L’offensive étatsunienne dans la région se déploie sur de multiples fronts dans une région en pleine déstabilisation. Tour d’horizon.
Les sanctions économiques
Jusqu’à maintenant, elles n’ont permis ni de faire plier la direction nord-coréenne ni d’ouvrir une crise de régime. Washington a constamment sous-estimé la capacité de résilience de Pyongyang. Durant le conflit coréen de 1950-1954, les États-Unis ont réduit le nord en poussière et multiplié les crimes de guerre. La population n’a pas oublié, bien qu’elle vive dans une grande pauvreté. Une élite sociale privilégiée a vu le jour et s’est modernisée. Le pouvoir autocratique a laissé se développer des rapports marchands dans les pores de l’économie dirigée. Un nationalisme ethno-identitaire constitue un ciment idéologique. Une répression préventive sans faille interdit l’émergence d’une alternative au sein même du régime.
Mais ce n’est évidemment pas parce que les sanctions antérieures n’ont pas suffi qu’un point de rupture ne sera pas atteint demain. C’est l’une des questions « ouvertes » posées par l’évolution de la situation.
La cyberattaque
Sous Obama, un programme de guerre électronique a été mis sur pied, pour saboter notamment le programme nucléaire nord-coréen. Il est possible qu’un certain nombre de « ratés » (lancements de missiles défectueux…) s’explique de ce fait, mais cela n’a pas empêché des progrès considérables dans le développement des capacités nord-coréennes en la matière.
La pression militaire
Une pression militaire a été constamment maintenue par Washington contre la Corée du Nord, notamment via les grandes manœuvres aéronavales menées conjointement chaque année avec l’armée du Sud. Il y a plusieurs années déjà, une unité d’élite sud-coréenne a été constituée avec pour tâche l’assassinat de Kim Jong-un. Cette pression n’a cessé d’être renforcée avec la mise en activité d’une base sous-marine sur l’île de Jeju, l’envoi sur zone d’un porte-avions, le déploiement de batteries de missiles antimissiles Thaad, et enfin le survol par des bombardiers de zones côtières nord-coréennes, ce qui ne s’était pas produit depuis les années cinquante.
L’offensive multiforme poursuivie par les États-Unis n’a fait que confirmer, aux yeux du régime nord-coréen, que sa survie dépendait de sa capacité de nuisance nucléaire. Mais elle a déjà porté d’autres fruits en Corée du Sud, au Japon, en Chine, aux Philippines et, plus généralement, dans l’espace géopolitique asiatique.
L’enjeu sud-coréen
La Corée du Sud constitue une pièce maîtresse du dispositif régional des États-Unis. Or, les élections du 9 mai dernier ont représenté un très sérieux revers pour Donald Trump. À la suite d’une immense mobilisation citoyenne, occupant l’espace public, remarquable par son ampleur et sa durée, le précédent régime (droite radicale) a été battu dans les urnes. La population a donné beaucoup plus d’importance aux questions intérieures (scandales de corruption, répression…) qu’aux tensions militaires régionales. La politique guerrière des États-Unis était à ses yeux l’affaire de Trump, pas la leur.
Le nouveau président, Moon Jae-in, appartient à une mouvance politique assez importante en Corée du Sud, qui ne rompt pas avec les canons du néolibéralisme mais accorde une grande importance à la question nationale, à savoir la réunification du pays notamment par voie de négociations (son parti est classé « centre gauche »). Moon s’était opposé au déploiement accéléré des batteries de missiles Thaad sur le sol sud-coréen et, dès son élection, il a prôné l’ouverture d’un dialogue avec Pyongyang. Il s’est heurté à une brutale fin de non-recevoir de la part de Kim Jong-un, ce qui a fait perdre tout crédit à son initiative diplomatique. Dans ces conditions et face à la spirale des provocations et contre-provocations nucléaires et militaires entre Kim et Trump, il est partiellement rentré dans le rang.
L’hostilité à la politique d’agression US reste probablement profonde dans la population sud-coréenne, mais les conditions d’action du mouvement antiguerre sont maintenant beaucoup moins favorables qu’en mai dernier.
Une occasion à saisir pour la droite japonaise
Le même problème se pose aujourd’hui au Japon. La droite militariste, au pouvoir, veut en finir une bonne fois pour toutes avec la clause pacifiste de la Constitution mais, dans sa majorité, la population s’oppose à cette révision. Des missiles nord-coréens survolent dorénavant périodiquement l’archipel (sans pour autant provoquer de panique).
Le Premier ministre Abe Shinto a décidé de dissoudre la Chambre des représentants et de provoquer de nouvelles élections législatives. Il n’en a pas besoin, bénéficiant actuellement d’une majorité des deux tiers dans les deux Chambres. Son calcul : profiter de la situation présente pour reconduire en 2018 sa majorité et garantir ainsi son maintien au pouvoir jusqu’en 2021 (et faire oublier en passant les scandales de favoritisme qui éclaboussent son épouse).
Abe prend peu de risques en décidant d’une élection anticipée. L’opposition est divisée et le seul danger viendrait d’une nouvelle formation politique, le Parti de l’Espoir (lancé par Mme Yuriko Koike, gouverneure de Tokyo, qui se réfère à l’exemple… d’Emmanuel Macron). En agissant vite, Abe Shinto ne lui laisse pas le temps de s’enraciner.
Les rapports entre le Japon et les États-Unis sont complexes, Tokyo étant à la fois le principal allié de Washington dans la région (abritant ses plus importantes bases militaires) et une puissance potentiellement concurrente. Pour l’heure, cependant, Abe Shinto apporte son soutien à Donald Trump, affirmant que toute tentative de dialogue avec Pyongyang serait inutile.
Piqûre de rappel aux Philippines
Le président philippin Rodrigo Duterte, élu en mai 2016, a violemment dénoncé l’emprise US sur l’archipel, insultant copieusement Barack Obama. Il s’est rapproché de la Chine (et de ses capacités d’investissements), puis s’est ouvert à la Russie. La crise qui secoue l’île méridionale de Mindanao a donné l’occasion à Washington de lui rappeler discrètement que l’on ne change pas d’alliance comme de chemise.
En mai dernier, de violents combats ont éclaté dans la cité musulmane de Marawi entre les forces gouvernementales et des mouvements djihadistes, provoquant une crise humanitaire de grande ampleur et donnant l’occasion à Duterte d’imposer la loi martiale dans toute l’île de Mindanao. Un état de guerre rampante perdure jusqu’à maintenant.
Les États-Unis ont fourni, en fonction d’accords de défense toujours valides, une aide multiforme à l’armée philippine – dont les officiers sont envoyés dans les académies militaires US : armements, pilotage de drones d’observation, informations tactiques, « conseillers » sur place… Toutes choses que ni la Chine ni la Russie ne sauraient faire aujourd’hui.
Le régime Duterte présente des traits dictatoriaux (peut-être 13 000 morts en un an au nom de la « guerre à la drogue »). Son avenir reste aléatoire. En tout état de cause, les États-Unis viennent de réaffirmer leur présence dans leur ancienne colonie, alors que l’archipel philippin occupe une place stratégique en mer de Chine du Sud – un espace sur lequel Pékin tient à consolider son hégémonie. Les autres pays de la région n’auront pas manqué de le noter.
La Chine en panne d’initiatives
Pour l’heure, Pékin s’avère incapable de reprendre l’initiative sur la question coréenne. La Chine subit la situation. Au Conseil de sécurité des Nations unies, elle est obligée de voter, de même que la Russie, la montée en force des sanctions contre Pyongyang. Ainsi, toutes les entités économiques nord-coréennes sur le sol chinois, ou auxquelles des sociétés nord-coréennes participent, vont être dissoutes. Elle doit se rendre à l’évidence : son influence sur le régime de Pyongyang est très réduite, pour ne pas dire nulle. Si ce dernier s’effondre, elle risque de voir un jour l’armée US camper à sa frontière : un cauchemar.
Des personnalités chinoises lancent des cris d’alarme par le biais de médias internationaux. Leur argument est simple : la Corée du Sud est beaucoup plus importante pour la Chine que le Nord. Pyongyang perdra son bras de fer avec Washington. Pékin doit sans tarder négocier avec les États-Unis un plan d’intervention au cas où le régime du Nord entrerait en crise ouverte ; sinon la Chine se retrouvera hors-jeu et la réponse à la crise se fera au seul bénéfice des USA.
Problème, ce genre de négociations (secrètes ou publiques) exige un climat minimum de confiance, qui n’existe pas et qui probablement ne peut pas exister entre une puissance montante (la Chine) qui exige sa place au soleil et une puissance établie (les États-Unis) qui ne veut rien lâcher de sa prééminence. De plus, Washington peut s’appuyer sur un solide réseau d’alliances interétatiques, alors que Pékin ne peut lui opposer que de fragiles accords ponctuels avec la Russie ou avec des pays sans poids stratégiques.
La Chine garde une forte capacité d’initiative internationale dans d’autres domaines et en d’autres lieux. Sur le dossier coréen, cependant, elle est confrontée à deux mauvais choix : tout miser sur la résilience du régime de Pyongyang, quoi qu’elle pense de sa politique, ou espérer des concessions US à son égard, alors qu’elle est en position de faiblesse. Pékin ne semble pas avoir trouvé, à ce jour, comment ouvrir une troisième voie…