Par Antonis Ntavanellos
La dernière réunion du Comité central du SYRIZA [28 février-1er mars 2015] a rappelé dans de nombreuses instances et équipes quel type de parti est SYRIZA: c’est un large réseau politique de militant·e·s qui au cours des dernières années a été «pétri» par toutes les luttes de résistance à l’austérité; un parti «marqué» par une recherche d’une orientation de transition [dans une situation qui n’est pas révolutionnaire] et qui cherche des victoires politiques et sociales; un parti dont la «base», la grande majorité de ses membres, incorpore les perspectives de la mise en œuvre concrète des revendications démocratiques;un parti qui a contribué à ouvrir la voie à la libération socialiste complète de la société.
Un tel parti ne peut pas être transformé paisiblement en «outil» d’application de politiques d’austérité, sous aucun prétexte, même dans des circonstances dramatiques.
Le gouvernement «ayant comme colonne vertébrale SYRIZA» a fait face lors des négociations de février 2015 à un double piège qui a été mis en place à travers des actions coordonnées de la coalition perdante de Samaras et Venizelos [Nouvelle Démocratie et PASOK], et surtout des «institutions» européennes, c’est-à-dire la Commission européenne et la BCE, en tandem avec le FMI. Même avant que le gouvernement prenne en charge les ministères, avant d’acquérir l’expérience minimale de «gouvernance» et avant de restaurer un minimum de contrôle sur les mécanismes de l’Etat, il a été confronté à deux défis dangereux. D’une part, la possibilité d’un effondrement immédiat des banques [sortie massive de capitaux]. Deuxièmement, à la grande difficulté de disposer de fonds publics pour financer – simultanément! – le service de la dette mais aussi les salaires, les allocations de retraite, les dépenses sociales élémentaires…
Face à ce double péril, le gouvernement a fait un pas en arrière. Il n’y a aucune raison et possibilité d’embellir l’accord passé en février et la liste des «réformes» auxquelles s’est engagé M. Yanis Varoufakis [ministre des Finances]. Si le gouvernement choisit – ou se trouve obligé – d’«honorer» cet accord il aura renoncé à l’engagement d’une politique contre l’austérité. La même chose se produira dans le «parti SYRIZA» si on lui demande de soutenir aux plans politique et organisationnel, au sein de la population, le contenu de cet accord amer.
Comme a souligné, à juste titre, Kostas Lapavitsas dans son article dans le quotidien The Guardian[http://www.theguardian.c…], le piège de février n’était pas «conjoncturel». Les «institutions» (UE, BCE, FMI) ont organisé l’entente de façon à ce que ce dilemme pèse sur le gouvernement en permanence. Ses décisions devront confirmer cette ligne chaque semaine, jusqu’en juin 2015, moment où le «choix» prendra ses dimensions stratégiques: la faillite ou un nouveau mémorandum?
Les décisions gouvernementales prises devront clarifier la contradiction avec les engagements pris par SYRIZA lors des élections. D’abord, nous avons un engagement sincère concernant la promesse de renverser l’austérité. Deuxièmement, nous avons promis que cela peut se produire en douceur, en «sécurité» au sein de la zone euro. La deuxième partie de la rhétorique électorale de la direction de SYRIZA s’avère aujourd’hui irréaliste ou même utopique.
Il est important de souligner que les conséquences d’un choix ne seront pas limitées au domaine de la politique socio-économique, elles seront directement reflétées au niveau politique, institutionnel et gouvernemental. La question sera la suivante: qui assumera – et avec qui – la responsabilité du pouvoir gouvernemental? La consolidation du recul et encore plus sa régularisation au travers d’un accord définitif avec les «institutions» [en fait la troïka] ouvrira inévitablement, à plus ou moins brève échéance, la voie à un gouvernement d’unité nationale, sous une forme ou une autre. Il s’agira alors d’une annulation définitive du projet politique «gouvernement de gauche», élaboré par le congrès fondateur de SYRIZA.
Cette évolution doit être empêchée. Cette tâche appartient, bien sûr, principalement au parti SYRIZA et au gouvernement. Nous devons trouver la force et la façon de désobéir à l’accord, de le renverser dans la pratique, de mettre en œuvre la politique anti-austérité et de construire des alternatives au financement et en général aux dilemmes étouffants. Les réponses à cette question épineuse sont étroitement liées à d’autres aspects des décisions de la conférence de SYRIZA (juillet 2013). Comme celle qui demandait «la suppression de la majeure partie de la dette» et celle qui déclarait que la société ne peut plus faire «aucun sacrifice pour l’euro», expliquant que la politique contre l’austérité sera défendue par tous les moyens nécessaires de notre part…
Cette tâche incombe aussi à l’«autre» gauche, qui en Grèce conserve des forces significatives. Celle-ci devrait faire face au gouvernement par ses revendications sur les salaires, les allocations de retraite, l’école publique et les hôpitaux, mais en suggérant aussi que, dans la pratique, il existe «une autre façon» d’affronter les créanciers, au-delà de la capitulation ouverte. Cette relation politique avec «l’autre gauche», la seule alliance politique normale dans des circonstances dramatiques d’aujourd’hui, doit être systématiquement et consciemment facilitée par SYRIZA.
Cependant, cette tâche incombe aussi à la gauche internationale et surtout à la gauche européenne. En Espagne, en France et en Italie, même en Allemagne, des initiatives politiques doivent être prises pour empêcher les «institutions» d’étrangler et de renverser le gouvernement en Grèce. Ces initiatives doivent également être proposées et soutenues notamment par le parti SYRIZA qui jouit actuellement d’un prestige international significatif.
Dans les semaines et au plus tard dans les mois à venir, il sera tranché si cette première tentative de renverser l’austérité survivra dans l’Europe du néolibéralisme. (Article publié sur le quinzomadaire Labour Left de DEA (Gauche ouvrière internationaliste), écrit le 3 mars 2015; édité par A l’Encontre, en collaboration avec Anna Christopoulou)