Alors que le pouvoir ne cède rien et joue l’usure du mouvement démocratique des « parapluies », toute la question est de savoir s’il saura s’installer durablement dans la société et la vie politique hongkongaises.
Le Mouvement des parapluies à Hong Kong donne depuis deux mois une véritable leçon d’auto-organisation spontanée. De l’eau, de la nourriture, sont mises à disposition sur les lieux d’occupation, souvent avec l’aide de la population. Le message de non-violence et de civilité est maintenu, malgré les attaques physiques ou les provocations des sbires du PCC et de la mafia. Une présence constante est assurée bien que beaucoup de participantes et participants travaillent, ou ont dû reprendre leurs cours.
Cette maturité est d’autant plus frappante que les traditions de lutte sont faibles dans cette ancienne colonie britannique ou « l’économique » régnait à l’exclusion du « politique ». Elle ne vient pas d’en haut. Les trois personnalités qui ont lancé l’idée de l’occupation ont perdu à l’automne le contrôle des événements. L’occupation effective a commencé à l’initiative de la Fédération des étudiants et du mouvement lycéen Scholarism ; puis, gagnant en ampleur, la mobilisation est avant tout devenue spontanée, affichant une forte capacité d’autodiscipline.
Comme d’autres mouvements d’occupation, les parapluies de Hong Kong manifestent une créativité enthousiasmante – mais la médaille de la spontanéité autodisciplinée à son revers. Le pouvoir joue l’usure ; il attend son heure. Le nombre des occupantes et occupants décline progressivement ; la fatigue se fait sentir et les encombrements quotidiens pèsent sur la population des quartiers populaires les plus denses. De petites organisations de gauche tentent de discuter des suites à donner à la lutte : y a-t-il une autre façon de continuer que de poursuivre l’occupation en l’état ? Ces questions, déjà évoquées dans l’article de Vincent Sung, alimentent bien des échanges passionnés entre manifestants et habitants, mais sans déboucher.
A quelles conditions lever l’occupation ? Les participants sont tiraillés entre des réponses qui toutes conduisent à une impasse, à une perte d’initiative : la reprise du dialogue sur la réforme politique avec les autorités ; la « démocratisation » du comité chargé de nommer les candidats au poste de chef de l’exécutif ; la démission de celui qui détient aujourd’hui ce poste, Leung Chun-ying, franchement détesté. Aucune de ces options ne représente un pas en avant, un « compromis dynamique » vers l’objectif premier du mouvement en cours : l’instauration d’un véritable suffrage universel.
Un mouvement composite mais populaire
Si l’occupation à pris une telle ampleur, si la popularité des manifestants est si grande (et trouve un écho en Chine continentale) et leur ténacité est si remarquable, c’est que l’avenir du territoire est bel et bien en jeu : l’élection de ce qui lui tient lieu de gouvernement ; le droit d’association ; la possibilité pour un syndicalisme militant d’opérer ; l’existence d’un système juridique relativement indépendant ; la possibilité de contester le pouvoir des grands possédants, des oligarques, et de combattre les inégalités sociales… Le mouvement est composite, mais il n’est pas avant tout le fait de nantis. Les membres de l’élite s’accommodent fort bien du manque de démocratie. Le fer de lance de l’occupation, ce sont des étudiants d’extraction modeste et des jeunes travailleurs. Le soutien vient des syndicats indépendants, pas de la chambre de commerce !
L’avenir est engagé, car l’exigence démocratique ne s’oppose pas à un régime pékinois passéiste, en crise ou condamné, mais à un nouveau capitalisme triomphant – d’où la puissance du « bloc d’intérêt » qui soude face au Mouvement des parapluies l’actuelle bourgeoisie bureaucratique du PCC, l’oligarchie hongkongaise et le capital international implanté sur cette place financière. De façon fort significative, les gouvernements occidentaux se font discrets sur l’enjeu démocratique chinois ; leurs priorités sont autres. Ainsi, la Chine et les États-Unis viennent de signer un accord bilatéral sur le climat jugé « décisif » par les grands médias. Les « engagements » annoncés sont pourtant bien en-deçà de ce qui est nécessaire pour contenir le réchauffement atmosphérique en dessous des deux degrés. En revanche, l’annonce est d’importance sur le plan géopolitique : malgré la rivalité croissante qui l’oppose à Pékin, Washington doit s’associer à elle pour « cadrer » d’avance les prochaines négociations climatiques.
Dans un monde où les régimes deviennent de plus en plus autoritaires (y compris en Europe), la « démocratie maintenant » est une exigence populaire. Le combat engagé à Hong Kong va durer et rebondira – sous une forme encore indéterminée – d’ici les élections de 2017. Il mérite notre soutien.
Pierre Rousset