d’un gouvernement provisoire incluant les communistes. De Gaulle a réussi son pari politique : intégrer les communistes à la reconstruction de l’État à la Libération, dans le but d’éviter toute vacance du pouvoir et tout bouleversement social, d’avoir une représentation indiscutable en France qui s’impose également aux alliés, dont certains préféraient des vichystes repentis...
Un ensemble de mesures sociales et démocratiques
Le programme du CNR comprend deux parties : un « plan d’action immédiate » qui entérine l’unification des mouvements de résistance sous un même commandement, et les « mesures à appliquer dès la libération du territoire », qui comprennent à la fois des mesures ayant trait à l’épuration, la reconstruction des structures étatiques et des mesures à beaucoup plus long terme. Ce sont notamment le rétablissement du suffrage universel et des libertés démocratiques, « l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’État », « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques » et l’instauration d’un « plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État » et d’une « retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».Ce programme reprend les propositions des socialistes, soutenues par les milieux chrétiens sociaux de droite et certains milieux patronaux. On y trouve des phrases sur « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » ou pour « une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général », phrases significatives de l’état d’esprit du moment.Les mêmes nationalisations (de 20 à 25 % de l’économie) vont être faites en Grande-Bretagne et en Autriche, et des systèmes de sécurité sociale vont être instaurés à cette époque dans presque toute l’Europe.
La préparation de la remise en place de l’État
Sur le plan institutionnel, le programme met en place des « comités de villes et de villages, d’entreprises » et les place sous « la direction des comités départementaux de libération (CDL) ». Ces derniers sont clairement présentés comme les structures qui vont remplacer l’administration de l’occupation. Enfin est prévue la création « en accord avec les états-majors » des « milices patriotiques dans les villes, les campagnes et les entreprises, (…) destinées à défendre l’ordre public, la vie et les biens des Français, (...) assurer et maintenir l’établissement effectif de l’autorité des CDL ».Le programme prévoit donc que tous les organes dont vont se doter les classes populaires sont d’emblée mis sous le contrôle des embryons d’État eux-même contrôlés directement par les représentants de la bourgeoisie. Il organise la subordination aux institutions nées dans le mouvement, cela avec l’acceptation du PCF.
Quelles nationalisations ?
Y compris pour les capitalistes, il était intéressant qu’au sortir de la guerre, l’État soit l’entrepreneur de la reconstruction, pour reconstituer et remettre à neuf une industrie lourde largement détruite. L’indemnisation favorisera la constitution de puissances financières. Et pour les travailleurs de ces secteurs, ce ne sera pas la révolution : la gestion reste aux mains de la même hiérarchie, sans pouvoir pour les exécutants. Les grandes déclarations de principe sur la nécessité d’autres rapports sociaux et humains seront sans aucun effet sur la réalité quotidienne...Alors oui, ce programme d’union nationale, contre les aspirations au changement de celles et ceux qui avaient supporté l’occupation, est bien loin de ce qui était possible ... et de ce qu’il nous faut défendre aujourd’hui.
Brève chronologie 1944-1945
15 mars 1944 Adoption du programme du CNR.6 juin 1944 Débarquement en Normandie.25 août 1944 Paris est libéré. Le général de Gaulle défile sur les Champs-Élysées. Le gouvernement provisoire de la République française (GPRF) s’installe.Septembre 1944-janvier 1945 Le général de Gaulle envoie dans chaque grande région un commissaire de la République qui se heurte parfois aux comités locaux de la Résistance, qui rechignent à céder un pouvoir acquis suite à la Libération, en particulier dans les territoires libérés par la Résistance (Sud-Ouest, Savoie, etc.).Septembre 1944 Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT, lance la « bataille pour la production ».28 octobre 1944 Le GPRF (qui comprend des ministres communistes) ordonne par décret le désarmement et la dissolution des milices patriotiques. Après l’incorporation des Forces françaises de l’intérieur (FFI) dans l’armée régulière, le général de Gaulle entend affirmer le rétablissement de l’« ordre républicain ».4-11 février 1945 Conférence de Yalta réunissant Roosevelt, Churchill et Staline. Les Alliés se partagent les zones d’influence en Europe.
- 1. Qui instaure le droit de vote des femmes le 21 avril 1944.