Certaines manifestations de solidarité avec les Palestiniens ont donné lieu, durant le mois de juillet, à des interdictions. Suite à ces interdictions, des poursuites judiciaires ont été engagées contre certains militants identifiés comme « organisateurs », parmi lesquels Alain Pojolat, membre du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Dans sa livraison du 7 août dernier, Le Nouvel Observateur, sous la plume de François Bazin, « rédacteur en chef du service politique », a proposé à ses lecteurs un « portrait » d’Alain Pojolat. Un portrait ? Disons plutôt une fiche de police, à charge et truffée d’inexactitudes et de mensonges, réalisée qui plus est avec des méthodes de très mauvais flic.
« La manif interdite de Barbès, c’est lui »
Qui dit fiche de police dit fiche individuelle, comme en témoigne le titre de l’article : « La vraie nature du camarade Pojolat ». François Bazin choisit donc de présenter Alain Pojolat comme un homme isolé, qui porterait à lui seul la responsabilité de l’organisation des manifestations « interdites ». On peut ainsi lire que « c’est lui [Pojolat] qui a organisé la manifestation pro-palestinienne qui a dégénéré à Barbès, le 17 juillet dernier, et qui l’avait maintenue malgré son interdiction ». Ou, plus sobrement, dans le chapô de l’article : « La manif interdite de Barbès, c’est lui ».
François Bazin ne doit pas avoir une très grande expérience des manifestations pour penser qu’un homme seul peut « organiser » et « maintenir » ce type d’événement. Les manifestations de soutien aux Palestiniens ont été appelées par des organisations (associations, syndicats, partis), y compris les manifestations « interdites », et des personnes comme Alain Pojolat n’en sont que les représentants, chargés entre autres des contacts avec les autorités, notamment la Préfecture de Police. C’est la procédure classique pour l’organisation d’une manifestation.
Dans le cas de la manifestation de Barbès, ce sont pas moins d’une vingtaine d’organisations qui ont appelé malgré l’interdiction, parmi lesquelles l’Union Générale des Étudiants Palestiniens (GUPS), l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), le syndicat Solidaires, Ensemble (membre du Front de Gauche), le NPA, etc. Et ce sont plus d’une dizaine d’entre elles qui ont pris contact avec la Préfecture de Police pour la demande d’autorisation, Alain Pojolat se contentant d’envoyer le mail collectif à la Préfecture. Les représentants de cette dernière ont d’ailleurs visiblement mieux compris les choses que l’apprenti flic François Bazin puisque leur réponse, que nous nous sommes procurée, est explicite : « par une message reçu par mes services le 16 juillet, vous m’informez de la volonté de plusieurs organisations et associations, que vous listez dans votre message, de tenir une manifestation de rue "en soutien à la Palestine" le samedi 19 juillet ».
Conclusion : Alain Pojolat, s’il est (jusqu’à présent) le seul à être poursuivi par la justice, n’est qu’un représentant (parmi d’autres) d’un collectif d’organisations qui ont organisé et maintenu la manifestation du 19 juillet. Une version qui ne correspond peut-être pas à la méthode de la « fiche de police » choisie par François Bazin, mais qui est en revanche conforme à la réalité. Une réalité qui permet de comprendre pourquoi la suite de l’article de Bazin, qui entreprend de « démontrer » qu’Alain Pojolat est isolé et que personne, à part son avocat, ne voudrait aujourd’hui le défendre, ne tient pas davantage la route.
« Seul son avocat assure désormais sa défense »
Le corollaire logique de la description d’Alain Pojolat comme un individu isolé (et incontrôlable ?) est l’évocation d’une « solidarité à géométrie variable, d’autant plus nuancée qu’on s’éloigne du noyau dur du NPA ». Là encore, l’inspecteur Bazin aurait dû un peu mieux se renseigner, ce qui lui aurait évité de raconter, de nouveau, n’importe quoi.
Un simple détour par le site du NPA lui aurait ainsi permis de vérifier qu’Alain Pojolat, depuis le déclenchement de la procédure judiciaire à son encontre, a bénéficié du soutien public, entre autres, du syndicat Solidaires, de l’Association France-Palestine Solidarités (AFPS), d’ATTAC, de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), du MRAP, du Parti de Gauche, des Alternatifs, du Front de Gauche, etc., mais aussi de la CGT Paris et, plus généralement, de l’ensemble des organisations ayant construit la mobilisation en solidarité avec les Palestiniens, qui ont ajouté début août à leur plate-forme une revendication concernant Alain Pojolat en s’exprimant « contre la criminalisation de la solidarité ».
On est donc bien loin du récit de François Bazin et de la « solidarité à géométrie variable ». À moins de considérer que l’ensemble des organisations listées ci-dessus comptent pour quantité négligeable, ce qui serait, chacun l’avouera, un point de vue original mais très isolé. Cette fable sert en réalité le récit de François Bazin qui entend établir un « portrait » totalement à charge et qui, dès lors, ne peut s’encombrer de détails aussi insignifiants que le soutien public de la plupart des organisations du mouvement social. La suite de son propos confirme cette tendance à prendre de très sérieuses libertés avec la vérité, quitte à recourir à des procédés peu honorables.
Citations tronquées et manipulées
Il ne nous appartient pas de juger des idées et du parcours d’Alain Pojolat, mais bien de constater que l’article de François Bazin est non seulement erroné mais, ceci expliquant peut-être cela, d’une malhonnêteté qui n’honore guère son auteur. Vérification faite, François Bazin n’a ainsi à aucun moment contacté Alain Pojolat [1], ce qui est pourtant la moindre des choses lorsque l’on prétend dresser un portrait, a fortiori lorsque celui-ci est à charge. Aucune vérification auprès du premier intéressé donc, et aucune possibilité pour ce dernier de se défendre des accusations proférées par le mauvais flic devenu médiocre petit procureur…
Des accusations qui tiennent principalement en une formule : Alain Pojolat serait « un petit soldat de l’extrême-gauche radicale dont l’heure de gloire date de la fin des années 1970 ». Pour le « démontrer », le journaliste du Nouvel Observateur s’appuie sur un seul document, un mémoire universitaire dont il ne cite ni le titre ni l’auteur (une nouvelle preuve de sa grande rigueur), consacré à « la mouvance autonomiste en France ». Qu’y apprend(rait)-on ? D’après François Bazin, notamment ceci : « Pojolat aime "la baston". Il le dit, le redit et s’en vante à foison ». Ah oui ?
Malgré les imprécisions (volontaires ?) du journaliste, nous avons retrouvé ledit mémoire [2] dans lequel figure effectivement un entretien avec Alain Pojolat. Un entretien dans lequel l’intéressé ne déclare jamais « aimer la baston », et ne peut donc décemment le « dire », le « redire » ou « s’en vanter à foison ». Les quatre seules occurrences du mot « baston » (dans un entretien qui, retranscrit, occupe pas moins de 50.000 signes, soit plus d’une quinzaine de pages…) concernent des récits d’affrontements avec les forces de police lors de manifestations, et à aucun moment Alain Pojolat ne déclare « aimer » ça [3].
Une « citation » tronquée donc (un seul mot, en réalité), et manipulée pour servir le propos de François Bazin, qui utilise la même méthode un peu plus loin dans l’article pour appuyer la thèse d’un Pojolat amateur de « baston » : « les organisations trotskystes traditionnelles [sont] accusées [par Pojolat] de n’avoir pas voulu aller à "l’affrontement" et d’être passées, par "opportunisme", à côté d’une situation potentiellement révolutionnaire ». De nouveau, on admire les « citations » d’un seul mot et, de nouveau, on ne manque pas de remarquer que ces citations sont tronquées, utilisées hors contexte et instrumentalisées.
Dans l’entretien, Alain Pojolat parle effectivement d’un refus de la LCR d’aller « à l’affrontement ». Mais il s’agit de l’évocation d’une situation précise et d’une manifestation, contre la centrale nucléaire de Malville : « Les organisations trotskystes, en particulier la LCR, voulaient pas aller à l’affrontement, et nous on a pris en charge les affrontements pour aller jusqu’à la centrale ». Rien n’autorise donc François Bazin à généraliser ces propos, et a fortiori à les lier à une accusation d’ « opportunisme », inexistante dans cette partie de l’entretien. C’est plus tard qu’Alain Pojolat emploie le terme « opportuniste », et là encore le propos est contextualisé, puisque qu’il évoque certaines positions du groupe « Révolution » auquel il a appartenu dans les années 1970 : « [Révolution] dénonce la LCR comme ayant un travail au sein de la classe ouvrière opportuniste, c’est-à-dire en gros essayant de faire croire qu’on peut maintenir une tendance "lutte de classe" au sein de la CFDT par exemple ». Quel rapport avec la « baston » ? Quel rapport avec les « affrontements » ? Quel rapport avec la manifestation de Malville ? Aucun ! Mais de nouveau François Bazin ne s’encombre pas de détail et de déontologie journalistique, faisant dire à Alain Pojolat des choses qu’il n’a jamais dites. Est-ce pour cela qu’il n’a pas souhaité lui donner la possibilité de s’exprimer lui-même ? Mystère…
Mensonges éhontés
Dernier exemple de ces procédés manipulatoires avec le passage suivant : « Pour Alain Pojolat, en fait, "tout ce qui bouge est rouge". Ce slogan de sa jeunesse dicte encore sa conduite. Quelle que soit la nature de la révolte, il la soutient. Mieux, il l’encourage et il la nourrit. Que les islamistes travaillent la banlieue lui paraît bien secondaire dès lors qu’ils nourrissent l’incendie (…) ». Ah oui ?
François Bazin pourrait peut-être penser à abandonner le journalisme et à se lancer dans l’écriture d’œuvres de science-fiction. Ce passage est en effet l’illustration des capacités d’invention du journaliste du Nouvel Observateur, qui ne daigne même plus faire semblant de citer Pojolat pour appuyer ses propos.
« Que les islamistes travaillent la banlieue lui paraît bien secondaire dès lors qu’ils nourrissent l’incendie ». Après la manipulation, François Bazin s’adonne donc à la fiction calomnieuse. Rien ne l’autorise en effet (et d’ailleurs il ne donne aucune référence) à proférer une telle accusation. Le journaliste a-t-il en sa possession la moindre déclaration ou prise de position d’Alain Pojolat qui confirmerait cette « thèse » ? Monsieur Bazin est-il si sûr de lui et si certain de son impunité qu’il peut se permettre d’accuser sans preuve et de jeter en pâture à son lectorat une personne qu’il n’a même pas daigné contacter avant la publication de son article ? Imaginons, l’espace d’un instant, un portrait de François Bazin dans le style de François Bazin : « Pour François Bazin, en fait, "tout ce qui fait vendre est bon à prendre". Ainsi, la multiplication des actes antisémites lui paraît bien secondaire dès lors qu’elle lui permet de vendre du papier ». Vous avez dit calomnie ?
par Colin Brunel, le 21 août 2014 pour ACRIMED
http://www.acrimed.org/article4430.html
*** Le reste de l’article est à l’avenant, qui mélange imprécisions [4], citations tronquées, propos concernant les années 1970 et plaqués sur la situation actuelle, petites manipulations ou omissions, gros mensonges, etc. Une mauvaise fiche de police donc, qui se veut un portrait, mais dont l’objectif demeure inchangé du début à la fin de l’article : instruire à charge contre Alain Pojolat... en vue de donner des arguments au procureur lors du véritable procès, prévu en octobre ?
Colin Brunel
Notes
[1] Pas plus qu’il n’a contacté Olivier Besancenot, auquel il se réfère pourtant en début d’article.
[2] Sébastien Schifres, « La mouvance autonome en France de 1976 à 1984 », mémoire de maîtrise en histoire contemporaine et sociologie politique, sous la direction d’Anne Steiner et Gilles Le Béguec, Université Paris X-Nanterre, 2004.
[3] Pour le lecteur pointilleux, l’entretien est disponible en ligne ici.
[4] L’auteur évoque ainsi un « leader d’Action directe » qu’Alain Pojolat aurait hébergé chez lui en décembre 2012, sans mentionner son nom. On croit deviner qu’il s’agit de Jean-Marc Rouillan, mais dans ce cas François Bazin commet un nouvel impair en affirmant qu’Alain Pojolat aurait alors voulu « le faire adhérer au NPA », organisation à laquelle Rouillan a « adhéré » lors de sa fondation en 2009… Plus haut dans l’article, Bazin évoque une récente condamnation d’Alain Pojolat à « une amende avec sursis » alors qu’il s’agit d’une peine de prison avec sursis. Etc.