Publié le Dimanche 3 août 2014 à 07h36.

Un siècle après, l’entrée dans la Première Guerre mondiale…

En août de cette année sera commémorée l’entrée dans la Première Guerre mondiale, un conflit militaire sans précédent qui entraîna des dizaines de pays et des millions d’êtres humains. Avant de revenir dans nos prochains numéros sur d’autres épisodes majeurs de cette confrontation entre impérialismes, le dossier que nous proposons ici traite des enjeux politiques, économiques et sociaux de l’entrée en guerre en août 1914.

 

Cette guerre aboutit à la mort d’environ 10 millions d’hommes (sans parler de ceux qui, par millions également, resteront invalides), à la destruction de régions entières et initia la « guerre civile européenne »1, qui ne s’acheva qu’en 1945 après l’épisode fasciste, l’élimination physique du mouvement ouvrier en Allemagne, en Italie et en Espagne, et l’horreur des camps d’extermination. Nul doute pourtant qu’à l’occasion de cette commémoration, entre deux larmes de crocodile, on verra des dirigeants politiques français, du PS au FN en passant par les centristes et l’UMP, soutenir mordicus la vision officielle d’une guerre « défensive », donc légitime, de la « France des Lumières » contre le « militarisme allemand ».

 

Un événement politique vivant

La Première Guerre mondiale demeure un événement politique vivant, non simplement parce qu’elle constitua un drame effroyable pour les peuples, mais parce qu’elle cristallisa plusieurs décennies de conflits entre puissances pour le partage du monde et modifia durablement les rapports de forces entre nations en contribuant à faire des Etats-Unis la nouvelle puissance hégémonique au niveau mondial. Elle engendra par ailleurs la faillite du mouvement ouvrier, aussi bien ses franges syndicales que politiques, puis la division de celui-ci entre un courant révolutionnaire – opposé à la guerre, refusant toute « union sacrée » et se reconnaissant dans la Révolution russe, elle aussi un produit de la Première Guerre mondiale – et un courant réformiste, héritier de la trahison d’août 1914 et intégré à l’Etat capitaliste. 

La Première Guerre mondiale fut, en dernier ressort, la résultante des contradictions économiques et politiques inhérentes à un capitalisme parvenu au stade impérialiste (son « stade suprême » selon Lénine). Décrite dès 1848 par Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste2, la mondialisation du capital signifia l’extension, au niveau mondial, des forces productives et des rapports de production capitalistes. Or les forces économiques – dont le terrain de jeu était donc devenu international – demeuraient corsetées dans les Etats-nations. C’est ce verrou national que le colonialisme visait à faire sauter et qui était en jeu dans la guerre entre ce couple d’impérialismes déjà vieux – l’Angleterre et la France – et l’Allemagne, devenue la principale puissance industrielle en Europe et aspirant à obtenir sa part de colonies dans le partage du monde.

 

L’actualité de l’internationalisme révolutionnaire

A l’ère impérialiste, qui se prolonge aujourd’hui sous des formes renouvelées, les conflits militaires que fait naître implacablement le capitalisme se jouent d’emblée, de manière non moins implacable, sur le terrain mondial et imposent une riposte des peuples à cette échelle. Produit de l’impérialisme, l’éclatement de la Première Guerre mondiale représenta ainsi un défi inédit pour l’ensemble des courants politiques se réclamant d’une société libérée de la dictature du capital. Ce défi fut très loin d’être relevé : de plus en plus intégrées au jeu parlementaire, les directions du mouvement ouvrier, notamment en France et en Allemagne, se rallièrent à leurs gouvernements nationaux, autrement dit à leurs bourgeoisies, et collaborèrent aux entreprises guerrières. Seuls s’opposèrent à l’entrée en guerre les militants et les courants, très minoritaires, ayant défendu sans relâche la nécessité d’une perspective révolutionnaire et internationaliste. 

Même s’il ne rassembla au départ que quelques poignées de militants à travers le monde, ce combat pour une politique internationaliste, imposant aux révolutionnaires de lutter activement, dans leurs pays respectifs, pour la défaite de leurs propres impérialismes, constitua non seulement une lueur d’espoir dans cette longue nuit ouverte par le désastre d’août 1914, mais aussi un acquis précieux pour l’avenir, ce que démontra la Révolution russe en 1917. Tout au long du XX° siècle et jusqu’à aujourd’hui, de la guerre de libération nationale en Algérie aux luttes contre les menées de l’impérialisme français en Afrique, la nécessité d’un tel combat ne s’est jamais démentie. 

Ugo Palheta

 

Notes

1 Enzo Traverso, « A feu et à sang. De la guerre civile européenne 1914-1945 », Paris, Stock, 2007.

2 « Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations. Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale » (voir sur le site : marxists.org).