Publié le Samedi 15 décembre 2012 à 13h25.

Enseignants de Chicago une victoire d’ampleur et riche d’enseignements

Les enseignants de Chicago viennent de bloquer une réforme réactionnaire impulsée par un ancien conseiller d’Obama. C’est une des batailles syndicales les plus importantes depuis de nombreuses années, non seulement pour les enseignants mais aussi pour l’ensemble du mouvement ouvrier. 

les enseignants des écoles publiques de Chicago, troisième plus grande communauté éducative du pays et fief de Barack Obama, se sont mis en grève le 10 septembre pour la première fois depuis 25 ans. Le premier jour, des dizaines de milliers de membres et sympathisants du syndicat des enseignants de Chicago (CTU), vêtus de tee-shirts rouge, ont paralysé le centre-ville. Ce qu’un journaliste a judicieusement appelé « une version à l’ancienne et mieux élevée d’Occupy Chicago ».

Le second jour, après avoir participé le matin aux piquets de grève organisés dans chaque établissement, les enseignants ont à nouveau déferlé en centre-ville, puis participé à un rassemblement en plein air. Le jour suivant eurent lieu les manifestations des lycées du Sud et de l’Ouest, quartiers principalement peuplés par des Afro-américains et des Latinos, sous les acclamations des habitants. Le même enthousiasme régnait dans les piquets de grève ainsi que parmi les parents et l’ensemble de la population. Ceux qui portaient le tee-shirt rouge du CTU ou du Comité de soutien aux enseignants étaient couramment félicités dans la rue, ou salués par les klaxons.

Collaborateur direct de Barack Obama, le maire de Chicago Rahm Emmanuel avait poussé à l’accélération de la réforme du système éducatif2. Elu maire de la ville, il a voulu aligner la gestion des établissements scolaires sur celle des entreprises, et obliger les enseignants de Chicago à s’y soumettre. Il fit tout pour éviter une réaction hostile des parents d’élèves en tenant des conférences de presse durant des heures, dès le début de la grève. Ses commentaires insultants ont eu comme seul résultat d’amplifier le soutien de la population envers le CTU. Lorsque la grève entra dans sa deuxième semaine, le maire envisagea de demander aux tribunaux d’ordonner son arrêt. Mais le juge sentit dans quel sens le vent était en train de souffler, et décida de ne rien faire avant qu’une négociation ne s’ouvre avec les délégués du CTU.

Le syndicat avait commencé à organiser la bataille bien avant le début des négociations de l’accord pluriannuel. Lorsqu’au début 2012 le maire fixa notamment l’objectif de fermer 17 écoles, le CTU participa à une mobilisation sur le terrain pour sauver les écoles avec des parents d’élèves et divers réseaux militants. Cela aida à renforcer les liens entre tous ceux pouvant apporter un soutien en cas de grève. Simultanément, les membres du courant oppositionnel issu de la base, qui avait renversé en 2010 l’ancienne direction syndicale, menèrent une campagne systématique pour impliquer le maximum de syndiqués.

Des avancées importantes

Le conflit a débouché sur un accord que la presse des milieux d’affaires, comme par exemple le Wall Street Journal, a reconnu sans détour comme une victoire pour le syndicat. Même si le CTU a été contraint d’accepter une réduction des indemnités versées aux enseignants licenciés, le maire n’est pas parvenu à imposer des reculs sur des sujets qui étaient beaucoup plus importants pour lui, comme la mise en place d’une rémunération au mérite, une utilisation plus importante de tests réalisés sur les élèves pour évaluer les enseignants, et des licenciements expéditifs d’enseignants mal notés.

Le maire a été également contraint d’accepter que la moitié des recrutements d’enseignants soient faits parmi ceux ayant été licenciés, ce qu’il avait auparavant refusé de façon catégorique. Par ailleurs, le CTU a obtenu la mise en place d’une disposition anti-harcèlement facilitant la résistance aux directeurs d’établissement abusant de leurs prérogatives.3 

Les principales leçons de la grève

Celles-ci concernent l’ensemble du mouvement ouvrier. En cinq ans de crise économique, les organisations syndicales ont pris l’habitude d’accepter recul sur recul. Les salariés du public et du privé ont subi gel des salaires, baisse des pensions et hausses des frais médicaux. Cette grève a montré qu’il était possible de lutter.

Depuis une vingtaine d’années, organiser de grandes manifestations et construire des alliances avec les mouvements sociaux et les différents secteurs de la population est devenu une pratique courante pour de nombreux syndicats. Mais il y a une différence entre envoyer à une manifestation des autocars de travailleurs arborant le même tee-shirt et construire avec persévérance l’organisation sur le lieu de travail et à l’extérieur. Le fonctionnement interne du CTU visait à faire du syndicat une organisation réactive et efficace dans chaque établissement scolaire, et lorsqu’est venu le moment de partir en grève, ces efforts furent payants.

Il est vital pour le syndicalisme de ne pas se replier à l’intérieur de chaque entreprise, mais de travailler avec le reste du mouvement social. Le soutien syndical au mouvement Occupy Wall Street à l’automne dernier a été un pas en avant dans cette direction. Mais le CTU est allé beaucoup plus loin. La direction actuelle du syndicat avait commencé la lutte contre les fermetures d’écoles des années avant d’être élue à cette responsabilité, et elle continua ensuite ce travail. Le syndicat avait renforcé ses liens avec différentes structures opposés aux fermetures, et celles-ci ont soutenu le CTU au moment des négociations de l’accord pluriannuel.

L’administration de Chicago s’appuyait sur un accord collectif national supprimant les dispositifs de garantie d’emploi que les enseignants avaient mis des décennies à obtenir. La présidente de la fédération syndicale nationale des enseignants était personnellement impliquée dans la négociation de cet accord, qu’elle avait qualifié de « modèle ». à Chicago, le CTU n’a pas cédé aux pressions des dirigeants nationaux.

Les syndicats n’ont pas à accepter des reculs parce que ce sont des politiciens du parti démocrate qui le leur demandent. Les gouverneurs démocrates de Californie et de New York ont tous les deux réussi à leur arracher des concessions majeures sur les salaires et les avantages sociaux. Les dirigeants syndicaux nationaux s’étaient déplacés pour expliquer qu’il était préférable de faire quelques sacrifices plutôt que d’avoir à faire face à un gouverneur républicain qui chercherait à supprimer également le droit à la négociation. A Chicago, le CTU a refusé tout cela.

Les responsables républicains et démocrates ont, les uns et les autres, clamé qu’il fallait s’en prendre aux syndicats si on voulait faire baisser les impôts. La grève du CTU a réduit cet argument en morceaux : le CTU a gagné le soutien de la population en expliquant que le problème réel était que la priorité retenue par l’administration locale avait été de diminuer les impôts des entreprises au lieu de donner de l’argent pour l’enseignement. Pour résister à l’offensive actuelle, les syndicats du secteur public devraient partout suivre l’exemple du CTU en soulignant que l’ensemble de la classe ouvrière est la grande bénéficiaire des services publics.

La démocratie syndicale est essentielle à la reconstruction d’un mouvement ouvrier combatif. Comme la plupart des syndicats américains, le CTU accorde d’énormes pouvoirs formels à son président. Mais le courant syndical qui dirige depuis peu le syndicat a cherché dès le début à renforcer la démocratie syndicale. Le bureau exécutif, simple chambre d’enregistrement du temps de l’ancienne équipe, est maintenant un organisme vivant. Les réunions de délégués sont maintenant des lieux où la politique syndicale est débattue de façon approfondie.

Les délégués du CTU ont décidé de prolonger la grève pour avoir le temps de débattre de la proposition d’accord avec les syndiqués de chaque établissement. Ils ont organisé des centaines d’assemblées pour discuter les avantages et inconvénients de ce projet.

Pour être efficaces, les grèves doivent bloquer le fonctionnement des services et mettre la pression sur le patron. Plutôt que d’organiser des piquets de grève se relayant toutes les deux heures devant des bâtiments vides, le CTU a organisé des rassemblements de masse permanents. Ceux-ci ont permis de renforcer le sentiment de solidarité entre les syndiqués et galvanisé le soutien de la population. Bien sûr, des enseignants en grève n’ont pas à faire face aux mêmes menaces de recours à des briseurs de grève ou à de gros bras d’entreprises de sécurité que les ouvriers d’usines. Néanmoins, la grève du CTU peut servir d’exemple aux syndicats de n’importe quel secteur d’activité : les piquets de grève massifs et les actions de solidarité peuvent exercer une pression sur les employeurs – et plus la solidarité est importante, moins le risque de recours à des jaunes ou à des injonctions de la justice auront des chances de réussir. 

1. D’après What the Chicago teachers accomplished, http://socialistworker.o…, paru dans Socialist Worker, l’hebdomadaire de l’ISO (International Socialist Organisation), principale organisation politique de la gauche anticapitaliste des USA. Article traduit et adapté par Dominique Lerouge

2. Le système éducatif des États-Unis est décentralisé, la plupart des décisions sur les programmes et sur le financement sont prises par des instances locales.

1. Le 18 septembre 2012, le CTU réunissait les délégués représentant ses 26 000 membres, qui votaient à une très large majorité la fin la grève et la reprise du travail. La grève avait duré 9 jours.

Bibliographie concernant le mouvement ouvrier aux États-Unis :

- Divers articles publiés par l’IRES, en particulier ceux de Catherine Sauviat, www.ires-fr.org/publicat… ;

⁃ Un dossier publié au printemps 2007, disponible dans la rubrique internationale de www.solidaires.org