Le 13 septembre dernier, Vladimir Poutine et Kim Jong Un se sont rencontré sur la base russe de lancement du cosmodrome de Vostotchny, dans la région extrême-orientale de l’Amour.
La teneur des échanges entre les dirigeants russe et nord-coréen, qui ne s’étaient pas rencontrés depuis 2019, n’a pas été divulguée, mais la symbolique et le contexte permettent de s’en faire une idée, au moins partielle. Les deux régimes affichent leur volonté de s’engager dans une coopération active et renforcée visant, en particulier, à contourner les sanctions internationales qui les frappent, du fait de l’invasion de l’Ukraine pour l’un, de ses essais nucléaires et ses tirs de missiles pour l’autre.
La base de lancement du cosmodrome de Vostotchny, ouverte en 2016, est située à 1 500 km de la frontière coréenne. Le choix de ce lieu de rencontre laisse entendre que Moscou serait prête à soutenir Pyongyang dans le domaine balistique et spatial. Ayant atteint des limites concernant ses programmes balistiques et le lancement de satellites à usage militaire, la Corée du Nord aurait « besoin d’une expertise étrangère » et aurait eu « droit à des explications sur le fonctionnement des nouveaux lanceurs Angara et des fusées Soyouz-2 »1.
Jusqu’où ira l’aide de Moscou ?
La Russie (ainsi que la Chine) ne condamnait plus les menaces de frappes nucléaires brandies par Kim Jong Un. En juillet dernier, le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, avait été le premier représentant russe à assister, à Pyongyang, à un défilé militaire où se trouvaient des armes atomiques. Moscou laisse aujourd’hui entendre qu’elle pourrait contribuer à la modernisation de son arsenal. Une éventualité qui ne peut qu’inquiéter nombre de pays voisins, alors que la Corée du Nord procède régulièrement à des tirs de missiles. Jusqu’où Moscou est-elle véritablement prête à s’engager en ce domaine ? Les expertEs semblent diviséEs à ce sujet. Toujours est-il que l’accueil chaleureux fait au dirigeant nord-coréen constitue une menace dirigée contre Séoul et le renforcement des alliances régionales impulsées par Washington. Interrogé sur une éventuelle aide russe pour le lancement de satellites nord-coréens, M. Poutine aurait répondu, selon les agences de presse : « C’est pour ça que nous sommes ici. Le dirigeant de la Corée du Nord montre un grand intérêt dans la technologie des fusées. Ils essaient de développer leur programme spatial. »2.
L’Asie du Nord-Est, un frontière nucléaire chaude
En contrepartie, Kim pourrait fournir du matériel militaire à la Russie, à commencer par des munitions d’artilleries, dont Moscou fait une forte consommation sur le front ukrainien. La Corée du Nord tente d’augmenter leur production, ainsi que celle des drones et missiles. Les armements nord-coréens devraient être compatibles avec ceux des Russes, mais leur qualité laisse à désirer. Pas de quoi modifier l’équilibre des forces sur ce théâtre d’opérations, mais ils pourraient être utilisés pour les bombardements imprécis de terreur.
Si le décorum de la rencontre rehausse l’image de la Russie comme puissance sibérienne à la frontière chinoise (de quoi faire froncer les sourcils à Xi Jinping ? Ce dernier a visiblement d’autres chats à fouetter présentement), il permet à Kim Jong Un d’inscrire son périple dans un roman national familial. Contrairement à son père, il prend volontiers l’avion mais il a choisi son luxueux train blindé, une légende, même si son poids considérable l’oblige à rouler à petite allure. On se croirait dans une bande dessinée du très regretté Hugo Pratt ; il ne manquait que le blizzard.
La rencontre de Vostotchny soulève bien des questions qui restent, en l’état, sans réponses précises, mais elle confirme que le « grand jeu » géopolitique continue de se jouer aux deux extrémités de l’Eurasie, de l’Ukraine à la péninsule coréenne, alors même que la Chine de Xi Jinping se replie, pour l’heure, sur elle-même. Elle confirme aussi que l’Asie du Nord-Est reste une « frontière nucléaire » chaude.
Pour en savoir plus : https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article67853