Publié le Mercredi 30 juillet 2025 à 14h00.

La République islamique d’Iran à bout de souffle

L’intervention militaire israélo-étatsunienne contre la République Islamique d’Iran s’est achevée le 24 juin dernier après douze jours de bombardements intenses. Cette agression qui aura fait de lourdes pertes civiles a considérablement aggravé la situation sociale en Iran.

Cette guerre voulue par Benjamin Netanyahou et Trump s’est certes soldée par un cessez-le feu, mais son avenir reste plus qu’incertain tant la volonté de l’administration US et de l’État colonial et criminel d’Israël convergent dans un projet de modification profonde des réalités politiques et des rapports de force au Moyen-Orient. Cette volonté de remodeler la région ne date pas de la période récente. Cela a débuté en 1991 avec la première guerre contre l’Irak. Mais cette politique a connu une accélération certaine depuis octobre 2023 et depuis que Benjamin Netanyahou et son gouvernement suprémaciste ont lancé leur guerre génocidaire contre les Palestinien·nes de Gaza. Ce processus génocidaire s’accompagne d’une volonté d’expulsion des Gazaoui·es et de l’extension rapide de la colonisation en Cisjordanie. Le dessin de Netanyahou étant d’éliminer le peuple palestinien en tant que sujet et acteur politique. 

Remodeler les équilibres régionaux

Dans le même temps, Netanyahou, soutenu par l’ensemble des puissances occidentales, s’est senti suffisamment puissant pour affaiblir considérablement le Hezbollah Libanais. Enfin, l’effondrement du régime dictatorial d’Assad en Syrie a laissé l’Iran sans allié conséquent dans la région. En toute impunité, Israël occupe une partie de la Syrie, bombarde régulièrement ce pays, ainsi que le Liban. 

D’un commun accord avec Trump, Netanyahou a saisi l’opportunité qui lui était offerte pour s’en prendre au programme nucléaire et balistique de la République Islamique, pour éliminer de hauts dirigeants des Gardiens de la Révolution et des personnalités liées au programme nucléaire de Téhéran. Netanyahou a mis en avant les avancées du programme nucléaire iranien en matière d’enrichissement d’uranium et les rodomontades vides de sens proférées à l’encontre de l’État d’Israël depuis 46 ans par les dirigeants de la République Islamique pour « justifier » sa « guerre préventive ». Les menaces verbales des dirigeants iraniens relèvent davantage de la propagande et de la volonté de se positionner en leader dans les opinions publiques de la région qu’autre chose. La République islamique n’a jamais eu les moyens, ni la volonté « d’éradiquer » l’État d’Israël. Enfin concernant le nucléaire iranien, l’AIEA et les services de renseignement étatsuniens affirment ne pas avoir de preuves de l’existence d’un programme militaire. La République islamique cherche davantage à être un pays dit du « seuil » qu’une puissance nucléaire. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’Israël veut rester le monopole de l’arme nucléaire dans la région.

Une intervention qui n’est en aucun cas démocratique

Durant les 12 jours de guerre, les infrastructures civiles, industrielles et stratégiques ont étaient visées délibérément. L’aviation israélienne a même bombardé la tristement célèbre prison d’Evin, faisant officiellement 79 morts dont de nombreux détenus. Viser une prison dans laquelle sont détenus un nombre important d’opposant·es au régime montre à quel point la guerre déclenchée par Netanyahou n’avait pas pour but de « libérer les iraniens de leur tyran ». De manière générale, cette agression militaire a mis un coup d’arrêt momentané aux contestations sociales qui s’exprimaient avec force ces derniers mois.

Face à la guerre voulue par Netanyahou et Trump, la République Islamique ne pouvait que riposter en s’appuyant sur son arsenal de drones et de missiles balistiques. L’isolement du régime de Téhéran a été patent dans cette séquence. Ses alliés régionaux n’étaient plus en capacité d’agir, Pékin et Moscou, qui entretiennent des rapports économiques et diplomatiques conséquents avec l’État d’Israël, ont brillé par leur silence. Il faut dire que s’agissant de Poutine, ce conflit lui a permis d’occulter la guerre qu’il mène contre le peuple ukrainien. Il en a profité pour intensifier ses opérations.

La recherche d’une capitulation

L’agression militaire israélienne s’inscrivait également dans le cadre fixé par Washington alors que des négociations sur le programme nucléaire étaient en cours.

En bombardant les sites nucléaires de Fordo, Natanz et Ispahan par l’aviation US, l’administration Trump cherche à faire capituler la République islamique et à obtenir d’elle un maximum de concessions. Il s’agissait aussi pour l’impérialisme étatsunien de faire une démonstration de puissance et d’envoyer un message à ses concurrents que sont la Chine et la Russie. Concernant le Moyen-Orient, l’administration Trump cherche à imposer une domestication des États et une gestion de la région à ses conditions. Et cela passe par un contrôle total sur le programme nucléaire et militaire de la République Islamique. C’est d’ailleurs le sens des déclarations de Trump depuis la fin de la guerre.

La République islamique sort affaibli de cette séquence. Conscients de leur détestation à l’intérieur du pays, les dirigeants du régime ont immédiatement répondu par une répression accrue à l’égard des opposants. Le pouvoir a restreint les communications et internet, procédé par intimidation et arrestation, augmenté la cadence des condamnations à de lourdes peines et les exécutions.

Aujourd’hui, les détenu·es d’opinion et politique sont particulièrement en danger. Fars News, l’un des organes médiatiques proches des milieux sécuritaires et des Gardiens de la révolution, appelle même à l’exécutions massive de prisonnier·es politiques comme cela s’était fait à l’été 1988. Le massacre d’opposant·es mené à la fin de la guerre contre l’Irak avait permis à Khomeiny et au régime des mollahs d’éliminer plus de 12 000 militant·es des moudjahiddines du peuple et des diverses organisations de la gauche révolutionnaire.

L’infiltration du Mossad

Il faut dire que la récente guerre a mis en lumière la faillite sécuritaire et la vulnérabilité de la République islamique. En éliminant de manière ciblée de hauts dignitaires des Gardiens de la Révolution et des scientifiques liés au programme nucléaire, l’État d’Israël a démontré à quel point les sommets de l’État iranien sont infiltrés. Et cela ne date pas d’hier comme le rappel cette anecdote. Le 30 septembre 2024, l’ancien président Ahmadinejad avait révélé à CNN Turk que le chef d’une unité des services secrets iraniens chargé du contre-espionnage anti-Mossad était lui-même un agent à la solde d’Israël. Démasqué en 2021, cet agent et la vingtaine de membres de son équipe avaient réussi à fuir l’Iran.

L’agression israélo-étatsunienne a déclenché en Iran une chasse « aux agents du Mossad » qui se solde par de nombreuses arrestations arbitraires, des procès expéditifs et des pendaisons. La République islamique qui n’hésite pas à mettre en scène ses « succès » cherche avant tout à masquer ses échecs et à renforcer un climat de terreur afin de museler toutes les velléités de contestation.

Le racisme anti-Afghan·es

À cette campagne répressive s’ajoute une politique raciste et d’expulsion massive contre les réfugiés Afghans. Ils sont accusés pêle-mêle de travailler pour des « puissances étrangères », d’être responsables du chômage des jeunes, d’être responsables de la criminalité et de toutes les avanies qui frappent la société iranienne.

Selon l’Observatoire international des migrations (OIM), entre le 1er juin et le 5 juillet 2025, près de 450 000 Afghan·es ont été forcé à quitter le territoire iranien. Depuis le début de l’année 2025, ce nombre s’élève à 906 326 personnes selon l’agence onusienne. De nombreux rapports et de multiples vidéos indiquent la grande violence avec laquelle les migrant·es Afghan·es sont déporté·es. 

Cette politique est organisée au plus haut sommet de l’État. Le régime mène une campagne médiatique haineuse à leur encontre. Selon les annonces officielles, les bus transportant des migrants sans papiers seront confisqués définitivement, les individus qui se risqueraient à véhiculer un·e Afghan·e sans papier s’exposent à un retrait de permis et à cinq ans de prison. Désormais, la location d’un logement à des migrant·es sans papiers est passible d’une peine de prison de deux ans.

Quant aux employeurs qui embaucheraient des Afghan·es sans-papiers, ils s’exposent au retrait de leur permis commercial et à la fermeture de leurs locaux. Ce qu’il faut noter, c’est que la majorité des Afghan·es réfugié·es en Iran n’ont pas de papiers.

C’est à une véritable chasse au faciès que se livre les forces de l’ordre du régime.

Dans certaines villes, leurs comptes bancaires sont bloqués, leurs biens confisqués, ils sont parfois battus et contraints de monter dans des camions en vue d’être reconduit à la frontière. Les jeunes filles scolarisées en Iran, les femmes sont renvoyées sans scrupule aucune en Afghanistan, là où une oppression encore plus grande les attend. 

Si le racisme d’état que subissent les Afghan·es n’est pas nouveau, il a pris de l’ampleur ces dernières semaines.

Les réfugiés Afghan·es installé·es en Iran, pour certain depuis le début des années 1980, ont fui l’invasion soviétique, les guerres impérialistes des États-Unis, l’obscurantisme et l’apartheid de genre des Talibans. Ils sont partis intégrantes de la classe ouvrière en Iran et occupent les emplois les plus pénibles et les moins rémunérés. Ils sont sur exploités et pour beaucoup d’entre eux sans droit. 

Dans ce contexte, l’Union libre des travailleurs iraniens et le syndicat Vahed (travailleurs des transports en commun de Téhéran et banlieue) ont produit deux communiqués contre la politique raciste de la République islamique. À ces déclarations s’ajoutent une lettre publique signée par plus de 1 300 militantEs, artistes et journalistes condamnant le traitement infligé aux réfugiés afghan·nes. Ces prises de position sont particulièrement salutaires.

Un régime fébrile

Malgré ces politiques répressives et racistes, le régime ne réussit pas à masquer ses échecs. Au sein même du pouvoir et parmi les élites, les désaccords filtrent et prennent de l’ampleur. Pour exemple, dans un numéro récent de Donya-ye-Eqhtesad, un grand journal iranien spécialisé sur les questions économiques, est paru une lettre signée par plus de 300 présidents d’universités, universitaires, chercheurs, économistes et personnalités politiques et scientifiques de premier plan. Les signataires pointent en creux l’inefficacité des politiques économiques, et mentionnent explicitement la corruption, la captation de rentes ou encore la profonde implication des gardiens de la révolution dans l’économie. Il critique les politiques économiques menées et la répression. Tout en se situant dans le cadre de la République islamique, les signataires signalent que le pays n’est plus gouvernable de la sorte, ils s’inquiètent des risques d’effondrement si l’augmentation de la pauvreté, l’émigration des élites, le déclin des investissements productifs n’étaient pas arrêté. Ils demandent la libération des prisonniers politiques, la protection des libertés académiques et le débat ouvert, y compris sur le plan médiatique. Cela traduit des tensions et de la fébrilité au sein des cercles dirigeants.*

Une économie exsangue

Selon le président iranien, Massoud Pezeshkian, chaque année 20 à 30 milliards de dollars sortent du pays clandestinement, alors même que la situation sociale est catastrophique. Cela suffit à démontrer le degré de corruption des hautes sphères qui se partagent le pouvoir et les richesses du pays.

Plus de 60 % de la population vie sous le seuil de pauvreté. Sous l’effet des sanctions imposées par les Etats-Unis et des politiques économiques menées par le pouvoir, le pays est frappé depuis plusieurs années par une hyper inflation dévastatrice. Le marché noir totalement contrôlé par les Gardiens de la révolution a contribué à leur enrichissement phénoménal. Le poids des sanctions se fait ressentir sur les travailleurs et l’immense majorité de la population.

En 2024, selon le Centre des statistiques de la République islamique, les prix des biens importés avaient augmenté de 53,8 %. Le prix des médicaments et des soins médicaux a augmenté de 400 % au cours des cinq dernières années. Avec la guerre israélo-étatsunienne contre l’Iran, la tendance s’est nettement accentuée et cela sur l’ensemble des marchandises. Le prix de la viande avoisine désormais les 213 euros le kilo, le prix du pain vient d’augmenter de plus de 50 %. Ces derniers mois le riz, qui est l’aliment de base de la cuisine iranienne, avait tellement augmenté que beaucoup de familles ont dû le remplacer par du pain… avec cette explosion du prix du pain, beaucoup vont devoir se priver davantage. Les salaires, quant à eux, restent très bas. Le salaire minimum mensuel est depuis le mois de mars 2025 fixé à 10 399 000 Tomans. Et ce montant ne reflète pas les revenus des travailleurs journaliers qui gagnent encore moins…  Quoi qu’il en soit il faut le rapporter au coût de la vie qui dépasse les 35 millions de tomans par mois.

À cela s’ajoute les coupures d’électricité et d’eau, ainsi que les pénuries en toute sorte rendant le quotidien des populations très complexes. 

Les peuples d’Iran le savent mieux que quiconque. La République islamique est un État capitaliste théocratique, réactionnaire, misogyne et raciste. Il n’a rien à voir avec l’anti-impérialisme. Sa politique régionale est mue par les intérêts des dignitaires du régime et des Gardiens de la révolution qui se sont enrichis sur le dos des travailleurs en faisant main basse sur les ressources du pays.

 Les slogans creux du régime comme « Mort au grand Satan » ou « mort au petit Satan » relèvent du ridicule et ne font illusion que dans l’esprit de celles et ceux qui veulent croire que l’anti-impérialisme et la lutte contre l’État colonial d’Israël peuvent se concilier avec le soutien à des dictatures qui écrasent leur propre peuple. 

Dans les semaines à venir, nous devons réclamer haut et fort l’arrêt des exécutions et la libération de l’ensemble des détenu·es politiques et d’opinions enfermé·es dans les geôles de la République islamique.

Les forces de gauche et démocratique doivent se préparer à soutenir les futurs soulèvements populaires qui ne manqueront pas de resurgir en Iran. À l’instar des mobilisations précédentes et notamment du mouvement « Femme, Vie, Liberté » , ils auront pour objectif de mettre à bas la République islamique. Il est du devoir des anti-impérialistes conséquents et des anticapitalistes et révolutionnaires de construire des solidarités concrètes avec celles et ceux qui luttent pour le droit à l’auto-détermination des peuples, pour la justice sociale, l’égalité et la liberté. La solidarité à l’égard des femmes, de la jeunesse, des travailleurs, des minorités nationales et des réfugiés Afghan est un impératif moral et politique pour toutes les forces qui veulent en finir avec les guerres impérialistes, les oppressions et l’exploitation. C’est le sens de la récente tribune initiée par les camarades de Solidarité Socialiste avec les Travailleurs en Iran et signée par de nombreuses personnalités, organisations syndicales, associatives et politiques dont le NPA-L’Anticapitaliste.