Etait-ce, comme on a pu le lire, « la plus grande grève de l’histoire du monde » avec 150, voire 180 millions de participants ? Ce qui est certain, c’est que la grève générale appelée le 2 septembre 2016 à l’échelle de toute l’Inde, par dix confédérations syndicales, a rassemblé en masse des travailleurs du public comme du privé, de la fonction publique de l’Union indienne comme des Etats régionaux, ainsi que de l’économie informelle qui concentre près de 90 % des emplois (et génère 75 % du PIB du pays). Des dizaines de millions d’Indiens, pour le moins, ont fait grève et paralysé de larges secteurs de l’économie et de l’administration.
Depuis deux ans et demi que le gouvernement de Narendra Modi (droite nationaliste hindoue) est en place, c’est la deuxième grande grève contre les privatisations, contre la mise en place de nouvelles lois du travail, pour une protection sociale et de meilleurs salaires. Elle a eu un impact différencié dans ce pays-continent, où les conditions politiques et sociales, la force et la structuration de la classe ouvrière peuvent être très différentes selon les régions et Etats : paralysie totale au Kerala, affrontements dans le Bengale occidental, où les militants de gauche et le mouvement ouvrier font face à des attaques physiques du parti au pouvoir, grosses manifestations ailleurs, et parfois aussi une vie presque normale.
L’un des objectifs du gouvernement nationaliste hindou est la privatisation de nombreuses entreprises publiques dont des banques et assurances, des sociétés de transports, minières et du bâtiment, c’est-à-dire de pans entiers du secteur de l’économie aujourd’hui détenu par l’Etat. Cela entraînerait des pertes massives d’emplois, des transferts d’employés du public au privé et des transformations d’emplois permanents en contrats précaires. La majorité des travailleurs touchés par ces privatisations se trouve dans des secteurs qui sont organisés syndicalement.
L’emploi précaire est déjà très répandu au sein de l’économie formelle, avec de nombreux travailleurs payés à la journée ou sous contrat à durée déterminée. Une étude de 2012 y estimait la précarité à 30 %, dans le public comme dans le privé. Si les 500 000 travailleurs de la métallurgie sont à 80 % des employés permanents, les 50 millions de la construction, un secteur qui va du bâtiment au réseau routier et à des projets gigantesques de barrages hydroélectriques, sont pour la plupart des contractuels.
Un autre objectif pour le gouvernement est de « simplifier » le code du travail (là aussi…). Le 15 août 2016, lors de son discours pour les 69 ans de l’indépendance de l’Inde, Modi a évoqué la complexité et la confusion des lois, mais en visant exclusivement celles qui concernent les relations sociales et les droits des travailleurs.
La grève avait pour but de faire pression sur le gouvernement de l’Union, après qu’il avait fait une série de promesses sans tenir aucun de ses engagements. En 2015, le ministre des finances avait créé un groupe interministériel chargé d’examiner un programme de douze revendications présenté par les syndicats, mais il ne les a jamais rencontrés pour en discuter. Cette année, les syndicats avaient réclamé l’amélioration des mesures de sécurité sociale et la fixation d’un salaire minimum national plus élevé que le minimum actuel, variable selon les Etats. Mais le gouvernement a proposé une augmentation bien inférieure à celle demandée. Il a par ailleurs dénoncé l’appel à la grève du 2 septembre en affirmant qu’une concertation avait eu lieu – alors que seul le BMS, syndicat proche des nationalistes hindous au pouvoir, y avait pris part.
Les questions qui font l’objet du conflit restent en suspens. Si le mouvement ouvrier indien, qui a montré ses muscles, met demain toutes ses forces dans la balance... o