Il aura fallu une semaine de mouvements sociaux avant que les médias nationaux ne commencent à s’occuper de ce qui se passait en Guyane, qui est si connue de nos élites qu’un Macron peut en parler comme d’une... île. Comme le faisait remarquer un manifestant, « dès qu’il y a une inondation quelque part, on voit accourir un ministre, chez nous, après des jours de révolte, ils nous envoient une délégation bidon. » Mais la grève générale commencée le 27 mars a fait comprendre au gouvernement que c’est du sérieux. Il a donc fini par envoyer deux ministres dans ce lointain département d’outre-mer, situé à 7000 km de la capitale française et surtout connu pour son centre spatial de Kourou.
Un territoire délaissé
Cette terre colonisée a un fort lien de dépendance avec la métropole, car la plupart des produits sont importés et vendus très cher, pour le plus grand profit des groupes industriels. La production locale est ainsi tuée dans l’œuf, comme aux Antilles. Les constructions de logements, à côté de bidonvilles, sont en majorité des placements défiscalisants. Les multinationales pillent les richesses du sous- sol, or et diamants, sans aucun bénéfice pour les populations. Conséquences : un taux de chômage à 22 %, des salaires très bas, un taux de pauvreté de 44 %, des enfants déscolarisés faute de places dans les écoles, des hôpitaux surendettés et en sous-effectif, un coût de la vie nettement plus élevé qu’en métropole.
Et là-dessus, l’existence de Kourou, vitrine mondiale de la fusée Ariane, une espèce d’enclave avec des salariés bien payés, mais qui ne s’acquitte pas de la taxe la plus importante, l’octroi de mer, qui sert à financer le territoire ! Tant que la fusée décolle, tout va bien, mais c’est maintenant la Guyane qui doit décoller, expliquent les manifestants. Ces prouesses technologiques dans une région à peine desservie par des routes, où beaucoup n’ont pas l’électricité ou d’accès à Internet, montrent bien la façon dont ce territoire et ses habitants sont considérés.
Un peuple se lève
Comme en Guadeloupe en 2009 durant 44 jours, un peuple entier est en train de se lever en Guyane. Tout d’abord pour des problèmes de sécurité, car la violence, bien réelle, est engendrée par le chômage massif. Cette violence a donné naissance au collectif des « 500 frères », dont le porte-parole est un ex-policier et qui a pour principal objectif l’augmentation du nombre de flics et la construction d’une deuxième prison. Puis les mouvements sociaux se sont enchaînés, à EDF dans un premier temps, chez Endel ou encore à la Croix Rouge de Kourou, jusqu’à la grève générale. Ce n’est pas la première fois : en 2008 déjà, le territoire était entré en révolte contre le prix exorbitant de l’essence. Il avait gagné et reçu des aides du gouvernement.
En 2013, Hollande avait promis un « plan d’avenir pour la Guyane », dont la population n’a pas vu la couleur, une promesse enterrée avec les autres. « Nou bon ké sa », « ça suffit ! », crient les manifestants. Pour se faire entendre, ils ont choisi la bonne voie : les grèves et les manifestations. Mardi 28 mars a eu lieu la plus grande manifestation jamais organisée sur le territoire, à l’occasion d’une journée morte décrétée par 37 syndicats. 10 000 manifestants à Cayenne, près de 4000 à Saint-Laurent-du-Maroni, les deux principales villes, chiffres qualifiés par la préfecture d’énormes pour ce territoire de 250 000 habitants.
La mobilisation populaire s’organise autour de multiples collectifs, constitués d’un bout à l’autre de la Guyane par profession, ville, quartier, et dans la jeunesse. Les revendications sont nombreuses, notamment la construction de cinq lycées, la création de 500 classes primaires, la couverture du réseau téléphonique pour toute la Guyane, des crédits pour la santé, la construction de routes et l’amélioration de la vie quotidienne de la population.
Lassée des promesses non tenues et de la morgue des dirigeants de la métropole, la population a manifestement décidé de ne pas se laisser endormir par des palabres. De la part des collectifs, on trouve une exigence démocratique bienvenue, le refus des négociations secrètes. Fin mars, les collectifs ont ainsi quitté les discussions à la préfecture car les ministres de l’Intérieur et des Outre-mer refusaient la présence de caméras. « C’est l’avenir de la Guyane qui se joue là-haut, il est hors de question que cela se fasse à huis-clos entre douze personnes et le gouvernement français. Toute la Guyane doit pouvoir assister aux débats et pour cela les médias doivent être présents et les transmettre », a déclaré Manuel Jean-Baptiste, président d’un collectif. C’est comme cela en effet que la population mobilisée peut contrôler son mouvement, ce que disent et font ses représentants.
Le mouvement en Guyane est loin d’être terminé, il nous montre la voie à tous. Car comme l’a souligné Philippe Poutou, « le gouvernement commence à discuter en Guyane parce que les gens se battent ».
Régine Vinon