Fondé en 1999 à l’issue d’une bataille politique commune des trois mouvements fondateurs en défense du droit à l’avortement, le Bloc de Gauche est devenu une organisation influente dans le paysage politique portugais et une référence dans la gauche anticapitaliste.
À l’occasion de son congrès de mai dernier, le Bloc comptait 10 000 adhérents dont une majorité de militantEs très actifs. L’équivalent en France, à population égale, serait une organisation de plus de 60 000 membres. Solide sur le plan politique et rigoureux sur le plan organisationnel, le Bloc est le produit d’une construction patiente et collective des dirigeants des organisations fondatrices, l’UDP d’origine maoïste, le PSR (section portugaise de la ive Internationale) et Pxxi (Politica xxi, une organisation issue d’une rupture dans les rangs du Parti communiste portugais). Ces mouvements avaient acquis la conviction que, pour continuer de faire vivre l’esprit de la révolution portugaise d’avril 1974, il fallait faire du neuf à gauche. Laissant de côté les divergences idéologiques tenant à l’héritage de la révolution russe ou de la révolution chinoise, ils se sont attachés à délimiter le projet du Bloc de Gauche en partant des tâches de l’heure pour les anticapitalistes, les socialistes et en se donnant les moyens démocratiques que chaque composante se sente à son aise, utile et respectée.
Dans une interview publiée dans la revue Inprecor1, Francisco Louça revient sur cette expérience. Il indique à ce propos que « le Bloc s’est constitué sur […] un texte de référence succinct […] », un texte qui « présentait [les] réponses [du Bloc] face au capitalisme réellement existant, la financiarisation, la globalisation et l’échange inégal, les mécanismes d’exploitation et leur extension dans la société, la question institutionnelle de l’Union européenne... et d’autres thèmes auxquels il fallait répondre : la délinquance sociale en tant qu’exploitation, la vision de la guerre... » Le Bloc a su occuper « un espace politique qui n’existait pas, un espace politique qui ne s’était pas révélé à lui-même ». Louça souligne également le « rôle décisif de la direction » : « Toute organisation qui a une influence institutionnelle se voit exposée à de fortes pressions, toute organisation qui dépasse le stade d’un petit groupe de quelques centaines de membres se voit soumise à d’énormes tensions et différenciations. Soit il y a une direction capable de gérer ce processus, d’absorber les connaissances, d’élaborer collectivement, d’affirmer une autorité politique, soit le processus échoue. […] »
Le Bloc a dû rapidement répondre à des défis importants, sur des questions internationales, sociales, économiques, écologiques, sociétales. Elles ont révélé la solidité du contrat de départ. Les effectifs n’ont cessé de croître pour atteindre aujourd’hui la taille d’un parti de masse.
La brutalité de la crise économique et des plans d’austérité concoctés par la « troïka » – l’Union européenne, la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international – oblige le Bloc à ne pas se contenter d’aligner des slogans. Il fait de la politique au bon sens du terme : il place au cœur de l’élaboration de sa ligne la nécessité de mettre en avant des mesures radicales mais qui apparaissent crédibles aux yeux des masses qui cherchent des solutions concrètes. Pour prendre deux exemples actuels, le Bloc ne s’est pas contenté de dénoncer le FMI, la bourgeoisie, les partis au pouvoir et d’exiger que les masses ne payent pas la crise des capitalistes. Il a énoncé une proposition politique précise, qui part de l’exigence d’un audit de la dette et de sa renégociation par le Portugal. Il a aussi énoncé une solution en termes de pouvoir en opposant aux gouvernements au service du FMI, conduits par le PS ou les divers partis de droite, la constitution d’un gouvernement au service de la majorité de la population. Et pour donner force et crédibilité aux yeux des masses à cette proposition, le Bloc de Gauche interpelle la gauche sociale et politique, des courants « gauche » du PS au PCP, pour constituer un tel gouvernement auquel il participerait et qui s’appuierait sur la mobilisation sociale pour rompre avec le capitalisme.
Très actif dans les luttes et le mouvement social, le Bloc n’a cessé de progresser sur le plan électoral, passant de 2,44 % des voix en 1999 à près de 10 % aux élections législatives de 2009 où il obtient seize députés au Parlement portugais. Il est vrai que la loi électorale portugaise est plus favorable qu’ailleurs puisqu’elle permet d’avoir des élus dès la barre des 3 % franchie. Il est ainsi plus aisé au Portugal qu’ailleurs pour la gauche anticapitaliste d’articuler insertion dans les luttes sociales et bataille de type parlementaire. Le Bloc a rapidement disposé d’un réseau d’élus nationaux, locaux et européens permettant de rendre visible sa politique.
Certes, cela ne suffit pas. Mais il faut partir de là pour analyser les difficultés auxquelles ce parti est actuellement confronté et qui se sont manifestées par un recul électoral lors des élections législatives anticipées du 5 juin.
Le Bloc de Gauche a obtenu 5,19 % des votes, contre 9,81 % aux législatives précédentes de 2009. Le nombre de députés est passé de seize à huit, un résultat comparable à celui obtenu aux législatives de 2005. Ce revers est réel mais relatif et il convient d’en analyser les causes. Il serait toutefois malvenu, comme on commence à l’entendre de-ci de-là, de procéder par raccourcis. Le Bloc paierait son cours « droitier », le vote contestable au Parlement du plan « d’aide » à la Grèce, la mise en avant de la renégociation de la dette, le choix de ne pas présenter de candidat à la présidentielle précédente pour soutenir le candidat de la gauche du PS, Manuel Alegre. Les causes sont plus complexes. Il faut d’abord mettre en perspective les difficultés du Bloc avec celles de l’ensemble la gauche radicale, antilibérale et/ou anticapitaliste, à l’échelle européenne. En Allemagne, Die Linke vient de subir un sérieux revers électoral. Les gauches anticapitalistes et antilibérales anglaise, espagnole, italienne, grecque ou française se trouvent, sous des formes certes différentes, toutes en difficulté, alors que l’extrême droite connaît des succès électoraux dans de nombreux pays. Les effets de la crise et des plans d’ajustement structurels sur la dégradation de la vie quotidienne provoquent des secousses sociales majeures, comme l’immense manifestation contre la précarité et des journées de grève générale impressionnantes. Mais, là comme ailleurs, le rejet des politiques d’austérité ont des effets variés sur le plan électoral. Le Bloc en a pâti et nombre de ses électrices et électeurs ont choisi l’abstention ou le vote dit « utile ». Il est vrai que le PCP a mieux résisté que le Bloc, mais il dispose d’un électorat plus ancien et plus stable.
Un autre élément invalide le diagnostic d’un Bloc trop « électoraliste » ou « possibiliste » : le déchaînement médiatico-politique dont il est la cible de la part de la droite et de la bourgeoisie, présentant son leader, Francisco Louça, comme un bolchevik archaïque, irresponsable et dangereux. Si la politique du Bloc était sans effets dans le monde réel, cette attaque existerait-elle ?
En continuant de faire vivre le projet socialiste au cœur des mobilisations sociales, tout en menant un débat interne pour surmonter les difficultés qu’il rencontre, le Bloc de Gauche poursuit son combat sans relâche. Notre solidarité lui est acquise. Même si les situations nationales sont très différentes et si l’expérience n’est pas reproductible à l’identique, le Bloc de Gauche est une source d’inspiration pour les anticapitalistes.
Fred Borras