Un changement de la situation sur le territoire actuel d’Israël et globalement en Palestine viendra des luttes des Palestiniens. Mais il est justement indispensable de comprendre ce qu’est devenue la société israélienne, et comment elle a été forgée par des décennies d’un implacable colonialisme. C’est l’objet de ce dossier.
Le 2 décembre 2014, le Premier ministre israélien Netanyahou a décidé de liquider sa majorité gouvernementale en renvoyant deux ministres centristes de son gouvernement. De nouvelles élections législatives auront donc lieu le 17 mars 2015. Pourtant, la droite qui dirige sans discontinuer le gouvernement israélien depuis 2001 à la tête de coalitions à géométrie variable a eu, pour l’essentiel, la liberté d’appliquer la politique qu’elle souhaitait. Les ministres de « gauche » issus d’un parti travailliste en décomposition ou du centre n’ont constitué en rien un contrepoids.
L’historien sioniste de gauche Zeev Sternhell a, à sa façon, bien montré le contraste entre les deux camps qui ont longtemps structuré l’essentiel de la politique israélienne. Dans une interview donnée au journal Haaretz en 2010, il soulignait que « les dirigeants des partis de droite ont une vision stratégique et la capacité à penser à long terme, et ils savent aussi comment choisir les bons outils pour mener à bien leur mission. ». Le contraste est net avec la « gauche » travailliste dont il s’est pourtant longtemps revendiqué : « j’ai commencé à comprendre, au début des années 70, que le Parti travailliste au pouvoir n’avait aucune idée, et aucune volonté politique, de résoudre le problème palestinien…. Il faut dire que la gauche ne présente pas non plus de projet social ou de projet de société ».1
Ultralibéralisme et nationalisme
La politique de la droite combine ultralibéralisme et nationalisme. L’offensive contre les droits sociaux hérités de l’époque de l’hégémonie travailliste a été systématique ; dans l’accomplissement de cette tâche, la droite a pu compter sur la complicité des travaillistes gagnés au libéralisme et, bien entendu, sur l’atmosphère d’union nationale. Israël est devenu un des pays les plus inégalitaires du monde, non seulement entre Israéliens juifs et Palestino-israéliens mais parmi les juifs eux-mêmes.
Le mouvement des « indignés » de 2011 a donné lieu à des campements de tentes dans plusieurs villes et à d’importantes manifestations, autour de l’accès aux logements et du thème de la justice sociale en général. Mais sa faiblesse politique et de pseudo-concessions en ont fait un épisode sans lendemain, tandis que le mouvement syndical indépendant et soucieux d’action commune entre travailleurs juifs et arabes reste très faible.
La droite a appliqué son programme de construction du « Grand Israël » de la Méditerranée au Jourdain. Si l’expulsion en masse des Palestiniens n’est pas aujourd’hui envisageable, il s’agit de casser, par la répression, l’expression de la solidarité entre les Palestiniens d’Israël et ceux de Cisjordanie et Gaza, tout en créant des faits accomplis dans un maximum de territoires cisjordaniens.
Les Palestiniens d’Israël restent des citoyens de seconde zone, surveillés en permanence et au niveau de vie bien plus faible que celui de la population juive. Israël se comporte « comme chez lui » dans l’ensemble de la Cisjordanie, y compris dans les zones qui, aux termes des accords d’Oslo, relève en principe de la seule Autorité palestinienne. Les habitants de la vieille ville de Jérusalem sont exposés à perdre leur droit de résidence. Les seuls obstacles à la mise en œuvre du « Grand Israël » sont les remontrances timorées des Etats-Unis (dont l’assistance est vitale pour l’appareil militaire et l’économie israélienne globalement) et la crainte d’une explosion non maîtrisable des Palestiniens des deux côtés de la « ligne verte » (qui sépare l’Israël de 1948 des territoires conquis en 1967).
Une société coloniale
Malgré les inégalités sociales et la paupérisation de pans entiers de la population juive israélienne (surtout parmi les Juifs originaires des pays arabes et d’Ethiopie), les freins au développement des mouvements sociaux sont multiples. L’arrogance de l’establishment ashkénaze (les Juifs venus d’Europe) a jeté les « orientaux » dans les bras du Likoud (droite nationaliste) et des partis religieux. Une partie des immigrés venus de Russie avec la chute de l’URSS s’est ralliée aux ultra-nationalistes. Tout cela perdure, d’autant que le « camp de la paix » est non seulement timoré mais souvent ne se préoccupe pas des questions sociales.
Le racisme anti-arabe ronge la société. La démocratie dont se vante le gouvernement a toujours été un leurre pour les Palestiniens d’Israël et elle se vide peu à peu de son contenu. Extrême droite et droite tolèrent de moins en moins les voix dissidentes. Israël est une société coloniale et la solidarité des travailleurs juifs et arabes reste malheureusement une abstraction. Comme le souligne Michel Warschawski, notamment dans l’interview qu’il nous a accordée ici, un changement de la situation viendra d’abord des luttes des Palestiniens (et de la solidarité internationale qui s’exprime notamment dans le mouvement BDS).
Ce sont ces luttes qui pourront faire reculer la machine colonisatrice et briser le consensus nationaliste sioniste, ouvrant la perspective d’une solution progressiste en Palestine.
Henri Wilno
Notes