Entretien. Le Collectif Roja est un collectif indépendant féministe, anticapitaliste et internationaliste créé en France à la suite du soulèvement de Jina en Iran en 2022, constitué de femmes, personnes queer et membres de la diaspora exilée. Nous lui avons demandé son avis sur la situation au Moyen-Orient et en particulier en Iran.
Quelle est l’histoire de votre collectif, quels sont ses objectifs politiques et votre pratique de la solidarité internationale ?
Nous venons de milieux variés : artistes, militantEs, migrantEs, exiléEs. L’écho mondial de la révolte de 2022 — en particulier porté par les femmes kurdes, baloutches, iraniennes et afghanes — nous a de nouveau rassembléEs, et a éveillé en nous une colère profonde contre les régimes patriarcaux, capitalistes et autoritaires, qu’ils soient religieux, libéraux ou coloniaux. Nous sommes un collectif féministe, anticapitaliste et internationaliste.
Nous croyons que toutes les formes d’oppression sont interconnectées : la répression des femmes, des peuples colonisés, des travailleurEs et des migrantEs fait partie d’un ordre global de domination et d’exploitation.
C’est pourquoi nous participons activement à des luttes entremêlées : pour la liberté en Iran, contre les violences policières, aux côtés des revendications populaires radicales en France, contre le colonialisme sioniste en Palestine ; pour les droits des personnes migrantes et contre la montée du fascisme en Europe.
Notre mode d’action repose sur la création d’espaces auto-organisés — comme les cantines solidaires et les rencontres culturelles — pour tisser des liens sociaux internationalistes, ouvrir des espaces de discussion radicale et connecter les luttes.
Nous collaborons avec d’autres collectifs en diaspora — féministes, kurdes, afghans, palestiniens, etc. — et intervenons aussi bien dans la rue que dans les espaces de réflexion à travers des textes engagés, des actions de mémoire des résistances populaires, et des pratiques artistiques militantes.
Nous nous inspirons de l’éducation populaire, des soins radicaux, et des récits des luttes des peuples opprimés.
Depuis sa création, Roja a notamment organisé plusieurs cantines solidaires pour la Palestine, l’Afghanistan, les migrantEs afghanEs, le Kurdistan, et en solidarité avec les prisonnierEs politiques en Iran ; participé à des manifestations contre la réforme des retraites en France, pour la Palestine, pour le 1er Mai, la Pride, le 8 mars et à des actions de rue, des rassemblements et des manifestations contre la guerre, contre la peine de mort, et à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement Jin, Jiyan, Azadî (Femme, vie, Liberté).
Comment analysez-vous l’agression militaire israélienne de 12 jours et comment vous êtes-vous positionnéEs ?
La guerre par procuration était en cours presque depuis la création de la République islamique en Iran après la révolution en 1979. En 2024, des confrontations directes se sont également produites entre les deux États. En tenant compte de la conjoncture géopolitique mondiale et de la nature des deux régimes, cette escalade et une confrontation plus intense, longue et avec les conséquences plus dramatiques pour les civilEs, était prévisible. Cette menace est toujours actuelle.
Nous condamnons fermement cette agression militaire d’Israël. Ces attaques ont été menées dans le but de consolider des intérêts géopolitiques et économiques, sans aucun égard pour la vie et les droits des citoyenNEs. Elles s’inscrivent dans la ligne de la politique raciste et militariste du gouvernement israélien. Cependant, nous ne permettrons pas que cette condamnation soit instrumentalisée au profit de la République islamique d’Iran, un régime qui réprime systématiquement de larges pans de la société, notamment les femmes, les personnes LGBTQIA+, les opposantEs politiques, les groupes sociaux minorisés (Belouch, Kurde, les immigréEs afghans…) et les groupes confessionnels/non confessionnels minorisés (les Baha’is, les chrétiens, les juifs, les sunnites, les zoroastriens…). Le régime met également en œuvre une stratégie confuse, inefficace et conflictuelle à l’égard de la question palestinienne.
Notre position antiguerre n’a pas changé : la guerre ne permet pas aux peuples de la région d’avancer vers les voies progressistes afin de fonder les bases des sociétés où la tolérance, les libertés individuelles, les collaborations interculturelles s’instaurent. L’expérience montre que la guerre soutient les forces réactionnaires, capitalistes et fascistes et détruit des vies, des espoirs et la nature. Celleux qui subissent des oppressions systémiques, ethniques ou religieuses peuvent en témoigner plus que quiconque.
D’un point de vue militaire, la République islamique d’Iran apparaît plus vulnérable face aux probables agressions militaires à venir. Depuis le 7 octobre 2023, le chaos progresse dans la région grâce à l’impunité dont Israël bénéficie grâce aux puissances impérialistes. Cette agression a en partie détourné l’attention sur la situation génocidaire en Palestine.
Les États-Unis et l’Europe ont soutenu Israël, pour « faire le sale boulot » comme l’a dit Merz, jusqu’à la limite de leurs intérêts. Ainsi, au huitième jour de ce conflit, les chefs de la diplomatie française, allemande et britannique ont proposé « une offre de négociation complète ». Dans ces « négociations », les peuples sont absents selon une logique centrée sur le maintien de l’hégémonie des puissances dominantes.
Comment voyez-vous les perspectives pour les résistances populaires dans la région et en Iran ?
En Iran, les résistances populaires rencontrent plus de difficultés parce que le régime applique davantage sa politique fasciste répressive sur la population : arrestations massives des « collaborateurs » et des « espions », jusqu’aux arrestations des internautes, plutôt jeunes, qui exprimaient des sentiments anti-régime. La situation des prisonnierEs a également empiré. La frappe aérienne sur la prison d’Evin du 23 juin a causé la mort de plusieurs détenuEs et le déplacement des prisonnierEs, surveilléEs depuis dans des conditions dégradées. En 2024, l’Iran a enregistré un nombre record d’exécutions : au moins 975 personnes, selon des ONG telles qu’Iran Human Rights et Ensemble contre la peine de mort. Selon des sources officielles iraniennes, au moins 6 personnes accusées de coopération en faveur du régime sioniste ont été exécutées immédiatement après le cessez-le-feu.
La République islamique d’Iran, qui affiche toujours une posture antisioniste en « défense des opprimés », a profité de cette situation critique pour s’affirmer et a tenté de détourner l’opinion publique des crises économiques, de la répression interne et de son inefficacité en renforçant un nationalisme xénophobe pro-iranien et pro-perse. Par exemple, parmi les personnes arrêtées se trouvaient des AfghanEs qui, parce que les immigrants afghans seraient perçus comme une menace pour la sécurité de l’Iran, sont devenus des boucs émissaires. Ils sont présentés comme des délinquants faisant pression sur les services sociaux, le logement et l’emploi1.
Quelles sont les tâches prioritaires pour renforcer la solidarité internationale avec les peuples d’Iran et de la région ?
Nous croyons que la solidarité ne se construit pas uniquement par des déclarations ou des slogans. Elle doit être concrète et se manifester dans l’action : par de véritables alliances, des actions collectives, le partage de ressources et de savoirs. Selon nous, plusieurs tâches urgentes s’imposent. D’abord décoloniser les regards et les pratiques, en particulier dans les gauches occidentales. Sans écoute des voix du Sud global, des diasporas et des exiléEs, aucune solidarité réelle n’est possible.
Ensuite, soutenir les réseaux auto-organisés sur le terrain, que ce soit en Iran, en Palestine, dans les camps, les villes ou les prisons — avec des ressources financières, logistiques et médiatiques.
Enfin, créer des ponts entre les luttes entre exiléEs et personnes locales ; entre féministes et entre collectifs diasporiques et collectifs enracinés dans les territoires.
Il faut également dénoncer sans relâche les politiques impérialistes et néocoloniales des États occidentaux, tout en résistant aux récupérations autoritaires menées par des États soi-disant « anti-occidentaux », et bien sûr nourrir notre force collective à travers la culture, la mémoire, la transmission d’expériences et les joies libératrices.
Propos recueillis par Elias Vola
- 1. Voir Babak Kia, « République islamique et racisme d’État, il faut vraiment en finir avec ce régime ! » sur le site de l’Anticapitaliste.